You are currently viewing Deux mois après l’assassinat de Jan Kuciak

Deux mois après l’assassinat de Jan Kuciak

Cette Europe Centrale et Orientale qui dit non à Bruxelles ; L’ombre portée de la Russie et du chaos en Ukraine ; L’espace européen de la criminalité internationale organisée l’emportera-t-il sur l’espace de Liberté, Sécurité et Justice (ELSJ) ? Face au meurtre de Jan Kuciak, toujours cette relative indifférence européenne que challenges a qualifié d’affolante : le Parlement européen fera rapport et arrêtera sa résolution, plus de deux mois après le meurtre, à la séance plénière du Parlement européen du mois d’avril, ce qui qui fera perdre inévitablement de son poids politique, alors que vigueur et célérité auraient dû guider la conduite des Européens.

Mais aujourd’hui l’actualité fait que ce sont les réactions qui ont suivi les élections italiennes qui servent de révélateur de la crise profonde que traverse l’Europe dans l’attente des élections hongroises. Des voix plus nombreuses et plus insistantes nous alertent, mais est-ce que nous nous rendons compte de l’urgence ? L’article d’ Alain Duhamel « le populisme partout et l’Europe nulle part » (cf. Pour en savoir plus ), au pessimisme certes un peu excessif, comme le rapport  de l’Institut Blair (« cette Europe qui dit non à l’Europe ») deux articles à lire qui ne peuvent être repoussés d’un simple revers de mains  négligent.  Ces opinions se développent dans un climat malsain de fakenews,, de désinformation de sites extrémistes. Vingt-huit ans après la chute du mur de Berlin, le rideau de fer est toujours là, semble-t-il. Poutine avance ses pions et « les amis de la Russie » refusent de se laisser dicter leur conduite par personne et certainement pas par Bruxelles. Mais restons prudents, nous invite Cyrille Bret dans un excellent article publié par Télos : les différences sautent aux yeux par rapport à la précédente guerre froide : si la tension est bien réelle, l’affrontement idéologique a disparu, nous dit-il «  La Fédération de Russie n’a pas de modèle alternatif constitué et exportable à proposer au monde pour soutenir sa position internationale ». C’est une différence assez nette avec les pays d’Europe Centrale et Orientale, saisis d’une ardeur nouvelle pour proposer leur modèle au moins à leurs voisins, et même bien au-delà, dans une croisade anachronique. La Croatie qu’on a cru un instant sauvée, retombe dans la démagogie nationaliste et après d’autres États s’écartent des valeurs européennes. La tache sombre sur la carte de l’Europe qui dit non à Bruxelles grandit, d’une façon inexorable (cf. « Pour en savoir Plus »). Des blocs de média « alternatifs » surgissent avec des moyens de financement importants. Les alliances et les équilibres sont fragiles et peuvent changer brutalement. Considérons ce qu’ils étaient il y a encore peu de temps.

On peut affirmer sans exagérer que l’avenir politique de l’Europe repose sur un affrontement sévère entre deux ensembles également solides, dont l’un, le populisme sous toutes ses formes et variantes, est appelé à durer. Lequel des deux camps assumera le sort de l’Europe ? Le projet civilisationnel européen est menacé. Qui pourra remettre l’Europe sur le droit chemin ? Personne, sinon les Européens eux-mêmes.

Quelle nouvelle voie rechercher ? Moins de bureaucratie, plus de transparence et d’opportunités pour les citoyens, également plus d’engagements possibles. Le lancement du prochain cadre financier pluriannuel ( MFF) qui nous conduira autour de 2030 est une occasion en or, mais qui s’en soucie ? Peut-être aussi le lancement prochain des « consultations citoyennes » fournira-t-il cette opportunité ? Peut-être aussi plus d’attention aux autres de la part de l’UE, un comportement moins abrupt, plus conciliant . C’est ce à quoi nous invite Chantal Delsol dans un article intitulé « Pourquoi les peuples d’Europe centrale refusent nos leçons de morale » .

