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Femmes populistes : Entre instrumentalisation des stéréotypes et récupération politique

Elles s’appellent Céline, Anke, Siv, Kirsztina, Pia, Marine. Elles ont entre 37 et 69 ans et sont le nouveau visage du populisme moderne. Ces femmes portent et défendent les valeurs de l’extrême droite en Europe. Elles se revendiquent proches du peuple, se veulent l’ultime défense d’une identité nationale trop longtemps malmenée. Soit le discours populiste tel qu’on l’entend habituellement… à ceci près que ces dernières années, le féminisme, jusqu’alors bien éloigné des combats menés par l’extrême droite, a fait son apparition sur l’échiquier et bouleverse notre grille de lecture.
L’extrême droite, intrinsèquement misogyne et sexiste de par ses mesures rétrogrades (tel que le déremboursement de l’avortement ou le salaire parental), a toujours constitué un mouvement peu enclin à promouvoir les droits des femmes. Entre l’utilisation délibérée des codes du genre et la récupération politique hypocrite du féminisme, les méthodes populistes ne manquent pas d’ingéniosité pour propager, à chaque fois différemment, toujours le même discours.

À chaque époque sa crise, à chaque crise son populisme.

Lorsque la société est remise en question par des changements qui la dépassent, l’extrême droite se pose inlassablement en remède unique. Ainsi, à chaque crise globale, le populisme produit une lecture simpliste de la situation et prescrit, quelles que soient l’époque et ses difficultés, un repli sur soi doublé d’un rejet de l’autre. L’état de crise fait la force des extrêmes. Ces mouvements peuvent alors mettre en place le clivage entre « nous » et « eux », « eux » étant les autres, les ennemis du « nous », la nation. En 2017, à la crainte de l’Islam et au rejet de la mondialisation, l’extrême droite propose la stigmatisation et le discours nationaliste, sur fond d’une réappropriation des valeurs républicaines et libérales. Un processus de communication rodé, écrasant d’omniprésence médiatique, travaille à la « dédiabolisation ». C’est ainsi que, par une inversion des concepts, les totalitarismes modernes deviennent l’islamisation et la globalisation ; par un glissement de langage, l’extrême droite se fait appeler « populisme ». Elle se veut sociale, proche du peuple et donc démocratiquement compatible. Alors que l’exclusion, tant nécessaire au fondement des doctrines populistes, est favorisée par l’amalgame sciemment utilisé entre « islam » et « islamisme ». Les musulmans sont aujourd’hui le nouvel ennemi du populisme, succédant aux juifs, aux communistes, ou encore aux francs-maçons. L’Union Européenne, elle aussi, est la cible de l’extrême droite. Ce qui dote le populisme d’un caractère protéiforme ; il s’adapte et évolue avec son temps pour être toujours plus incisif. D’ailleurs, il prospère en Europe et obtient même une nouvelle résonance auprès de ceux qui autrefois ne se laissaient pas séduire par son programme : les jeunes et les femmes.

Marine Le Pen en meeting
Marine Le Pen en Meeting, bras ouverts, « au nom du peuple ».

De l’utilité du « deuxième sexe »

Avec une remise en question permanente des acquis du droit des femmes, l’extrême droite constitue une menace réelle pour leurs libertés. En témoignent la ténacité féroce des opposants au droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou encore l’absence édifiante de mesures visant à instaurer une égalité salariale entre les hommes et les femmes. En France, le FN de Marine Le Pen propose le salaire parental pour laisser aux parents (et comprenez par-là : aux mères) la liberté de choisir entre « l’exercice d’une activité professionnelle et l’éducation de leurs enfants ». Le déremboursement de l’avortement est, quant à lui, soutenu par bon nombre de partis d’extrême droite ayant à leur tête des femmes.
Parmi ces figures de proue : Pia Kjaersgaard, présidente du Parti Populaire danois, Kirsztina Morvai, eurodéputée hongroise du parti « national-radical » Jobbik, Anke Van Dermeersch sénatrice belge au Vlaams Belang, la Norvégienne Siv Jensen, à la tête du Parti du progrès, Céline Amaudruz, présidente de l’UDC (l’Union Démocratique du Centre en Suisse), Marine Le Pen, présidente du Front National en France.
La mise au pouvoir de leaders féminins pose question. Quel est l’intérêt pour ces mouvements ultras nationalistes et idéologiquement misogynes d’avoir une femme à leur tête ? À quel prix ce choix du féminin est-il gagnant ? L’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen a débloqué le vote des femmes pour son parti en 2012. En effet, on les a vues prendre part au scrutin de l’extrême droite, propulsant sa présidente plus loin que n’avait été son père (Jean-Marie Le Pen) lors d’une élection présidentielle.
Si la démagogie est monnaie courante chez les hommes politiques d’extrême droite, elle est double lorsque cet homme politique est une femme. En plus d’embrasser les discours populistes xénophobes, ces dirigeantes usent de leur genre pour en travestir les objectifs principaux. Les femmes ne correspondent pas à l’image que l’on se fait de l’extrême droite et elles le savent. Elles surfent sur la notion stéréotypée que la société a de la femme et de la féminité en général. L’inconscient collectif comprend la sensibilité et la douceur comme étant des caractères proprement féminins. Associés aux partis d’extrême droite, souvent perçus comme violents et dangereux, ils brouillent les codes du populisme, allant jusqu’à faire passer ce dernier pour un mouvement libéral délesté de ces résidus totalitaires. C’est cette image adoucie qui génère un électorat nouveau, jeune et féminin. Les femmes, parce qu’elles sont considérées comme dotées d’une forte sensibilité selon la société patriarcale, sont plus à même de mener une politique sociale de proximité. En tant que mères, en tant qu’épouses, elles ont conscience des réalités de la vie quotidienne puisqu’elles font les courses, déposent les enfants à l’école, paient les factures. Cet argument aussi rassurant qu’il est pernicieux s’avère être payant.

