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Favoriser la confiance dans les institutions européennes en luttant contre la corruption : le Greco du Conseil de l’Europe se fâche.

Dans un contexte où une forme nouvelle de confiance et d’attrait pour l’Europe apparait, la responsabilité de l’UE, de ses Etats membres et de ses institutions doit être renforcée sans délai. Ce renouveau risque en effet d’être compromis si une lutte sans concession contre des comportements chaque jour plus nombreux et spectaculaires n’est pas menée. Certes, la corruption, la fraude, les « arrangements »  entre amis, les conflits d’intérêts, le trafic d’influence, le manque de transparence, tout cela existe depuis que le monde est le monde, c’est-à- dire depuis toujours? Alors ne pourrait-on pas en perdre ce pari? Non! Et précisément, le Greco ne baisse pas les bras face à la passivité des Etats. La corruption fausse beaucoup de choses, elle introduit des incertitudes à la longue insupportables pour l’Etat de droit et la bonne gouvernance. La corruption a un coût: selon des estimations dont le Greco se fait l’écho, le montant des transactions liées à la corruption serait de l’ordre de plusieurs centaines de milliards d’euros chaque année. Enfin l’opinion publique ne supporte plus les révélations quasi quotidiennes de la presse.

Le Greco (Groupe d’Etats contre la Corruption) est un organe du Conseil de l’Europe chargé d’améliorer la capacité de ses membres à lutter contre la corruption. Il assure le suivi des normes, il en vérifie la conformité, il aide les Etats à identifier les lacunes existantes et s’efforce d’être à l’origine des réformes législatives et institutionnelles rendues indispensables. Le Greco sonne l’alarme dans deux directions: l’intégrité des membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et devant la multiplication des scandales lance un appel aux Etats membres à le rejoindre et le soutenir dans son combat et à mettre en oeuvre ses recommandations. Mais un préalable existe: les institutions européennes doivent balayer devant leur porte et refonder le registre des lobbystes des trois institutions de l’UE, c’est à dire du Parlement, du Conseil et de la Commission.

Feu vert aux négociations entre les institutions sur le registre obligatoire les lobbystes.

La conférence des présidents du Parlement européen vient, le 15 juin, d’approuver le mandat de négociations sur le registre de transparence qui couvrira les trois institutions: Parlement européen, Conseil, Commission. Le mandat du Parlement européen énonce plusieurs obligations :

  • Convaincre enfin le Conseil d’adhérer au registre ; il a refusé jusqu’à aujourd’hui d’adhérer au registre même sous sa forme actuelle;
  • Assurer la certitude et la clarté juridiques;
  • Adopter une législation contraignante pour les représentants de groupes d’intérêt;
  • Maintenir une définition plus large du lobbying couvrant à la fois la représentation directe et indirecte, introduire la clarification concernant les dérogations;
  • Respecter les rôles et les structures de chaque institution;
  • Respecter l’indépendance des députés conformément à leur mandat;
  • Améliorer la qualité et la précision des données du registre de transparence;
  • Allouer des ressources humaines, administratives, techniques et financières pour garantir le bon fonctionnement du Régime.

Il se trouve qu’un certain nombre de députés juge décevant ce mandat de négociation trop tiède, mais dans le même temps un certain nombre d’observateurs s’interrogent sur le fait que bien des députés refuseront de se soumettre à la règle, qu’ils jugent eux trop contraignant que pourtant ils souhaitent voire respectée par le Conseil ou la Commission.

Malgré les critiques que l’on peut adresser, c’est incontestablement une feuille de route utile, et même plus, c’est un passage obligé dans la lutte contre la corruption.

Le Conseil de l’Europe invite instamment ses Etats membres à renforcer la prévention et à rejoindre le Greco.

Le Conseil de l’Europe a appelé, partout, gouvernements, parlements, hautes instances judiciaires à renforcer leurs actions, à créer des mécanismes plus efficaces contre la corruption. Tous doivent rejoindre le Greco. Dans son rapport annuel le Greco fait le point. Le rapport souligne que les Etats membres sous-estiment l’efficacité des systèmes préventifs dont ils sont trop souvent dépourvus ou qui restent trop faibles. Par ailleurs ces mêmes Etats ils font trop confiance à leur système répressif à l’efficacité douteuse.

Selon le Conseil de l’Europe, le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjorn Jagland aurait déclaré que « la corruption est une source majeure de mécontentement et de perte de confiance dans la politique et dans les institutions démocratiques. Il est crucial que les Etats disposent de la législation et des ressources appropriées non seulement pour enquêter sur les infractions de corruption et les sanctionner, mais aussi pour prévenir ce phénomène. La corruption ne saurait être tolérée, ou qu’elle soit ». Marin Mrcela, le président de Greco, a aussi souligné que «  de nombreux Etats ont des difficultés à se conformer aux recommandations du Greco. Ceci est dû en partie à la complexité des problématiques évaluées, et à la nécessité de trouver un consensus politique fort pour mettre en œuvre ces nombreuses recommandations. Les leaders politiques devraient faire preuve d’une volonté sans faille et s’efforcer de diriger par l’exemple afin de combattre la corruption et de créer une culture de l’intégrité. » Il concède qu’il s’agit d’un objectif à long terme qu’il voudrait voir se concrétiser. Il regrette de ne pouvoir dans ce rapport saluer aucun progrès véritable.

