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Un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes : une atteinte aux souverainetés nationales ?

Il va sans dire que l’Union fait actuellement face à une crise sans précédant, qu’il s’agisse de la menace terroriste ou de la crise migratoire, l’Europe n’avait jamais connu de tels défis à gérer. La crise actuelle a imposé aux dirigeants européens de se pencher véritablement sur la gestion de nos frontières extérieures. La situation est telle que l’Union se trouve à devoir réaliser un double challenge, d’une part respecter des délais très courts, mais d’autre part, prévoir des mesures efficaces pour la protection des frontières européennes, tout en respectant le droit de l’asile et de l’immigration ainsi que les droits fondamentaux. Dans ces circonstances, la coopération entre les États membres s’avère nécessaire et l’Union semble opter pour une gestion plus intégrée de ses frontières. C’est en ce sens que, le 15 décembre 2015, la Commission a fait la proposition d’un paquet législatif dit « frontières » comprenant notamment un règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes. Mais qu’en est-il réellement de ce projet ? Est-ce une nouvelle agence remplaçant Frontex, ou travaillant aux côtés de Frontex ? Certains articles du règlement ne créent-ils pas une ingérence dans la souveraineté des États membres ? Ce sont des questions légitimes que se sont posés les députés européens lors de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du 29 février dernier.

En effet, lors de la dernière commission LIBE, la Commission européenne est venue présenter plus en détails son projet de règlement pour ouvrir le débat au sein du Parlement, et faire avancer les travaux dans le but d’adopter ce paquet législatif dans des délais assez restreints.

Le directeur général de la DG HOME de la Commission européenne, Matthias Ruete, au nom du commissaire Dimitris Avramopoulos, est venu présenter le projet de règlement avant de laisser place à un débat parlementaire. Ce dernier a mis l’accent sur le fait que les mesures nationales, telles que le rétablissement des contrôles aux frontières, n’étaient vraiment pas souhaitables politiquement, et qu’il fallait agir vite, mais de façon coordonnée. Il a reconnu que l’Union avait un peu tergiversé ces dernières années sur ces questions sensibles, et que la réalité et les pressions actuelles ne nous permettaient plus de le faire.

Quel est l’objectif de la Commission ? Réussir à avoir une gestion plus intégrée des frontières ! Il existe déjà des garde-côtes et des garde-frontières nationaux, il existe déjà Frontex, dont le personnel est trop faible pour agir correctement. Cela manque de coordination. Le but est de développer une structure en deux piliers, grâce en premier lieu à une agence de garde-frontières et de garde-côtes, et en second lieu, des garde-frontières et des garde-côtes nationaux, réunis dans un seul et même système.

Comment ? En établissant des responsabilités partagées. C’est en voyant la crise migratoire actuelle que nous pouvons en comprendre l’importance. La Commission propose que l’agence soit bien plus impliquée dans la prévention des crises. Cette prévention des crises découle alors d’une évaluation de la vulnérabilité des systèmes de protection des frontières. Sur ce plan il faut donner un rôle proéminent à l’agence.

Une grande partie du débat auquel s’attendait la Commission européenne concernait principalement l’article 18 du futur règlement qui prévoit notamment que « si un État membre ne prend pas les mesures correctives nécessaires […] ou en cas de pression migratoire disproportionnée aux frontières extérieures rendant le contrôle aux frontières extérieures à ce point inefficace que le fonctionnement de l’espace Schengen risque d’être compromis, la Commission, après consultation de l’Agence, peut adopter une décision au moyen d’un acte d’exécution, qui définit les mesures à mettre en œuvre par l’Agence et exige de l’État membre concerné qu’il coopère avec l’Agence dans la mise en œuvre de ces mesures ». Le directeur général a précisé à ce propos que la possibilité d’une action directe de la part de l’agence était vraiment un recours ultime. Selon la Commission, de toutes les façons, il est vraiment nécessaire que les États membres coopèrent pour gérer la crise actuelle et en éviter des nouvelles à venir. Matthias Ruete a bien insisté sur le fait que le but n’était pas de tuer Frontex, mais plutôt d’en prévoir une continuité.

