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Combien, qui, où et pourquoi ? Le point sur les mineurs étrangers non accompagnés disparus en Europe

Après la communication d’Europol qui annonçait qu’environ 10 000 enfants migrants non accompagnés ont disparu en Europe durant les deux dernières années, le monde apparait choqué par ce chiffre.

Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, 35% des migrants ayant gagné l’Europe à partir du 1er janvier 2016 sont des enfants, la plupart non accompagnés. En effet les dernières données d’Eurostat rapportent que le nombre de mineurs étrangers non accompagnés (MENA) a quasiment quadruplé en 2015 avec 88 300 demandeurs d’asile sollicitant une protection internationale dans les États membres de l’UE. Durant cette année, une majorité de ces mineurs non accompagnés étaient des garçons (91%) et plus de la moitié était âgée de 16 à 17 ans, tandis que ceux de moins de 16 ans représentaient 43% des mineurs non accompagnés.

Vue que, comme confirmé par l’agence européenne de coordination policière, EUROPOL, la trace des MENA se perd après l’enregistrement auprès des autorités européennes, ces chiffres doivent encore plus nous alarmer. Le nombre des enfants migrants non accompagnés augmente de façon exponentielle ainsi que la possibilité pour ces enfants d’être exploités par des réseaux criminels organisés dans le but d’en faire des esclaves ou de les emmener vers le marché de la prostitution ou du trafic d’organes.

“On ne connait pas le nombre exact des disparitions”, a annoncé l’agence européenne des droits fondamentaux (FRA). Normalement, quand un enfant arrive en Europe il devrait s’enregistrer auprès de l’autorité nationale compétente et un titulaire de l’autorité parentale devrait être désigné. C’est lui qui serait responsable de signaler à la police la disparition d’un enfant, comme le ferait un parent vis-à-vis de son enfant. Toutefois, dans la plupart de cas, cette procédure n’est pas suivie. Les chiffres sur les MENA dont on a perdu la trace font référence aux enfants qui ont disparu des centres de réception où ils étaient placés et qui n’ont pas été nécessairement signalés à la police.

Cette situation cache un important « chiffre noir » : il y a une grande partie des MENA non enregistrés qui peuvent avoir disparu mais certains ne sont pas déclarés du tout. En outre, l’absence d’un registre central engendre des cas de double inscription. Selon la FRA, en effet, cette double inscription signifie que le même enfant peut être signalé comme ayant disparu de différents centres d’accueil à l’intérieur d’un État membre. La disparition du même enfant peut encore être reportée dans différents États membres. Il est donc fort probable que les chiffres déclarés ne correspondent pas à la réalité : c’est un élément qui rend encore plus obscures les données recueillies mais aussi la situation de ces MENA.

Dans ce cadre, la Commission de Libertés civiles, justice et affaires intérieures (LIBE) a consacré une séance jeudi 21 avril en se focalisant sur la protection des MENA et la coopération entre les pays afin de localiser les enfants disparus. Des représentants d’Europol, de l’agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) et de l’ONG Missing Children Europe ont présenté aux députés les chiffres et les raisons pour lesquelles, à leur avis, ces mineurs continuent à disparaitre.

Le chef de l’unité juridique d’Europol, Dietrich NEUMANN, a affirmé que la déclaration de janvier constitue une des occasions pour lesquelles il a espéré que les données de son organisation étaient fausses. En effet, dans ce mois Europol a sensibilisé le public sur la question de MENA disparus. Trois mois plus tard ce point a été confirmé par le gouvernement allemand affirmant que le sort de 5 000 (9 000 selon d’autres sources) mineurs, dont plus de 400 âgés de moins de 14 ans, ne peut pas être déterminé. Cependant le chef d’Europol a affirmé que l’“on saurait maintenant où ils sont : exploités dans l’industrie du sexe, entre les mains de la criminalité organisée à cause de leur vulnérabilité et de leur manque d’argent”. Pour cette raison, Europol soutient des opérations pour combattre ces formes de criminalité même si, selon Neumann, il n’existe pas de solution miracle.

