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Former French Economy Minister and founder of the political movement "En Marche" (On the Move) Emmanuel Macron gestures as he delivers a speech in Strasbourg, eastern France, on October 4, 2016 during his first major political rally called "The France that suffers". Emmanuel Macron holds, in Strasbourg, on October 4, his first major political rally called "The France that suffers", in a series of three meetings aimed at presenting a "diagnosis" of France ahead of a possible candidacy for the French presidential elections of 2017. / AFP PHOTO / PATRICK HERTZOG

Emmanuel Macron à Strasbourg devant la Cour Européenne des droits de l’homme : le retour de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ?

Un discours qui va bien au-delà de la justification de sa loi contre le terrorisme, ou un exercice de diplomatie vis-à- vis de la Russie ou de la Turquie, mais avec le rappel de la formule de de Gaulle, l’Europe de l’Atlantique à l’Oural (1), il vient souligner une grande donnée d’ordre géopolitique. Pour lui « ce sont les frontières d’une civilisation » . C’est aussi une Europe des valeurs que le président  a défendue au point de faire de cette visite un symbole qui  le  consolide à nouveau dans son statut de leader européen, un statut auquel manifestement il attache de l’importance. Cette Europe des valeurs fait des droits de l’Homme la « marque de fabrique » qui prévaut dans un cercle de pays bien plus large que l’actuelle Union européenne. C’est aussi un ultime rempart contre la dilution des repères dans une mondialisation anarchique qui nous bouscule et que beaucoup d’Européens voudraient combattre, suggère-t-il. La Convention européenne des droits de l’homme est « une formidable protection collective ».

L’Europe et le terrorisme, la loi antiterroriste française

D’emblée le président français  a reconnu que «  nous n’étions pas assez préparés » (« la menace est permanente et protéiforme »), mais c’est avec vigueur que  le président français Emmanuel Macron a défendu  devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) la loi antiterroriste qui entre en vigueur le 1er novembre et prend le relais de l’état d’urgence. Il affirme qu’elle « protège (les) concitoyens mais aussi les droits de l’Homme ».

« Ce texte est efficace, respectueux et protecteur et s’inscrit dans la Convention européenne des droits de l’homme », a-t-il dit, en réaffirmant dans le même temps son attachement à cette Convention qui « garantit aux 830 millions d’Européens une protection sans équivalent dans le monde et est un modèle pour l’humanité entière ».

La loi antiterroriste, qui renforce les capacités d’intervention des forces de l’ordre en cas de menaces terroristes, a été critiquée par des ONG et la gauche radicale, qui l’estime « liberticide ».

Mais, rétorque le président Macron, « Nous demeurons dans le cadre de l’Etat de droit et sous le contrôle du juge. Mais la sécurité est la condition même pour que nos libertés puissent être respectées ». Cette loi « n’a aucunement pour objet de pérenniser l’état d’urgence comme certains l’ont dit, mais prévoit des mesures nécessaires à la protection de nos compatriotes, strictement définies, encadrées et soumises à un contrôle renforcé du juge », a aussi déclaré M. Macron à l’issue d’un entretien avec le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjorn Jagland. Ce n’est nullement une loi d’exception.

« Le terrorisme vise la société européenne, ses mœurs, le consensus moral qui est le nôtre, ce socle commun dont les fondements sont les droits de l’Homme (…). Nous n’étions pas assez préparés au terrorisme djihadiste, son idéologie mortifère, qui nous ont conduits à réorganiser profondément notre droit », a-t-il fait valoir devant les juges de la CEDH.

Le chef de l’État français a rappelé que la loi sera évaluée d’ici à deux ans et modifiée ou complétée si nécessaire.

« Nous devons protéger nos concitoyens mais aussi les droits de l’Homme car ils sont au cœur même du combat contre les terroristes, car c’est ce qu’ils souhaiteraient que nous abandonnions », a-t-il conclu.

La Russie et la Turquie

Emmanuel Macron s’est dit gravement préoccupé par la situation en Russie et en Turquie, il la dit [Devant les juges de la Cour européenne des droits de l’homme] , tout en défendant le maintien du dialogue plutôt qu’une politique de sanctions aux succès si décevants .Il s’est inquiété à Strasbourg des dérives « autoritaires » de certains membres du Conseil de l’Europe, dont la Russie et la Turquie, tout en défendant le maintien du dialogue plutôt qu’une politique de sanctions, selon lui inefficace.

“Nous sommes aujourd’hui dans une situation où plusieurs Etats membres ne respectent pas de manière évidente, presque revendiquée, les termes mêmes de la Convention européenne des droits de l’homme. En Turquie, en Russie pour ne citer que ces Etats, mais ils ne sont pas les seuls, ce risque est avéré”, a déclaré le président français.