Les conflits entre  l’Est et l’Ouest ne cessent de grandir, chaque jour un peu plus acrimonieux. Cette incompréhension vient de loin et nous n’y avons pas pris garde. Les sociétés de l’Est,  si longtemps à l’écart  de tout du fait de la glaciation soviétique, découvrent un paysage totalement nouveau : un processus de mondialisation donnant l’impression de dévaloriser le passé en offrant  des perspectives universalistes qui tiendraient pour obsolètes les identités particulières. Les pays d’ Europe centrale  considèrent comme particulièrement menacées leurs propres identités, ainsi par exemple ces sociétés sont dans leur ensemble davantage attachées à la religion vue et vécue comme fondatrice de leur identité, d’où la tentation pour l’est du rejet de l’ouest simplement parce qu’il n’essaye pas du tout de les comprendre et le multiculturalisme de l’ouest est vécu par l’est comme une forme de mépris. Il ne s’agit pas des mêmes valeurs, selon Chantal Delsol « eux et nous ne sommes pas contemporains », dit Chantal Delsol mais est-ce bien un combat valeurs contre valeurs ?

 Ces pays ressentent une impression traumatisante que, enfin rentrés chez eux après les décennies tragiques de la guerre, puis du communisme, ils retrouvent leur chez-soi défiguré, se sentent en état d’insécurité culturelle, tout comme d’ailleurs certains populismes de l’Ouest face aux migrations. Pour l’Est, la liberté a des limites : il faut promouvoir contre la mondialisation un patriotisme économique fort tout comme au niveau de l’individu : son émancipation a aussi des limites et il faut modérer les réformes sociétales, hautement suspectes. D’où la volonté de ce pays de rendre à leurs Parlements nationaux leurs pouvoirs puisqu’ils n’auraient désormais  plus le choix de société, obligés qu’ils sont d’approuver le courant dominant. C’est par exaspération contre un monde étranger qu’on veut leur imposer que ces courants dits populistes portent des intentions jusqu’au-boutistes et extrémistes. Les sociétés d’Europe centrale se présenteraient comme une rébellion, qui prendrait la forme d’une demande d’une révolution conservatrice contre une modernité que l’Union Européenne voudrait leur imposer. Une révolution pour combattre le matérialisme, la décadence des mœurs, les excès de l’universalisme financier et pour défendre l’enracinement, la tradition, les identités. Bref, défendre les valeurs.

L’argumentation de Chantal Delsol  a ses mérites et doit être entendue : faire un effort d’attention, de respect, de considération. Mais son argumentation trouve rapidement ses limites, une rhétorique incantatoire dont l’invocation répétée transforme les « valeurs » en une sorte de pavillon de complaisance qui couvre n’importe quelle marchandise, des marchandises les plus diverses, certaines douteuses. Certes, le monde a besoin de valeurs, mais pas de valeurs anachroniques. Peu à peu s’installe un régime permanent de confrontation entre l’idée d’un  nationalisme exacerbé  qui revient en force et la nécessité d’un partage de souveraineté, un partage équitable, négocié encadré par le droit. La souveraineté nationale absolue, à l’état pur, n’arrive à rien dans un monde globalisé. L’Europe est petite, de plus en plus petite, bientôt 5% de la population mondiale. Les valeurs mises en avant par les pays de Visegrad ne sont que trop souvent un produit toxique, des slogans nous retranchant du monde, nous mettant à l’écart, dans une illusion faite d’un passé révolu. Un produit toxique ? La preuve : les propos extravagant du président polonais Andrzej Duda qui a comparé l’appartenance de son pays à l’UE à son occupation par la Russie, l’Autriche et la Prusse pendant 123 ans et qui a évoqué la menace permanente constituée par des décisions prises pour le compte de la Pologne « dans des capitales lointaines (…) où l’argent fruit du travail des polonais est dépensé ». Propos irresponsables et dangereux. L’UE n’est pas un envahisseur mais une communauté d’États démocratiques à laquelle la Pologne a adhéré en 2004 après une décision souveraine lors d’un référendum national et la Pologne est le pays bénéficiant le plus du budget européen, avec 100 milliards d’euros nets de 2004 à 2017. L’énormité du propos décourage toute réplique, au même titre que les déclarations de Viktor Orban, qui pour les 170 ans de la révolution hongroise, a multiplié les attaques contre l’UE et l’empire mondialiste et où il a opposé « les millions d’européens guidés par leur sentiment national à l’élite des citoyens du monde », fustigeant « ceux qui ont transformé l’Europe sans demander l’avis des peuples », oubliant au passage que la Hongrie sera le seul membre de l’UE à refuser que soient organisées les « consultations citoyennes » proposées par Emmanuel Macron, auxquelles tous les autres pays se sont ralliés et dont l’objectif est précisément de pallier la déconnexion entre les populations et les décisions prises à Bruxelles. Autre source d’incompréhension, cette loi polonaise sur la vérité en histoire qui, entre autres, constitue une atteinte à la liberté de recherche et à son expression. Autant de produits toxiques jetés sur les relations entre l’est et l’ouest de l’Europe.