Si la majorité des acteurs concernés et de l’opinion publique est choquée par ces cas de MENA disparus, beaucoup ne sont pas de cet avis. Missing Children Europe, en effet, travaillait sur ces disparitions bien avant que les flux migratoires ne s’accroissent durant les derniers mois. “Tout à coup”, déclare Delphine MORALIS de Missing Children, “puisque Europol a affirmé que 10 000 MENA ont disparu, tout à coup le monde semble découvrir un « nouveau problème » qui effectivement n’est pas un nouveau problème. On connait ça depuis longtemps.” Le problème, évidemment, est plus visible maintenant puisqu’un grand nombre d’ enfants arrivent en Europe, mais il a toujours existé.

Cependant si les chiffres sont alarmants, il n’y a pas d’excuse pour les actions menées par les autorités compétentes qui, selon Mme Moralis, ont baissé volontairement leurs priorités envers ces enfants. “Les enfants ont été systématiquement discriminés quand il s’agissait des enfants migrants non accompagnés. Dans plusieurs pays il y a une « période sans action » standard quand l’enfant disparu est un MENA. Cette période serait considérée comme un scandale s’il s’agissait d’un enfant non étranger. ” Selon elle, il y a donc une différence de traitement entre mineurs disparus européens et étrangers. En plus, les autorités pensent souvent que ses mineurs sont capables de se débrouiller seuls, ou qu’ils sont plus âgés que ce qu’ils déclarent et, par conséquent, la prévention de leur départ ou leur recherche ne rentrent pas dans les priorités nationales.

Missing Children Europe affirme que les gouvernements de l’UE, les autorités chargées de l’application du droit et les différents titulaires de l’autorité parentale sont en charge de la protection de tous les enfants ainsi que du respect de leurs droits fondamentaux. Les enfants sont vulnérables, ils ont parcouru des milliers de kilomètres, seuls, sans bien connaitre la route et quand ils ont gagné l’Europe, ils se retrouvent seuls encore une fois puisque les autorités ne les prennent pas en charge. Pour mieux diriger l’action des acteurs concernés Missing Children Europe a publié un manuel en analysant les pratiques en Europe concernant les «hotlines» (assistance téléphonique) des mineurs disparus et l’action des titulaires de l’autorité parentale dans 7 différents Etats membres.

Les résultats montrent que dans la plupart des cas le personnel n’est pas assez qualifié, le soutien et la protection des titulaires de l’autorité parentale est difficile à obtenir comme les informations pour connaitre le processus législatif. Plusieurs fois les enfants sont découragés par la situation et préfèrent la voie de la disparition perdant la protection accordée. Dans ce cadre l’organisation Missing Children demande :

  • une meilleure formation et plus de ressources pour les titulaires de l’autorité parentale
  • l’information des enfants sur la procédure législative à suivre pour la protection internationale et le regroupement familial et le traitement différentié de ces demandes quand il s’agit des MENA
  • que chaque enfant soit protégé selon son intérêt supérieur et que les MENA puissent demander asile dans tous les pays européens et non plus seulement dans le pays d’arrivée.

Cette opinion a été partagé par la FRA qui a mis en évidence ces cas de MENA disparus dans ses rapports mensuels sur la situation des réfugiés dans 9 États membres. Selon l’agence européenne, le manque d’informations concernant les disparitions et les retards extrêmement longs de signalisation à la police rendent ces enfants très difficiles à localiser. Beaucoup d’enfants quittent les centres d’accueil afin de retrouver leurs parents ou des membres de leur famille vivant dans un autre État membre. Cette décision de poursuivre le voyage seul peut s’expliquer par des procédures excessivement longues, des contraintes administratives et un manque de confiance dans les autorités compétentes, et parallèlement au peu d’informations fournies aux enfants. Ce cadre rend les MENA plus vulnérables, susceptibles d’être recrutés par des organisations criminelles et par les trafiquants.