“Nous assistons au retour en force de régimes autoritaires ou d’une fascination dans de nombreux endroits européens, pour les démocraties illibérales”, a-t-il ajouté, y voyant une situation qui “peut collectivement nous affaiblir si nous décidions de ne pas la traiter”.

Emmanuel Macron a ciblé les Etats membres du Conseil de l’Europe « qui ne respectent pas les termes de la Convention européenne et « bousculent sa légitimité », la Turquie et la Russie, certes, mais ils ne sont pas les seuls. Leur mauvais exemple peut se propager « partout en Europe » si des réponses fortes et cohérentes ne sont pas apportées à « ce qui se noue » dans ces pays. A terme c’est la démocratie qui est menacée.

Or la démocratie, les droits fondamentaux sont à la fois « le bien commun de l’Europe » et « sa marque de fabrique, ils marquent de leur sceau « une civilisation qui va de l’Atlantique à l’Oural ». Ce sont 830 millions de citoyens que protège la Convention. C’est une dénonciation en règle des Etats « qui voudraient jouer en solitaire leur propre rôle et faire route de leur côté ». Ces pays « sortent de l’Europe et privent leurs habitants de leurs droits les plus fondamentaux ». Les pays visés sont clairement la Russie, la Turquie mais aussi le Royaume-Uni qui tous refusent de se plier aux dispositions des arrêts de la Cour. Le respect des conventions internationales est intangible, a martelé Emmanuel Macron, soulignant « le surcroît d’impartialité » qui fait la « la force de la Convention » grâce à son « regard extérieur ». Inflexible dans la critique, Emmanuel Macron n’en prône pas moins le dialogue avec ces deux pays « qui doivent coûte que coûte, rester au sein du Conseil de l’Europe car leur destin ne se construira pas en tournant le dos à l’Europe (…) Il faut dénoncer, mais pas fermer la porte en les laissant s’exclure de tout ». Pas d’autre choix donc que de « mener un dialogue parfois ingrat qui consiste à tenir le fil parce que leurs peuples le méritent parce que leurs citoyens sont européens » et parce que les droits de l’homme sont « universels » et pas « occidentaux ».

Navré, Macron constate qu’aujourd’hui « plusieurs pays ont basculé de l’autre côté, soit par peur, soit parce que des extrêmes ont pris le dessus, soit parce que des dérives autoritaires ont pris le dessus (…). Face à ces dérives, en particulier en notre sein, nous devons regarder la situation en face et la dénoncer sans jamais renoncer (…). Nous devons parler à chacun (…) rien ne sert d’exclure celles et ceux qui, aujourd’hui, ne respectent pas nos droits fondamentaux, celles et ceux qui veulent tourner le dos à leur propre histoire ». Pour Emmanuel Macron il reste impensable que la Turquie et la Russie tournent le dos à l’Europe car elles sont « arrimées à l’Europe. Puisque leur histoire, leur géographie, leur littérature, leur conscience politique se sont construites en se frottant à l’Europe ». Il renouvelle sa profession de foi : « il ne croit pas à la prétendue opposition entre nos valeurs et nos intérêts ».

Surpopulation carcérale: Macron veut créer une Agence des travaux d’intérêt général « Un chantier immense ( …) mais indispensable ». L’obligation d’exécution inconditionnelle des arrêts de la Cour. Le prix à payer pour donner l’exemple…

« La France a plusieurs fois été condamnée par la CEDH pour sa surpopulation carcérale ; elle ne peut pas être fière des conditions dans lesquelles un certain nombre de personnes peuvent être détenues en France en raison d’une surpopulation chronique avec un taux d’occupation de 139%, 70 000 détenus, 1300 matelas au sol, a précisé le président. « Ces statistiques sont insupportables », a-t-il regretté.

Aussi le président de la République a annoncé  avoir pour « projet de créer une Agence » chargée de développer et « d’encadrer les travaux d’intérêt général » qui se substitueraient aux peines de prisons, luttant ainsi contre la surpopulation dans les prisons.

« Je souhaite développer les travaux d’intérêt général, qui ne constituent que 7 % des peines prononcées mais nécessitent la mobilisation coordonnée de tous les acteurs », a expliqué Emmanuel Macron. L’enfermement ne doit pas être le seul horizon. La France prévoit  l’ouverture de places supplémentaires, a-t-il rappelé, dans le cadre des chantiers de réformes en cours au ministère de la Justice 15 000 places de prison promises sur le quinquennat.

« Pour certaines situations, ce sont des peines qui sont extrêmement efficaces », a précisé devant la presse la garde des Sceaux Nicole Belloubet, qui accompagnait Emmanuel Macron à Strasbourg. « Pour gérer ces peines d’intérêt général, il faut des lieux d’accueil, un suivi, une prise en charge. Sans doute, pour cela nous, avons besoin d’une organisation adaptée ».