S’en est alors suivi le débat et les questions parlementaires. Le rapporteur chargé du dossier, Artis Pabriks (PPE) a pris la parole en félicitant la Commission pour une telle proposition nécessaire. Ce règlement a, selon lui, un double rôle. D’une part, cela donne la possibilité à l’Union d’aller vraiment de l’avant et d’aider à résoudre la crise migratoire, d’autre part, c’est un dossier qui pourrait alors permettre de montrer aux citoyens européens que peu importe la couleur politique des parlementaires ou leur région européenne, l’UE prend au sérieux son mandat et est efficace sans que des clivages politiques prennent le dessus sur des questions d’intérêt général d’une telle importance. C’est un dossier qui pourrait nous unir malgré des approches parfois différentes. Artis Pabriks a ajouté que ce document respecte à la fois les valeurs de ceux qui disent que l’on a besoin de frontières ouvertes et que l’on a besoin également d’aider au mieux les demandeurs d’asile et les réfugiés.

Le député Péter Niedermüller (S&D) est ensuite intervenu, en tant que rapporteur fictif, en remerciant à nouveau la Commission pour une telle proposition et en saluant le fait que des accords avaient déjà été pris avec le rapporteur pour agir rapidement, ce qui montre déjà le dépassement des clivages politiques habituels. Il est certain que si une agence semblable avait existé plus tôt, la situation serait bien meilleure aujourd’hui. S’il faut respecter l’acquis de Schengen, il est nécessaire avant tout de bien protéger nos frontières et cela doit passer par une gestion plus intégrée. Cependant, le député hongrois ajoute également qu’il faut trouver un juste équilibre entre la liberté et la sécurité pour ne pas créer une politique engendrant la peur. Selon lui, l’un des éléments clefs du fonctionnement de cette agence sera le partage des données entre les États membres, ainsi que la garantie des droits fondamentaux et des règles en matière de partage de données. Il ne faut pas non plus oublier d’avoir une vision à plus long terme et de penser à ce que deviendra cette agence une fois la crise actuelle terminée.

Cependant, tous les députés ne se félicitaient pas d’une telle proposition. En effet, la députée Bodil Valero (Verts) avait quelques questions critiques à adresser à la Commission, notamment concernant les délais très courts à respecter pour créer cette agence, et d’éventuelles violations des droits fondamentaux. Mais elle s’interroge également sur les compétences très importantes dont va bénéficier cette agence, lui permettant de s’ingérer au sein des États membres, comme précédemment évoqué avec l’article 18.

S’en est alors suivi de nombreuses questions assez critiques pour le directeur général de la DG HOME, notamment pour avoir plus de précisions quant à la possible atteinte à la souveraineté des États membres avec ce nouveau règlement. Le député Tomas Zdechovsky (PPE) a notamment insisté sur cette question pour essayer d’obtenir plus de détails, tout en demandant également d’avoir plus d’éléments à propos des possibilités d’interventions des nouveaux garde-côtes, en parallèle avec Frontex.

Les mêmes questions concernant la souveraineté sont revenues à de nombreuses reprises au sein du débat. Nous pouvons encore citer l’intervention de la députée Vicky Maeijer (ENF) très critique, en appuyant son propos sur la nécessité pour un État membre de contrôler son propre territoire et sur la perte de contrôle des frontières pour un pays imposée par ce nouveau règlement. Elle demande alors à la Commission et au Conseil s’il est bien vrai que dans cette proposition, il y a un certain degré de souveraineté des États membres transféré à l’Union ? De plus, elle demande également si cela va contribuer à arrêter et freiner les flux d’immigrés ?