Populisme rime avec féminisme ?

La démarche dans laquelle s’inscrit ce populisme moderne au féminin ne doit pas être comprise dans un simple but électoraliste. Ces dernières années, un courant ‘féministe’ souffle sur les partis populistes européens. Ainsi, le FPÖ (le Parti de la Liberté d’Autriche) partage une affiche de campagne sur laquelle une jeune femme, blonde et souriante, apparaît à côté du slogan « trop belle pour porter le voile ». En Belgique, Anke Van Dermeersch prête ses jambes à une autre affiche montrant cette fois-ci quelle est la longueur de jupe acceptable selon les musulmans, légendé « Liberté ou islam… ». L’amalgame islam/islamisme permet de présenter cette religion comme étant intolérante et menaçante, notamment envers les libertés des femmes.

Affiches populistes sexistes et islamophobes
A gauche, une échelle allant de « conforme à la charia » à « lapidation », à droite, le slogan « trop belle pour porter le voile »

Soudainement, ces libertés doivent être protégées de l’islamisation. Le populisme se veut le défenseur des femmes contre le spectre islamiste qui les menace. Derrière ce positionnement se cachent la réappropriation du combat féministe et son instrumentalisation politique à des fins d’exclusion. Embrasser le féminisme pour partir en croisade contre le voile ou le burkini n’est pas se battre pour les femmes, mais bien contre les musulmans. Dénoncer les viols de Cologne n’est pas défendre les femmes et leurs droits, comme si en est arrogé Marine Le Pen, mais bien stigmatiser les immigrés (en rendant invisibles les 84 000 viols ou tentatives de viol commis chaque année en France). Aujourd’hui, le féminisme permet aux partis d’extrême droite de légitimer leur programme anti-immigration et anti-islam. Derrière la volonté trompeuse de protéger, on retrouve l’éternel objectif d’exclure. Avec le populisme, il est question d’une opposition systématique au multiculturalisme et à l’islam en général. Par conséquent, les contours de l’islamisme politique, celui contre lequel il faut lutter et qui s’avère clairement opposé aux droits des femmes et à l’idée de parité, sont rendus flous par le rapprochement malhonnête des concepts. Ce discours féministe est le fruit d’une récupération politique populiste qui débouche sur un féminisme à la carte où il n’est jamais question des autres dimensions du combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes (tel que : le harcèlement sexuel, le harcèlement de rue, la domination masculine, l’objectivation et la sexualisation du corps de la femme, l’égalité salariale, etc.). Son utilisation sert purement à des fins politiques racistes et xénophobes. Il en va du même processus lorsqu’il est question du concept de laïcité.

Symbole de la lutte féministe

Les mouvements populistes d’extrême droite européens s’inscrivent dans une tradition chrétienne. Leur engagement féministe ne vaut qu’orienté vers la menace islamiste. Il ne sera jamais question d’une prise de position contre des catholiques sexistes ou encore homophobes qui bafouent les libertés. Le détournement du féminisme auquel on assiste actuellement montre qu’en matière de droits des femmes, les avancées ne peuvent se faire sans un processus de sécularisation effectif. Afin de mettre en lumière toutes les impostures à son sujet, Caroline Fourest souligne l’importance de parler de « féminisme laïque ». En opposition aux nombreuses récupérations politiques et religieuses tel que les féminismes populistes ou certains féminismes islamiques. Si l’ambition la plus stricte du féminisme est d’instaurer une égalité « politique, économique, culturelle, sociale et juridique » réelle entre les hommes et les femmes, alors ce dernier est à vocation universaliste. Par conséquent, la dimension laïque doit être son fer-de-lance.

Sophie Mincke

Pour en savoir plus et principales sources d’information :

Le populisme au féminin, documentaire de Marco La Via ; https://www.youtube.com/watch?v=jY7VoXaEnC0
Interview Caroline Fourest ; http://www.cairn.info/revue-herodote-2010-1-page-26.html
Interview Nonna Mayer ; http://www.touteleurope.eu/actualite/nonna-mayer-les-partis-de-droite-extreme-sont-encore-les-derniers-a-vendre-du-reve.html
Le Monde : K. Morvai, star de l’extrême droite hongroise, http://www.lemonde.fr/europe/article/2008/12/09/krisztina-morvai-nouvelle-star-de-l-extreme-droite-hongroise_1128715_3214.html


Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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