Un produit toxique lorsqu’on jette un œil sur le fonctionnement de la démocratie dans ces pays, leurs institutions et leurs  comportements où souvent dominent violence et instabilité, arbitraire et corruption. De plus en plus des dérives disqualifient les régimes. Ainsi le journal Le Mondedu 11 et 12 mars titre : « l’inquiétant recul de la liberté de la presse en Europe centrale et orientale. La concentration des médias aux mains d’une poignée d’oligarques menace le pluralisme.  L’affaire Kuciak est plus qu’un fait divers tragique ou un accident. Quelques jours après l’assassinat de Jan Kuciak, la Commission européenne adressait un avis motivé à la Slovaquie concernant la mauvaise transposition de la quatrième directive anti-blanchiment. 20 Etats membres sont actuellement visés par des procédures d’infraction pour non-transposition des dernières règles de l’Union en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. Une cinquième directive sera prochainement discuté au Parlement européen. Tout cela est inquiétant, le blanchiment des capitaux étant un des lieux de parcours favori des mafias comme l’avait clairement démontré le rapport de Sonia Alfano. L’assassinat de Jan Kuciak ne concerne pas un petit pays , lointain, la Slovaquie, mais nous concerne tous, la libre circulation de la criminalité organisée fonctionne. Face à cette criminalité sans frontière identifiée comme telle depuis longtemps, seul l’espace européen de liberté, sécurité et justice est susceptible d’apporter une réponse durable.

Pourquoi ces considérations à propos de cet assassinat odieux et inquiétant ? C’est parce qu’elles constituent le terreau sur lequel  prospèrent la criminalité organisée, la corruption, les atteintes à la liberté de la presse, à la liberté d’expression, à l’Etat de droit et maintenant les assassinats, puisque les formes habituelles d’intimidation et de pression ne suffisent plus .La liste n’est pas close, un processus logique peut nous conduire malheureusement plus loin jusqu’à avoir des milices paramilitaires ,comme celles qui apparaissent en Pologne : lisons l’article  de Human Rights Watch sur la situation en Colombie pour mesurer la capacité  de nuisances d’un engrenage fatal (Cf  Pour en savoir Plus :Interview « murder and Corruption  in Colombia NewsBook Details the Bloody Rise of Paramilitairies with Government Ties ».Tout cela se justifierait au nom de la défense  des valeurs ?

Nous n’en sommes pas encore là, mais la vigilance s’impose si on ne veut pas être emporté par un engrenage fatal qui serait fort dommageable, même dans des formes plus modérées que dans le cas colombien.

A ce stade, un bilan européen est nécessaire : Parlement européen, Commission européenne, opinion publique.

Une source de satisfaction importante doit être soulignée. Elle est le fait de la population slovaque sa réponse : une colère forte à grondé pendant plusieurs semaines dans les rues slovaques depuis fin février et elle n’a pas  cessé de s’amplifier, plusieurs dizaine de milliers de personnes, du jamais vu depuis la «  révolution de velours » et la chute du mur, un foule scandant le slogan : «  pour une Slovaquie honnête ». Suite à ces évènements, la Slovaquie doit affronter une crise politique profonde. Plusieurs membres du gouvernement de Robert Fico ont démissionné début mars ; puis, le lundi 12 mars ce fut celle du ministre de l’intérieur, Robert Kallinak, dans un souci d’apaisement et de recherche des coupables de l’assassinat, mais lui-même fait déjà l’objet de soupçon d’entraves à la justice dans une affaire de corruption présumée. Puis l’annonce le mercredi 14 mars de la démission du Premier Ministre, Robert Fico. D’où un réel chaos politique et l’attente de la confirmation des solutions avancées : des élections anticipées sont exclues, le nom de Peter Pellegrini comme Premier Ministre semble faire l’objet d’un consensus. Robert Fico a accepté de démissionner moyennant trois conditions : le respect des résultats des élections de 2016, le respect et la garantie de l’accord de coalition du gouvernement actuel et l’acceptation que celui-ci propose un nouveau candidat à la tête du futur gouvernement, ce qui vient d’être fait. Ces démissions en cascade vont-elles constituer l’amorce d’un regain de calme et de prise de conscience de la nécessité de réformes profondes ? Trop tôt pout le dire mais sans elles il était inespéré d’attendre le moindre sursaut.