Le président a pris le temps de préciser sa pensée : c’est tout un corps de doctrine et un programme qu’il a présentés aux juges. Il a fait le mea culpa de tout le monde: nos dysfonctionnement conduisent parfois à prononcer des peines alors qu’elles ne sont pas forcément la bonne  réponse. Le système d’application des peines conduit à ne pas regarder avec suffisamment de rigueur la bonne application. « Nous avons prononcé des peines et rempli les prisons. J’ai bien conscience que continuer ainsi ne serait pas une fin en soi ». Emmanuel Macron en appelle donc à une réflexion en profondeur «  philosophique et pratique sur notre politique pénale, son sens profond, la place de la peine, mais aussi l’indispensable réintégration du détenu ». Dans notre système carcéral, il n’y a pas de place pour un travail  redonnant sa chance au détenu, constate-t-il. « Il est indispensable de repenser le sens de la peine, tirer partie de la révolution juridique, réformer l’organisation judiciaire, la procédure, réfléchir à accroître l’effectivité des peines, leur pleine exécution, mais aussi développer des peines alternatives ». Le président souhaite à cet égard développer le recours au  travail d’intérêt général (actuellement 7% des peines prononcées). Ce système  supposera la participation active de la personne condamnée ; sa dimension pédagogique est évidente : c’est un facteur d’insertion, une porte vers l’emploi. La difficulté réside dans le fait qu’un bon fonctionnement du système supposera une mobilisation coordonnée de tous les acteurs, nombreux : magistrats, services de probation et d’insertion, collectivités territoriales, entreprises etc. L’alternative c’est la récidive, la radicalisation.

Le Parlement européen devrait y trouver un rôle plein  et se souvenir qu’il y a quatre ans il avait, un instant, penser faire un rapport d’initiative sur les pratiques pénitentiaires dans l’Union européenne. Cette bonne intention a été perdue en cours de route. Il est temps de la remettre à l’ordre du jour .

Conclusion 

Ce discours est un discours fondateur de la présidence Macron et à ce titre il rejoint les discours de l’Acropole ou de la Sorbonne en raison de l’ampleur politique des propos tenus. Il produit du sens, il place au premier rang le principe de cohérence, ne rabaisse pas nos ambitions européennes, auxquelles il donne force et consistance par des propositions concrètes, il propose une stratégie dans une Europe qui a profondément besoin de renouveler l’adhésion des citoyens. Reste à mobiliser les opinions au travers des conventions démocratiques.

L’enjeu concerne aussi le Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme, dans un contexte où  un certain nombre d’Etats membres remettent en cause sa dimension supranationale, son pouvoir, méconnu mais réel. Le discours d’Emmanuel Macron, un rappel utile, est aussi un « petit cours » sur le Conseil de l’Europe, ses organes(par exemple la commission de Venise, « la démocratie par le droit »), ses procédures et son mode de fonctionnement. Ce n’est pas négligeable et les enjeux sont importants : ainsi, même s’il n’en fut pas question, ce fut une occasion pour ne pas oublier l’organisation d’un sommet en 2019, pour le 70ème anniversaire de la création du Conseil de l’Europe. Le 31 octobre, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a lancé un appel à l’organisation d’un tel sommet, « indispensable pour préserver et renforcer le projet paneuropéen dans un Europe qui a profondément changé depuis 2005 », date du dernier sommet organisé à l’époque à Varsovie.

(1) La formule est tirée du discours de de Gaulle prononcé à Strasbourg en novembre 1959 : « Oui, c’est l’Europe depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural, c’est toute l’Europe qui décidera du destin du Monde ».

 

Henri-Pierre Legros

Pour en savoir plus :

De l’Atlantique à l’Oural, De Gaulle et l’Europe http://fresques.ina.fr/de-gaulle/parcours/0004/de-gaulle-et-l-europe.html

Journal la Croix :Macron au Conseil de l’Europe https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Devant-CEDH-Emmanuel-Macron-plaide-democratie-forte-2017-10-31-1200888587

https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Emmanuel-Macron-CEDH-veille-sortie-letat-durgence-2017-10-31-1200888449

Transcription du discours d’Emmanuel Macron à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) http://www.elysee.fr/declarations/article/transcription-du-discours-du-president-de-la-republique-a-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme/r

Déclaration conjointe de Emmanuel Macron et du secrétaire Général du Conseil de l’Europe Thonrbjorn Jagland http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-conjointe-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-avec-le-secretaire-general-du-conseil-de-l-europe-thorbjorn-jagland/

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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