Dans son 17ième rapport du 7 juin, le Greco constate que l’année 2016 a principalement été marquée par une « tendance croissante au nationalisme, au populisme aux formes extrêmes dans l’expression politique. La corruption n’a épargné aucun pays ». Que ce soit dans le secteur privé ou public, au niveau national, européen ou international, les allégations ou cas confirmés de corruption ont touché des instances exécutives, des parlements, des systèmes judiciaires, des institutions nationales ou internationales, des marchés, des organisations sportives ou des entreprises privées. » Tous en sont atteints.

Procédant par cycles d’évaluation et cela depuis 1999, date de sa création, le Greco constate pour l’année 2016 un ralentissement dans l’application de ses recommandations notamment dans le financement des partis politiques, la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs.

Un rapport du Conseil de l’Europe rappelle que « Fin 2016 pratiquement un tiers des recommandations du Greco n’avaient pas encore été pleinement mises en œuvre dans les Etats évalués, qu’elles portent sur l’incrimination de la corruption ou la transparence du financement des partis politiques.25% demeuraient partiellement mises en œuvre et 7% non mises en œuvre. Les Etats se sont aujourd’hui plus ou moins mis en conformité avec les recommandations les plus importantes sur l’incrimination de la corruption, même si des améliorations techniques restent nécessaires en particulier concernant les infractions telles que le trafic d’influence et la corruption dans le secteur privé.

L’évaluation initiale du Greco concernant la transparence du financement des partis politiques avait révélé des dysfonctionnements substantiels dans toute l’Europe, bon nombre d’entre eux étant liés à l’accès public aux comptes des partis, à l’indépendance de l’organe de surveillance des comptes politiques et à des systèmes de sanction inadéquats. Des dispositions législatives ont été introduites pour corriger ces disfonctionnements, mais de nombreux pays n’ont pas encore mis en œuvre un nombre significatif de ces recommandations.

Pour ce qui est des recommandations en matière de prévention de la corruption chez les parlementaires les juges et les procureurs, le Greco avait évalué le niveau de conformité de seulement 20 Etats. 78% de ses recommandations n’avaient pas pleinement été mises en œuvre. 46% du total demeuraient partiellement mises en œuvre et 32% n’étaient pas mises en œuvre. Le rapport souligne la nécessité d’améliorer la manière dont sont traités les conflits d’intérêt, le lobbying, et les systèmes de déclaration de patrimoine. »

En revanche le rapport se félicite des codes d’éthique pour les parlementaires aient été adoptés dans de nombreux pays, même si leurs mécanismes de suivi et d’application nécessite d’être renforcés. Pour ce qui est de certains Etats, le Greco trouve préoccupante la situation de l’indépendance de la justice, tout comme la participation des magistrats à la vie politique et souligne qu’il faut des codes d’éthique pour ces professionnels du droit.

Le Greco demande une refonte du code de conduite des membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

Le Greco a publié le 21 juin une évaluation critique du Code de conduite des membres de l’Assemblée parlementaire (APCE) ; il y a identifié de nombreuses lacunes. Composée de 324 élus issus de 47 pays. Les enjeux sont importants : les députés sont tous des élus dans leur pays d’origine, et les effets d’une contagion vertueuse vers les autres députés à partir de l’APCE sont toujours à rechercher et donc à ne pas négliger.Ses rapports, ses recommandations jouent un rôle fondamental dans la promotion de l’Etat de droit. Ce sont eux qui élisent le commissaire aux droits de l’homme et les juges de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Or en l’état le Greco constate que le code de conduite de l’APCE « manque de cohérence et de cohésion (…) il est si difficile à comprendre(…) que son application effective est compromise dans la pratique ».

Ce sont douze recommandations que le Greco fait valoir :

  • L’élaboration d’un texte unifié de portée obligatoire et prévoyant une mis à jour périodique ;
  • Une révision des dispositions sur les conflits d’intérêt ;
  • Un système commun de déclaration des intérêts financiers, des revenus, des cadeaux et des activités accessoires (éventuellement élargis aux conjoints et aux membres de la famille à charge mais sans publication dans ce cas) ;
  • Un corpus de règles concernant les cadeaux, voyages, marques d’hospitalité et autres avantages ;
  • L’interdiction pour les membres de l’APCE d’exercer des activités rémunérées de lobbying ou de conseil, incluant une période de carence après la cessation des activités ;
  • Un cadre solide et cohérent concernant les relations avec les lobbistes et autres tiers cherchant à influencer le travail parlementaire ;
  • La mise en place d’un système de sanctions efficaces proportionnées et dissuasives pour réprimer les manquements au code de conduite.