Côté européen, la situation slovaque est suivie attentivement après des débuts hésitants ; la Commission européenne reste timorée mais elle  fait un effort, tente de se ressaisir, à l’image de son porte-parole : ses déclarations antérieures n’étaient pas des « déclarations de condoléances » comme a ironisé une partie de la presse bruxelloise,« c’étaient des déclarations de condamnation ferme. Ces actes ne sont pas compatibles avec le système démocratique en Europe et au-delà de l’Europe » (…) La Commission reste très sensibilisée à cette question : « nous sommes en faveur d’une législation qui protège les lanceurs d’alerte », une belle déclaration d’intention mais insuffisante. La Commission européenne saura-t-elle affronter  le terrible secret des affaires qui pour l’instant bloque toute avancée en la matière ? La Commission reste largement dans l’expectative, condamnée à réaffirmer des positions de principe évidentes , plutôt que de faire cesser les procédures abusives auxquelles les journalistes sont confrontés de façon régulière, (par exemple l’affaire Lucàs Milan ). La Commission préfère dire, une fois de plus  : « nous serons très attentifs et très vigilants à la défense des journalistes et de leur liberté d’expression », où, se réfugiant derrière le secret de l’instruction redire que les investigations judiciaires et policières sont en cours. « On ne peut pas s’exprimer pour autant que le résultat ne soit pas connu », comme le rapporte Nicolas Gros-Verheyden dans B2. Un air et une chanson bien connus, tout comme pour le Parlement européen où nous devons attendre la session plénière du mois d’avril. Certes, il s’est saisi des questions de la liberté de la presse et de la protection des journalistes, tout particulièrement des lanceurs d’alerte qui sont depuis un certain temps sur la table du Parlement. Le meurtre de Jan Kuciak et l’émotion qui a suivi, comme l’annonce de détournement de fonds européens permettront-ils de débloquer la situation ?

Les options politiques mises sur la table par le président slovaque et par l’ancien et peut-être futur Premier Ministre suffiront-elles ? Mais ne risque-t-elle pas d’apparaître à leur tour comme une solution de secours, transitoire, éphémère face à une colère populaire grandissante  pour qui seul un nouveau scrutin est nécessaire pour se débarrasser des corrompus et autres trafiquants en tout genre et apaiser la situation ? Dans ce contexte, la voix de la Commission européenne, celle de Julian King, commissaire européen à la sécurité, sera-elle entendue ? Pour lui, la priorité, la toute première priorité, est de  « mener une enquête indépendante et rigoureuse sur les faits et de traduire en justice les responsables ». Il a appelé les autorités slovaques à faire cela rapidement tout en s’appuyant sur la collaboration avec Europol qui immédiatement, le 28  février, a dépêché une équipe  pour apporter  son assistance à l’enquête ; le FBI et Scotland Yard participent à l’enquête également. Dur rappel à la réalité des choses, mais l’enquête piétine, il n’est fait état d’aucun progrès. Est-ce surprenant dans des pays où rituellement les rapports européens signalent les disfonctionnements récurrents de la police et de la justice dans la lutte contre la criminalité organisée en Europe ? Sait-on que, menacés par la Mafia, dix-neuf reporters italiens vivent actuellement sous protection policière permanente ? Le journal le Monde a publié  un récit détaillé de leur vie quotidienne et dresse un portait accablant de la situation (le Monde du 13 mars, « Des journalistes sous escorte policière » ) ? Un phénomène en hausse, à l’heure où le clan de la N’dranghetta est fortement soupçonné d’avoir tué Jan Kuciak. Se souvient-on également qu’il y a plus de dix ans une première alerte sérieuse concernant la première apparition du clan de la N’dranghetta  hors de ses bases habituelles avait été signalée à Duisbourg, en Allemagne, dans une pizzeria ? L’évènement, 6 morts, avait alors suscité une très forte émotion partout en Europe, puis, plus rien !

