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Les finances de l’Europe du Futur : l’heure de vérité a sonné

« Tu veux ou tu ne veux pas », la très célèbre chanson des années soixante (1963) interprétée par Brigitte Bardot pourrait résumer, avec concision, le dilemme auquel l’UE va être confrontée. En matière d’argent les choses ne peuvent pas se noyer dans une rhétorique ondoyante. Chaque chose coûte cher et un euro est un euro. Corina Cretu, commissaire à la politique régionale en sait quelque chose et s’inquiète : « soit on accepte que l’Union n’est pas capable d’affronter les défis, soit on se donne les moyens d’y faire face ». Tu veux ou tu ne veux pas.

C’est bien à ce dilemme, être volontariste sans être téméraire, qu’est confrontée la Commission lorsqu’elle présente des scénarios aux pays membres, le 28 juin dernier. À eux de prendre la décision. Elle avait déjà procédé de la même façon en présentant son livre blanc sur l’avenir de l’intégration politique de l’Union, puis la politique de défense et les autres politiques, maîtrise de la mondialisation, la dimension sociale, l’approfondissement de l’Union économique et monétaire (cf. pour en savoir plus).Elle vient donc de récidiver avec le budget postBrexit. Les besoins ne peuvent qu’augmenter alors que le budget ne peut que se réduire (une dizaine de milliards après le départ du Royaume-Uni, ou plus ?). Qui oserait considérer comme nul et non avenu la recherche, la défense, l’accueille des réfugiés, le contrôle des frontières extérieures, la sécurité intérieure ou extérieure. Il convient, c’est la moindre des choses, que chaque investissement fasse la preuve de sa valeur ajoutée et que l’Europe préserve son rôle de premier plan sur la scène mondiale en tant que principal donateur d’aide humanitaire et d’aide au développement et en tant que chef de file de la lutte contre le changement climatique, le document de la Commission le reconnaît bien volontiers. Et quid du montant, entre 60 et 100 milliards pour solde de tout compte des politiques auxquelles le Royaume-Uni a souscrit ? Choix difficile que la Commission préfère laisser aux autres. Mais est-ce bien judicieux ? Les pères fondateurs se retournent dans leur tombe et Jacques Delors, lui encore bien vivant, pique une nouvelle colère contre cette Commission qui bafoue ainsi son droit d’initiative. Les réformes envisagées seront d’autant plus difficiles qu’elles doivent être acceptées à l’unanimité et l’accord trouvé, il faudra qu’il soit ratifié par les parlements nationaux.

Dés lors comment s’étonner que la Commission proposent cinq scénarios pour l’avenir des finances de l’Europe cela va de ‘faire moins ensemble’ jusqu’à ‘décider d’aller de l’avant’ sans attendre les autres et en débloquant aux passages des budgets complémentaires pour l’une ou l’autre politique bien identifiée et clairement circonscrite. Bref il y en a pour tous les goûts.

Cinq pistes différentes présentées par la Commission européenne

La première piste s’inscrit dans la continuité en poursuivant le programme actuel à un coût stable. La deuxième : faire moins ensemble, réduire à la fois l’envergure des actions de l’UE et les coûts qui lui sont liés. La troisième solution : certains font plus et on ajusterait les contributions des États membres en fonction de leur participation. La quatrième piste, celle de la réforme radicale consisterait à financer uniquement des priorités à haute valeur ajoutée européenne qui aurait pour conséquence de réduire le volume d’un budget européen déjà chétif, c’est l’approche aristocratique du petit nombre et de l’excellence. Enfin dernière solution, faire ensemble beaucoup plus , ce qui implique que soient résolus des problèmes sur lesquels on se casse le nez depuis plusieurs décennies. Finalement on en revient à la question initiale : tu veux ou tu ne veux pas ?

Comment éviter, à l’avenir, que s’accumulent les impayés quand on ne peut emprunter sur les marchés ou fabriquer sa propre monnaie ? D’où cette exposition de trouvailles ni franchement inédites, ni totalement convaincantes : mettre fin à la logique du « juste retour », développer « les ressources propres », éternels serpents de mer. Reprendre les meilleurs morceaux du rapport Monti de janvier dernier : prélèvement d’une portion de l’impôt sur le revenu, taxe sur les transactions financières, utilisation du droit à polluer ou taxe carbone. Comment éviter de remettre en cause les vaches sacrées du Budget : la politique agricole commune et les politiques de cohésion, une démarche proprement suicidaire bien que présente dans les scénarios. La Commission a refusé le chemin glissant, scabreux même, du politique. Par exemple on ne peut s’interdire de poser la question des aides massives consenties aux pays de l’Europe orientale. Dans le contexte actuel marqué par les dérives de la Pologne ou de la Hongrie, faudrait-il lier les financements européens à un plein respect des règles de l’État de droit ? Impensable !