Pour clôturer le débat, et après toutes les critiques négatives, la députée Cecilia Wikström (ADLE) a tout de même tenu à ajouter que la proposition de la Commission était une excellente proposition, même si la logique aurait été de mettre sur pied des gardes-côtes et des gardes-frontières européens bien en amont. Elle a justement ajouté à cela que la plupart des citoyens se moquaient complètement de la couleur des uniformes des garde-frontières, ce qu’ils veulent c’est que cela fonctionne de manière efficace.

Puis ce fut à la représentation de la présidence néerlandaise du Conseil d’intervenir très brièvement dans le débat. Le Conseil insiste sur le fait que le paquet « frontières » est très important pour lui dans sa globalité. Concernant les garde-frontières et les garde-côtes européens, le travail au Conseil a été entamé en Janvier et ce dernier compte bien arriver à un accord assez rapidement, avant la fin de la présidence néerlandaise prévue le 30 juin prochain. Le Conseil a également précisé qu’une réunion informelle avait déjà eu lieu avec le rapporteur Artis Pabriks et que cette dernière avait été très réussie, ce qui laissait un bon présage quant au futur des négociations.

Enfin, Matthias Ruete a alors pris le temps de répondre à toutes les questions posées lors du débat, en vue principalement d’apporter aux députés critiques et inquiets plus de précisions sur ce projet. Il a insisté sur le fait que cette proposition participait à un objectif plus global : « sauver la maison européenne ! ». Pendant tout le débat nous avons pu sentir que cette proposition lui tenait vraiment à cœur et que son investissement était presque personnel, c’est pourquoi il a voulu éclairer d’une manière claire et précise la proposition de règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes.

Le directeur général a commencé par affirmer que, comme pour la gestion des flux migratoires, la Commission tenait à prendre en considération et à respecter les droits de l’homme. Mais évidemment, sa réponse la plus attendue concernait l’article 18 de la proposition de règlement.

Il a alors attiré l’attention des députés sur le paragraphe 4 du fameux article qui prévoit que « parallèlement et dans le même délai de deux jours ouvrables, le directeur exécutif soumet un projet de plan opérationnel à l’État membre concerné. Le directeur exécutif et l’État membre concerné établissent le plan opérationnel dans un délai de deux jours ouvrables à compter de la date de soumission du projet ». Si cet article peut apparaître complexe en apparence, il signifie en réalité qu’un État membre doit toujours donner son accord par rapport à un plan opérationnel conjoint en fin de procédure. Si l’État membre n’est pas d’accord, la seule possibilité sera alors un recours devant la Cour de Justice de l’Union européenne.

Si certains peuvent penser que cela n’est pas possible et qu’il faut l’imposer à l’État membre, et que d’autres prévoient que cela est une violation de la souveraineté de l’État membre, Matthias Ruete précise que pour lui, l’article 18 est le résultat d’un bon compromis.

Évidemment, le débat ne fait que commencer et c’est un point sur lequel les parlementaires, la Commission et le Conseil auront encore le temps de reparler au cours des prochaines réunions de cet agenda serré. Pour la Commission, la souveraineté de l’État membre est respectée, tout en créant tout de même une forme de pression morale et politique assez forte envers ce dernier.

Enfin, et c’est un point essentiel à éclaircir car, durant le débat, il semblait bien qu’il y avait eu des malentendus, le directeur général a bel et bien précisé qu’il ne s’agissait pas de créer une nouvelle agence qui ferait concurrence à Frontex. Au contraire, il va plutôt s’agir d’un Frontex +, c’est-à-dire d’une amélioration en dotant l’agence existante de ressources additionnelles.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Si un premier débat a déjà eu lieu au sein du Conseil le 25 février dernier, les discussions vont devoir continuer. La présentation du projet de rapport parlementaire aura normalement lieu le 11 avril prochain. Et la première lecture en séance plénière est prévue, à titre indicatif, pour le 7 juin 2016.

Marie Brun

Pour en savoir plus :

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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