Les conditions inadéquates de réception et les mauvaises pratiques de détention jouent aussi un rôle important. Aucun enfant n’aime rester dans de grands centres d’accueil, sans services adaptés où ils peuvent devenir victimes de violence, physique comme psychologique. Une autre raison qui mène les enfants à quitter les centres d’accueil est l’incertitude sur leur avenir et la peur que leur demande d’asile puisse être rejetée. Ça les rend encore plus vulnérables et les place en victimes d’exploitations potentielles. En cherchant à survivre seuls, chaque occasion de récupérer une bouchée de pain est bonne à saisir, même s’il s’agit de quelque chose d’illégal.

Pour prévenir ces disparitions la FRA soutient que :

  • tous les acteurs impliqués devraient travailler ensemble : les autorités pour l’asile et l’immigration, les autorités policières, judiciaires et de protection aux enfants ;
  • chaque autorité devrait respecter le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes ses actions, créant un environnement sécurisé pour les MENA où ils puissent trouver une protection effective et une assistance selon leurs besoins et vulnérabilités ;
  • il est nécessaire de doubler les efforts au niveau européen pour combattre les réseaux criminels organisés et les trafiquants.

En outre, la porte-parole de FRA, Georgia DIMITROPOULOU, face aux députés, a souligné l’importance d’assurer l’accueil et le logement en petits groupes, de garantir l’application des lois pour la protection de l’enfant, de reconsidérer le regroupement familial et de former les titulaires de l’autorité parentale afin de prévenir la disparition des MENA.

Tous ces points ont donné lieu à une discussion animée entre les membres du Parlement et les conférenciers invités. Plusieurs fois le chef de l’unité juridique d’Europol, Dietrich NEUMANN, a été interrogé puisqu’après plusieurs mois toute la lumière n’a pas encore été faite sur ces disparitions. En particulier, la députée Hilde VAUTMANS a souligné que cette indifférence bureaucratique n’est pas acceptable au regard des normes morales européennes. “Quand un chien a disparu les gens se mobilisent, envoyant des messages sur Facebook. Mais quand nous sommes confrontés aux plus grands chiffres d’enfants déplacés depuis le Second conflit mondial, on se perd dans la myriade des institutions. C’est une honte pour l’Europe.”

Cecilia WIKSTROM, porte-parole  de l’ALDE pour la migration, a également tiré la sonnette d’alarme en proposant la modification des systèmes nationaux de réception des MENA dans les États membres de l’UE afin de minimiser le risque pour ces enfants de tomber aux mains de criminels. Elle a souligné la nécessité de garantir la sécurité des enfants migrants en mettant en œuvre les standards de protection de l’enfant, ainsi que l’amélioration de la coopération transfrontalière et le partage des informations entre les institutions afin de retrouver les enfants disparus. Les députés ont en outre soulevé la possibilité d’utiliser les données biométriques, comme les empreintes digitales, pour suivre les mouvements des enfants. Comme souligné par la FRA, en optimisant l’emploi du système d’information Schengen (Schengen Information System -SIS II) il serait possible de mieux tracer les enfants disparus.

Ces enfants restent jeunes, même s’ils ont dû faire face à une réalité difficile qui les a fait grandir prématurément. Ils sont vulnérables et seuls dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue. Ils ne savent pas où aller. Dans ce contexte ils sont très sensibles à toute forme de crime organisé. Cette situation est extrêmement dramatique et nécessite une action concrète sans plus tarder.

Un ancien proverbe disait que “il y a deux cadeaux que nous devrions offrir à nos enfants ; le premier : des racines, le second : des ailes”. Pour ce faire, il faut que l’Europe devienne la terre où ces enfants puissent poser leurs racines et que les institutions leur donnent des ailes pour voler vers un avenir stable loin de l’invisibilité sociale.

Adele Cornaglia

En savoir plus :

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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