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L’Europe malade de ses Etats : Jean-Claude Juncker jette l’éponge

Lors d’une interview réalisée par la radio publique allemande Deutschlandfunk diffusée le 12 février dernier, Jean-Claude Juncker a confirmé qu’il ne se présenterait pas pour un second mandat à la présidence de la Commission européenne. Cette surprenante décision peut s’expliquer en partie par des critiques qu’il a lui-même qualifiées d’« excessives et surtout de contre-productives », d’autant que les hommes politiques d’envergure européenne se font rares. Plus simplement, il semble que Jean-Claude Juncker ait voulu lancer une sorte d’appel.

Le Président de la Commission a tenu à détailler les raisons qui l’ont poussé à ne pas se représenter : la capacité des Européens à rester unis d’une part, mais surtout « la lâcheté institutionnelle de nombreux dirigeants et de nombreux ministres qui décident à Bruxelles puis rentrent à la maison en critiquant ce qu’ils ont eux-mêmes et conjointement décidé (…) » d’autre part. Il insiste d’ailleurs sur une nécessité : « Ce spectacle doit cesser ».

Il a assuré avoir tenté de redonner espoir en l’Europe aux citoyens, tout en reconnaissant être désormais trop occupé avec le Brexit, qu’il qualifie de « tragédie pour le continent ». Il craint que la sortie du Royaume-Uni de l’Union ne mène les 27 États membres restants à agir les uns contre les autres « sans trop d’efforts » : « Les 27 autres États membres n’en sont pas encore conscients, mais les Britanniques savent d’ores et déjà très bien comment ils géreront cette situation. On promet une chose à un pays A, une autre à un pays B et une autre encore à un pays C. En fin de compte, il n’y a plus de front européen », assure-t-il. Il rappelle également qu’ « [il] avai[t] imaginé au début de mon mandat que je pouvais travailler de manière constructive, afin que les gens reprennent confiance en l’Europe , une confiance qu’ils avaient perdue. Et à présent [le] voilà occupé, plusieurs heures par jour, à planifier la sortie d’un État membre, ce n’est pas un travail d’avenir ».

Sur ce plan, Federica Mogherini s’est montrée bien moins pessimiste : elle estime que l’unité des Européens s’est renforcée au cours de ces derniers mois (cf. l’article « de Malte à Washington »).

L’unité de l’Europe a constitué un thème récurrent tout le long de son intervention. Il se montre en effet relativement pessimiste : concernant Trump et le Bexit, il indique qu’une majorité pense qu’il s’agit d’« une grande chance pour l’Europe, l’heure est venue de serrer les rangs et de marcher d’un même pas. Je souhaite que ce soit le cas, mais est-ce que c’est ce qui va se passer ? J’ai des doutes parce que les Britanniques peuvent diviser sans trop d’efforts les vingt-sept autres États membres », et de poursuivre : « L’Union évolue dans des directions différentes selon les pays, des directions difficilement compatibles entre elles ».

Les États membres de l’Union deviennent de plus en plus partagés sur des opinions « pas nécessairement compatibles », a-t-il ajouté en faisant référence à la Hongrie et à la Pologne.

« Les Hongrois ou les Polonais veulent-ils la même chose que les Allemands ou les Français? J’en doute fortement. Il est fondamental de remettre tout le monde d’accord. C’est la mission qui nous incombe dans les deux ou trois prochaines années. À l’heure des négociations avec les Britanniques, nous devons trouver un consensus sur la direction à donner à l’Union si nous voulons éviter toute tendance apocalyptique », a-t-il conclu.

Il a également précisé que la politique commerciale protectionniste du Président américain, Donald Trump, pourrait offrir « d’excellentes opportunités » à l’Union de conclure de nouveaux accords commerciaux avec d’autres pays.

« Nous ne devrions pas laisser les Britanniques agir comme s’ils pouvaient dès à présent signer leurs propres accords commerciaux avec d’autres pays, étant donné qu’ils n’y sont pas autorisés pour l’instant. En effet, tant que le Royaume-Uni sera membre de l’Union européenne, sa politique commerciale extérieure restera de la compétence de l’Union, et donc de la Commission », a-t-il souligné. Lors de son récent voyage à Washington Federica Mogherini l’a également très fermement rappelé (cf. l’article « De Malte à Washington »).

Concernant la montée des extrémismes, Jean-Claude Juncker se dit déçu par la réaction des dirigeants : « c’est un réflexe très anti démocratique que de céder aux pressions populistes, à l’approche des élections. Il ne faut pas courir après les populistes ni accuser les électeurs. Il faut parler aux gens et on peut mieux le faire quand on peut les regarder dans les yeux ». Jean-Claude Juncker a terminé son entretien en évoquant à nouveau l’unité de l’Europe : « Confrontée à Vladimir Poutine, l’Union européenne pourrait aussi se diviser quant aux sanctions frappant Moscou pour avoir annexé la Crimée ». L’unité de l’UE restera, à juste titre, l’obsession ultime du président de la Commission européenne.

Cette prise de position de Jean-Claude Juncker intervient en plein débat au Parlement européen sur l’avenir des Institutions et a confirmé que, malgré la poussée eurosceptique que connaît actuellement l’Union, le Parlement européen restait attaché au processus d’intégration européenne : « Une Union sans cesse plus étroite entre les peuples d’Europe » plutôt qu’une politique de la « différenciation » entre États et qu’une Europe à plusieurs vitesses. Les discussions parlementaires ont révélé une opposition marquée et profonde entre les partisans et les opposants d’une réforme des traités. Seul Guy Verhofstadt s’est positionné en faveur d’une réforme d’inspiration fédéraliste des textes fondateurs de l’Union. Ses opposants, eux, avancent que ce type de politique « réformiste » dissimule en réalité une volonté de conserver un statu quo confortable en cela qu’il rassure. Les comportements qu’a dénoncés Jean-Claude Juncker ne peuvent être modifiés par un simple changement des traités. Une minorité importante des États ne le veut pas et en la matière tout se décide à l’unanimité. Nous dirigeons nous vers une Europe malade de ses États ? Comment sortir de ce piège ? Peut-être le prochain la commémoration prochaine de la signature du Traité de Rome et la publication annoncée du Livre blanc de la Commission nous conduiront-ils vers un nouvel élan, un nouveau départ.

Pour en savoir plus :

-. Ouest France : Jean-Claude Juncker dresse un tableau bien sombre :

http://www.ouest-france.fr/europe/jean-claude-juncker-dresse-un-tableau-bien-sombre-de-l-union-europeenne-4797590

– . Halte au feu :

http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=4005&nea=178&lang=fra&arch=0&term=0

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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