Ce débat dépasse largement les frontières de l’Union européenne et on sent le Parlement européen préoccupé, mais il est aussi divisé selon les liens que  tel ou tel groupe politique entretient avec le pouvoir en place, comme on a pu le vérifier lors du dernier débat au Parlement européen sur la situation de la justice et de la lutte contre la corruption en Roumanie, appelant notamment les autorités roumaines à respecter les recommandations du Mécanisme de coopération et de vérification. C’est un peu en vain que la Commission européenne avait essayé de sensibiliser ses interlocuteurs à l’aspect irréversible des réformes entreprises ou à entreprendre. Comme si les réformes n’étaient pas une chose inéluctable….

A ce stade, tenons nous en à la Russie et à l’Ukraine : un rapide survol nous montre un grand nombre de faits aussi inquiétants que divers, des faits éparpillés qui laissent peu de prise à l’observation comme à leur éradication. A titre illustratif, retenons les plus récents. Parmi eux , l’incendie criminel de Kemerovo en Russie où périrent 64 personnes, dont 41 enfants. L’enquête pointe de nombreuses négligences à tous les niveaux, révélatrices de défaillances publiques. La tragédie illustre des dysfonctionnements profonds dont le pays est malade : c’est la corruption des autorités locales et des services publics. C’est la corruption qui a tué , massivement, plus que bien des attentats « terroristes ».

C’est Danièle Nouy, présidente du comité  de supervision  de la Banque Centrale Européenne qui, à la lumière de cas récents, est venue plaider, devant les députés de la commission des affaires économiques du Parlement Européen, pour la mise en place d’une entité européenne chargée de surveiller la bonne application de la législation anti-blanchiment d’argent. Pour Danièle Nouy, c’est incontestablement une priorité : « La législation devrait être harmonisée, éventuellement avec une institution européenne, qui ne peut être le Mécanisme unique de supervision, chargée d’assurer son application cohérente et complète dans les Etats membres ». Certains petits pays ne sont pas en mesure d’assurer  les contrôles appropriés, ils ne sont pas suffisamment équipés en termes de ressources humaines ou d’expertise lorsqu’ils sont confrontés à des risques importants de blanchiment d’argent, a-t-elle argumenté. Alors quoi ? peut-on s’interroger « Est-ce qu’il faut que ce soit les Etats-Unis qui soient chargés de la supervision de la criminalité au sein de l’UE » ? c’est la question posée par le vert allemand Sven Giegold. Reconnaissant qu’il était très embarrassant de s’en remettre aux autorités américaines pour faire ce travail, Danièle Nouy a rappelé que l’UE a décidé de ne pas confier de compétences à la BCE en matière de lutte contre le blanchiment. Les mesures que la BCE peut prendre sont d’ampleur limitée car « les outils de surveillance ne sont pas faits pour suivre les pratiques de blanchiment d’argent ». Une fois de plus, nous avons entendu la petite voix du « non possumus » de l’Union européenne. La lutte contre la corruption est la mère de toutes les batailles.

Abandonnons pour un bref instant la corruption pour nous tourner vers la liberté de la presse et c’est alors un sentiment d’accablement qui domine comme en témoigne l’échange de vues entre la sous-commission aux droits de l’homme (DRI) du Parlement Européen et l’East StratCom Task Force (ESTF), organe de l’UE destiné à contrer la propagande dans les pays de l’Europe centrale et orientale. Pier Antonio Panzeri, président de la sous-commission des droits de l’homme, et Othmar Karas, président de la commission parlementaire de coopération PE : Russie ont parlé de caricature d’élections concernant l’élection de Poutine. Jon Kyst, représentant de l’ESTF a décrit en détail le système de désinformation du  Kremlin, très organisé et mis à jour chaque semaine par l’Etat russe. Aujourd’hui, la Russie est classée 148e sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la Presse de « Reportes sans frontières ». « Aujourd’hui, la répression russe a atteint un niveau jamais  vu depuis la fin de l’ère soviétique », a estimé Philippe Dam, représentant de Human Rights Watch. « L’UE doit continuer à apporter son soutien moral, continuer à parler des affaires et lutter contre cette rhétorique anti-médias imposée par le Kremlin (…)» et aussi, il faut l’admettre, par Donald Trump.