Le Greco a appuyé ses conclusions sur un certain nombre de constats qui pour la plupart surprennent ou indignent. Au cours des dernières années ont été adoptées diverses règles, mais la multiplication des textes, souvent regroupés de façon imparfaite, n’a pas facilité leur mise en œuvre.

Il existe un cadre règlementaire (Code of conduct for members of the Parliamentary Assembly) mais il appelle bon nombre d’améliorations. Par exemple en matière de déclarations relatives aux dons et divers avantages où le manque de cohérence permet de contourner facilement les dispositions. A ce jour signale le rapport, c’est seulement deux déclarations de cadeaux qui ont été faites. L’obligation de signalement d’éventuels conflits d’intérêt n’est ni clairement, ni systématiquement requise. L’APCE n’a pas non plus de mécanisme pour la déclaration systématique et périodique des intérêts, des revenus et des actifs, contrairement à la pratique courante dans certains pays. En outre bien que l’APCE ait joué un rôle clé dans la promotion de la nécessité de règlementer et d’accroître la transparence du lobbying et des contacts avec les tiers, cette matière ne fait pas l’objet d’un encadrement approprié et ambitieux.

Les prises de décisions sont excessivement discrétionnaires et tout particulièrement en ce qui concerne les normes relatives à l’intégrité. Le président ne peut pas être tenu responsable de ses propres manquements. La création de plusieurs organes de supervision s’impose donc, ils devraient être dotés de moyens, d’outils procéduraux et d’une indépendance opérationnelle garantie.

Notons cependant que les règles relatives à l’immunité des membres de l’APCE concernant la non responsabilité et l’inviolabilité ne peuvent être invoquées pour protéger les infractions liées à la corruption. Mais le rapport souligne, entre autres, que pour que ses règles ne soient mal comprises, l’APCE devrait adopter un ensemble de critères cohérent et complet à appliquer lors des décisions sur la levée de l’immunité d’un membre. Une lacune grave comme tant d’autres.

Dans l’ensemble, les membres de l’APCE sont peu familiarisés avec les normes d’intégrité existantes, qu’ils doivent pourtant respecter. L’APCE doit montrer plus de détermination dans l’information et la sensibilisation de ses membres sur le sujet. A destination de ses membres, l’APCE doit multiplier et faire connaître par des formations et des conseils les implications des règles de conduite auxquelles les députés doivent se soumettre.

C’est un vaste chantier que propose le Gréco et on peut s’étonner que ses travaux n’aient pas reçu une plus large audience dans le public. La publication de ces différents rapports n’a pas été signalée, commentée par les médias, même dans un pays comme la France où leur publication a coïncidé­ avec de grosses affaires aux conséquences politiques importantes, avec par exemple la quasi démission de quatre­ ministres de premier plan, dans l’affaire de la rémunération des assistants parlementaires par le Parlement européen. Ce silence constitue en soi un problème majeur et entretient un sentiment diffus d’impunité, que l’on peut faire ce que l’on veut puisque l’on ne sait pas, ou bien que les mauvais comportements ce sont les autres et pas soi-même.

Les conclusions du Greco et du Conseil de l’Europe sur ce problème :

« Le Greco ne cesse de rappeler que dans la Convention pénale sur la corruption, il est précisé que la corruption met en danger l’état de droit, la démocratie et les droits de l’homme ; elle constitue une menace pour la bonne gouvernance, ne favorise pas un système judiciaire juste et social, elle fausse les cartes de la concurrence, met un frein au développement économique et elle met en danger la stabilité des institutions démocratiques et les fondements moraux de la société.

L’approche du Conseil de l’Europe dans la lutte contre la corruption a toujours été multidisciplinaire et comprend trois volets qui sont étroitement liés : l’élaboration de normes et standards européens, l’instauration d’un suivi pour veiller au respect de ces normes et une aide ciblée apportée aux pays et aux régions dans le cadre de programmes de coopération technique.

Le Conseil de l’Europe a élaboré un certain nombre d’instruments juridiques aux aspects multiples (cf.infra « Pour en savoir plus ») qui traitent des sujets comme l’incrimination de faits de corruption dans les secteurs public et privé, la responsabilité et le dédommagement dans les affaires de corruption, la conduite à tenir des agents publics et le financement des partis politiques. Ces instruments ont pour objectif d’améliorer la capacité des Etats à lutter contre la corruption au niveau tant national qu’international. Le suivi du respect de ces normes a été confié au Groupe d’Etats contre la Corruption, dénommé GRECO. »

Henri-Pierre Legros

Pour en savoir plus :

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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