Il est temps que le budget de l’UE fasse peau neuve, un budget plus simple et plus flexible, permettant de croître plus rapidement « dans une Union sans cesse plus étroite », ne laissant personne sur la bas côté de la route dans une économie mondialisée. On attend que l’Union joue un rôle plus accru dans toute une série de domaines stratégiques, cela a un coût bien évidemment. Le budget devra évoluer c’est une certitude. La manière dont ce budget évoluera et sera utilisé dépendra de notre avenir et du niveau d’ambition que nous nous fixons pour construire ensemble cet avenir. Dans l’immédiat il s’agit de susciter un débat le plus approfondi possible. Ce n’est pas une opération de routine comme chaque fois qu’il faut adopter le cadre financier pluriannuel. Nous ne sommes plus dans le rituel.

Le niveau national nous a appris combien faire un budget est source de crises et de tensions graves, l’UE n’y échappera pas. Il faut s’y préparer par une meilleure information du citoyen, une information dont il a été sevré depuis toujours. À cet égard avec son document de réflexion sur le financement de l’Europe, la Commission a fait un effort méritoire, mais subsistent trop de lacunes, subsiste une absence d’approfondissement, la foire aux questions est très nettement insuffisante et reste à la surface des choses. Pourchasser les mythes concernant le budget européen constitue un effort méritoire mais lui aussi reste à la surface des choses.

C’est à une discussion ample et profonde que nous sommes conviées. Déjà nous sentons bien à la simple lecture de ces documents à quel point ces questions sont importantes. Le débat devrait se poursuivre pendant encore trois semestres, il devra être aussi large que possible afin que l’Europe dans son ensemble réfléchisse sérieusement à son avenir. Le prochain discours du président Juncker sur l’État de l’Union en septembre prochain sera certainement une étape importante à ne pas manquer avec comme objectif final la présentation à la mi-2018 du prochain cadre financier pluriannuel.

La valeur ajoutée européenne devrait être au cœur de toutes les discussions : tout euro dépensé au niveau européen vaut plus qu’un euro dépensé dans un cadre purement national. L’action au niveau européen va plus loin que ne pourraient le faire des efforts nationaux. Le coût de l’inaction est, lui, catastrophique.

Henri-Pierre Legros

Pour en savoir plus :

– Livre blanc sur l’avenir de l’Europe https://ec.europa.eu/commission/white-paper-future-europe-reflections-and-scenarios-eu27_fr.

– Document de réflexion sur la dimension sociale de l’Europe(26 avril 2017) https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/reflection-paper-social-dimension-europe_fr.pdf.

– Document de réflexion sur la maîtrise de la mondialisation(10 mai 2017) https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/reflection-paper-globalisation_fr.pdf.

– Document de réflexion sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire(31 mai 2017), fondé sur le rapport des cinq présidents de juin 2015 https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/reflection-paper-emu_fr.pdf.

– Document de réflexion sur l’avenir de la défense européenne(7 juin 2017) https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/reflection-paper-defence_fr.pdf.

– Document de réflexion sur l’avenir des finances de l’UE(28 juin 2017) https://ec.europa.eu/commission/publications/reflection-paper-future-eu-finances_fr.

– «Future financing of the EU», rapport final du groupe de haut niveau présidé par Mario Monti http://ec.europa.eu/budget/mff/hlgor/library/reports-communication/hlgor-report_20170104.pdf.

– Cadre financier pluriannuel (2014-2020) http://ec.europa.eu/budget/mff/figures/index_fr.cfm.

– L’avenir des finances de l’UE: les cinq scénarios https://ec.europa.eu/commission/files/future-eu-finances-five-scenarios-implications_fr.

– L’avenir des finances de l’UE: faits et chiffres http://ec.europa.eu/budget/mff/figures/index_fr.cfm.

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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