Vis-à-vis de l’Ukraine, l’Union use d’un autre ton, plus bravache mais aussi inefficace, elle ne s’est toujours pas saisie d’une façon résolue du problème, un problème à prendre à bras le corps .Le débat a été mené au sein de la délégation du PE à la commission parlementaire UE-Ukraine et ses membres Darusz Rosati (PPE polonais), Rebecca Harms (Verts/Allemande) et le rapporteur Michael Gahler (PPE allemand) ont certes demandé un « engagement fort et commun » des institutions ukrainiennes concernées par la lutte contre la corruption : « La lutte contre la corruption mérite un engagement fort qui devrait être reflété dans des documents stratégiques établissant des priorités assorties de délais précis ».Les Ukrainiens ont plaidé que la corruption n’était pas seulement combattue par la mise en place d’institutions mais aussi par un très grand nombre d’actions sectorielles et dans de nombreux domaines. Les secteurs qu’ils visent prioritairement sont le secteur de l’énergie , la privatisation des entreprises publiques, le processus de décentralisation, les marchés publics. Les députés européens se sont inquiétés du fait que le tribunal de haut niveau anti-corruption, qui fait l’objet de discussions depuis plusieurs mois, ne devrait pas être mis en place avant plus d’un an. Ils se sont inquiétés aussi de ce que la loi obligeant la société civile travaillant dans la lutte contre la corruption à soumettre une déclaration électronique des actifs ne devrait pas être révisée de sitôt. Des propos qui témoignent d’un climat guère encourageant. Pourtant, « nous avons la ferme intention de continuer à suivre de près les développements connexes et de poursuivre les discussions, y compris en Ukraine avec nos homologues du Parlement ukrainien ». Un appel de plus dans la longue litanie des appels. Liberté de la presse et la lutte contre la corruption sont intimement liées, comme l’a démontré le sort tragique de Jan Kuciak et les progrès doivent se réaliser sur les deux fronts. Quant à Othmar Karas, il a mis en avant la nécessité d’un débat sur ces points au Conseil européen tout comme la mise en œuvre de décisions concrètes, notamment dans la perspective des élections européennes. Une fois de plus, des décisions de nature purement procédurale viennent cacher l’absence de volonté politique réelle.

Ce n’est pas demain que les bras des assassins de Jan Kuciak seront désarmés .Dans cette course de vitesse, qui l’emportera ? l’Espace de Liberté, Sécurité et Justice ? ou la criminalité internationale organisée ?

 

Henri-Pierre Legros

Pour en savoir plus

European Populisme : trends and future prospects et Thierry Gauthe pour Courrier International https://www.courrierinternational.com/grand-format/carte-cette-europe-qui-dit-non-bruxelles?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook

Rapport de Breithart https://institute.global/insight/renewing-centre/european-populism-trends-threats-and-future-prospects

https://institute.global/insight/renewing-centre/european-populism-trends-threats-and-future-prospects

Le populisme n’est pas mort : rapport de l’institutTony Blair https://brunobertez.com/2018/01/03/un-rapport-le-populisme-nest-pas-mort/

Alain Duhamel : Populisme partout, Europe nulle part : Journal Libération http://www.liberation.fr/debats/2018/03/07/populistes-partout-europe-nulle-part_1634550

Principaux résultats du Conseil Justice et Affaires intérieures des 8 et 9 Mars 2018 http://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/jha/2018/03/08-09/

Pourquoi les peuples d’Europe centrale refusent nos leçons de morale : Chantal Delsol http://institut-thomas-more.org/2018/02/22/pourquoi-les-peuples-deurope-centrale-refusent-nos-lecons-de-morale/

Questions and Answers about East StratCom Task Force  https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-Homepage/2116/questions-and-answers-about-east-stratcom-task-force_en

L’Europe prise de court par les Mafias (France Culture) https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/union-europeenne-malte-slovaquie-leurope-prise-de-court-par-les-mafias

https://europeanjournalists.org/European Federation of Journalists : Open letter to diplomats in Malta regarding Daphne’smurder investigation

Compte rendu du journal Libérationhttp://www.liberation.fr/grand-angle/2007/08/29/le-clan-des-calabrais_100663Compte rendu du journal le Figaro  http://www.lefigaro.fr/international/2007/08/16/01003-20070816ARTFIG90125-la_mafia_calabraise_accusee_du_sextuple_meurtre_de_duisbourg.php

OSCE media freedom  representative calls on Slovakia to decriminalize defamation and respect journalists ‘ rights  (the case of Lukas Milanhttps://www.osce.org/representative-on-freedom-of-media/375958

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire