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Le retour du franc, une perte de souveraineté ? Bien sûr !

Les propos de Marine Le Pen, comme d’autres, ne sont qu’une imposture que curieusement personne n’a relevée. On a perdu le souvenir pourtant pas si lointain où le franc existait et était dans nos poches. Avions-nous la pleine souveraineté monétaire ? Pas le moins du monde, parce que nous appartenions à la zone monétaire du deutschmark et nous n’avions pas la moindre prise sur la politique monétaire des Allemands. On a perdu le souvenir qu’au lendemain de la chute du mur de Berlin, les touristes et curieux en tout genre ont envahi ces pays qui venaient de retrouver leur liberté, il leur était alors conseillé de se munir de deutschmark, peu assurés qu’ils verraient leurs francs être acceptés lors de leurs achats de tous les jours sauf à des taux pénalisants.

C’est ce que nous rappelle l’analyse de Mathilde Lemoine, chef économiste du groupe Edmond de Rothschild, dans un court article paru dans Agefi. La principale vertu de la création de l’euro a été de redonner de la souveraineté monétaire à la France. Avant la monnaie unique, la politique monétaire française était dépendante de celle des banques centrales américaines et allemandes. L’instauration de l’Eurosystème a permis à la France de peser sur la conduite de la politique monétaire de l’Allemagne au moins à hauteur de sa participation au capital de la Banque centrale européenne (20,1 % contre 25,6 % pour l’Allemagne). La création de l’euro a aussi forcé la Bundesbank à intégrer les spécificités macroéconomiques de ses partenaires européens lors des décisions monétaires. Il est donc faux de laisser penser que le retour au franc permettrait à la France de retrouver sa souveraineté monétaire. La mise en place d’une monnaie française engendrerait avant toute chose une fuite des capitaux, et la capacité retrouvée de la Banque de France à faire marcher la planche à billets « ne ferait qu’accentuer la perte de valeur de la monnaie ». Les gens vendraient leurs francs pour acheter les euros « allemands » .

Dès lors, comment financer ce déficit important ? Comment enrayer la fuite des capitaux ? La conséquence est immédiate : une dépréciation instantanée que Mathilde Lemoine évalue à 40 %. C’est la ruine des petits épargnants, la chute du niveau de vie pour les gens modestes.

Pour ceux qui l’auraient oublié, elle rappelle un certain nombre de faits qu’on ne peut repousser d’un simple revers de main. Notamment, que « les non-résidents français détiennent plus d’avoirs français que les Français d’avoirs étrangers à hauteur de 450 milliards d’euros ». La perspective d’un retour au franc inciterait ces investisseurs à vendre rapidement leurs avoirs français, compte tenu de la faible crédibilité historique de cette monnaie. Il en résulterait une dépréciation de la monnaie de 43 % .

Pour éviter de telles fuites de capitaux, un contrôle des changes pourrait alors être momentanément instauré comme cela avait été le cas en mai 1981, quelques jours après le second tour de l’élection présidentielle. Par ailleurs, la France n’a pas la capacité de conduire une politique monétaire adaptée à ses caractéristiques économiques nationales, car ses taux d’intérêt évoluent au gré de ceux de ses partenaires, comme sa monnaie.

En conséquence, en cas de retour au franc, non seulement les investisseurs détenant des actifs les vendraient, mais ils achèteraient de l’euro allemand, accentuant ainsi les pressions à la baisse sur le franc, comme l’illustrent plusieurs exemples historiques. Après sa sortie du serpent monétaire en 1976, le franc s’est déprécié de 25 % vis-à-vis du deutschemark. En 1992, le ministre de l’Économie, Michel Sapin, a dépensé plus de 40 milliards de francs par jour de réserves de changes pour éviter le dévissage du franc. Mais il a été contraint de demander l’aide des Allemands, faute de réserves de change françaises suffisantes.

À aucun moment depuis la Seconde Guerre mondiale la France n’a pu gagner une autonomie monétaire vis-à-vis de l’Allemagne et des États-Unis. Elle a fini par l’obtenir quand les Allemands ont accepté de renoncer avec l’euro à ce qui était le symbole de leur renaissance, le deutschemark. « Leur sacrifice sur l’autel de la construction européenne est donc sans commune mesure avec celui de la France. L’Allemagne a partagé la conduite de sa politique monétaire en intégrant l’Eurosystème. Auparavant, la France subissait les hausses de taux d’intérêt allemands et devait demander de l’aide outre-Rhin pour éviter une crise de balance des paiements (accord de Nyborg). Maintenant, elle a voix au chapitre. ».

L’euro a permis à la France de cesser de subir les politiques monétaires allemande et américaine, et donc d’acquérir une forme nouvelle de souveraineté monétaire. En conséquence, un retour au franc nécessiterait la mise en place d’un contrôle de capitaux. Peut-on imaginer une meilleure prime pour la compétitivité des entreprises françaises ?

Ce que Mathilde Lemoine ne dit pas, mais qui est implicite, est qu’il nous faudrait rejoindre une autre zone monétaire bon gré mal gré. La zone dollar, la zone rouble, la zone renminbi ou encore tel ou tel regroupement plus ou moins formel de pays émergents ? Quitter l’euro c’est aussi renoncer aux avantages et privilèges du statut de monnaie de réserve, le franc ne pouvant prétendre à lui seul briguer un tel statut, ce que Mathilde Lemoine n’évoque pas. Serions-nous plus libres, plus « souverains » ? Rien ne nous permet de le penser.

Que dire aussi du sort du franc CFA, totalement passé sous silence ? Il est difficile de l’abandonner à son propre sort ! La CEDEAO n’a pas besoin de plus d’instabilité. Les conséquences d’une sortie de la France de la zone euro risquent d’être dramatiques sur le plan social et économique pour des pays d’Afrique qui n’ont pas besoin d’une menace supplémentaire.

H-P. L.

Pour en savoir plus :

Mathilde Lemoine (9 mars 2017). « Retour au franc, une perte de souveraineté ». L’AGEFI He http://www.agefi.fr/asset-management/actualites/hebdo/20170309/retour-franc-perte-souverainete-212504

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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