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#LaRéplique : L’initiative citoyenne européenne pour l’accueil des migrants, réelle utilité ou projet peu efficace ?

Lancée en 2012 par la Commission européenne, l’initiative citoyenne est une « invitation faite à la Commission européenne de présenter une proposition législative dans un domaine dans lequel l’UE est habilitée à légiférer. L’initiative doit être soutenue par au moins un million de citoyens européens issus d’au moins 7 pays sur les 28 que compte l’Union » d’après la définition présente sur le site de la Commission européenne. Un nombre minimum de signatures est requis pour que l’initiative soit prise en compte par l’institution. Ces chiffres peuvent être consultés également sur le site de la Commission.

Récemment, le 14 février 2018, la Commission a approuvé un nouveau projet d’initiative citoyenne. Celle-ci se nomme « Nous sommes une Europe accueillante : apportons notre aide ! » Elle se place dans le contexte particulièrement tendu de l’immigration actuelle en Europe. Au fil de cet article, nous allons analyser les raisons qui feraient de cette initiative une revendication efficace et au contraire, les critères qui la rendraient obsolète.

 

L’initiative citoyenne : une réussite ou un échec ?

 

 Depuis sa création en 2012, le bilan n’est pas très positif. Moins de 10% des initiatives ont réussi à recueillir le million de signatures exigées et seulement trois initiatives sur les 51 présentées au total ont réussi à être approuvées. Aucune de celles acceptées n’ont fait l’objet d’une législation européenne. Les citoyens européens ne sont pas plus investis que la Commission. Seulement 0,01% d’entre eux ont un jour signé une pétition pour un projet d’initiative citoyenne. Ce pourcentage extrêmement bas qui exprime la démotivation des citoyens par rapport à ces initiatives. La Commission refuse également beaucoup de propositions ce qui décourage les futurs instigateurs d’initiatives. Certains ont même intenté des recours envers la Commission européenne en précisant que leurs projets étaient conformes aux conditions d’application mais sans succès. Le bilan n’est donc pas très positif en cette année 2018.

Ces échecs à répétition peuvent s’expliquer par la complexité du processus de l’initiative citoyenne. Un exemple récurrent de lourdeur administrative est le fait de devoir obligatoirement renseigner en signant une pétition, son numéro de carte d’identité. Cette méthode est jugée fortement intrusive et inutile pour la fiabilité des signatures. Une réforme de l’initiative citoyenne est prévue afin de redonner l’envie et la possibilité aux citoyens européens de participer activement au processus législatif de l’Union européenne.

 

 Que propose l’initiative citoyenne :« Nous sommes une Europe accueillante : apportons notre aide » ?

 

Cette initiative est décrite de la manière suivante : « Les États membres ont du mal à gérer la question de la migration. La plupart d’entre nous voulons aider des personnes qui sont dans le besoin, parce que nous ne sommes pas indifférents à leur sort. Des millions de personnes se sont mobilisées pour apporter leur aide. Aujourd’hui, nous voulons être entendus. Exigeons une Europe accueillante ! Nous appelons la Commission européenne à agir. Les organisateurs demandent à la Commission d’offrir un soutien aux groupes locaux venant en aide aux réfugiés, d’empêcher les États membres de punir les bénévoles et de défendre […] les victimes de l’exploitation, de la criminalité et de violations des droits de l’homme »

Concrètement, le collectif s’articule autour de plusieurs objectifs tous en lien avec l’immigration et plus particulièrement avec les conditions de vie des migrants une fois que ceux-ci rentrent sur le territoire européen.

Les instigateurs souhaitent avant tout que la Commission européenne supporte de manière efficace les groupes locaux qui veillent au bon déroulement de l’intégration du migrant sur le sol européen. La campagne vise également les politiciens et les gouvernements. Via cette initiative, les signataires de la pétition espèrent faire pression sur ceux-ci afin d’obtenir un meilleur traitement des réfugiés et de meilleurs législations garantissant leurs droits fondamentaux. Ils veulent que la Commission européenne s’implique efficacement afin de produire des directives qui seront entièrement dédiées à la protection des migrants et surtout à la protection et au respect inconditionnel de leurs droits fondamentaux.

Le non-respect des droits fondamentaux des migrants a entraîné des dérives pour essayer de les protéger au niveau local dans certains pays européens. Selon le journal télévisé de la chaîne privée française TF1, avec témoignages à l’appui, une psychiatre parisienne aurait produit plus de 80.000 faux certificats médicaux pour des patients en séjour irrégulier en France. Ceux-ci payaient 300 euros ou plus pour une simple consultation afin d’obtenir le fameux certificat médical. Celui-ci permettait à ces personnes sans papiers de rester légalement sur le sol français.

En effet, la législation française prévoit qu’un migrant en séjour irrégulier a le droit de rester légalement dans le pays pour raisons médicales. Il est apparu que le médecin avait escroqué plus de huit millions d’euros à la sécurité sociale. Il a donc agi dans son intérêt mais a tout de même profité de la situation actuelle des migrants et de leur détresse.

Les citoyens tiennent à se mobiliser pour assurer aux migrants un avenir et une vie décente dans les pays de l’Union et ce même en transgressant la loi. Ils deviennent donc de plus en plus solidaires avec les migrants et cela se ressent via diverses manifestations qui servent à exprimer leur intérêt et leur inquiétude envers ces personnes fuyant leurs pays respectifs pour cause de guerre ou de famine ou encore pour raisons climatiques. Récemment, en janvier 2018 à Bruxelles, une chaîne humain de presque 2.500 personnes s’est formée pour protester contre la politique migratoire menée par Theo Francken, secrétaire d’Etat belge à l’Asile et à la Migration. Ces citoyens belges estiment que le gouvernement ne prend pas assez de dispositions visant à aider ces personnes dans le besoin et qu’il est temps que la société civile se mobilise. Cette manifestation n’est pas isolée et des rassemblements similaires ont lieu également dans les autres pays de l’Union européenne.

Au vu de cette solidarité grandissante au sein de l’opinion publique, il serait logique de penser que l’initiative citoyenne présentée précédemment rencontrerait un succès immédiat et inconditionnel de la population. Elle a certes, rencontré un certain succès (plus d’un million de signature dans plusieurs pays) mais est-ce suffisant pour convaincre toute la population et surtout pour renforcer la législation migratoire ?

 

Pourquoi cette initiative pourrait ne pas atteindre ses objectifs ?  

 

 La politique migratoire dans l’Union européenne est bien loin d’avoir une position commune. Une division idéologique existe bel et bien entre les pays de l’est et de l’ouest. La Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque sont en totale opposition avec les demandes migratoires émanant de la Commission européenne. En 2015, l’Union européenne a défini des quotas proportionnels à chaque pays de l’Union et la Hongrie a été contrainte d’accepter 1.300 migrants sur son territoire. Cela a été fortement critiqué par le gouvernement hongrois et plus précisément par le ministre des affaires étrangères, Péter Szijarto.

Ce dernier estime que ces migrants représentent un danger pour les pays européens et que celui-ci d’autant plus grand vu la menace constante et grandissante d’actes terroristes. Il a également précisé que d’après lui, l’Union européenne menaçait les pays d’Europe centrale et de l’est d’accepter les migrants sur leur territoire sous peine de sanctions.

Ces pays seraient alors moins susceptibles d’accepter des directives émanant de la Commission visant à renforcer la protection des migrants or c’est un des buts visés par l’initiative citoyenne « Nous sommes une Europe accueillante ». La participation démocratique est bel et bien accordée aux citoyens mais si les Etats ne partagent pas leurs opinions, quels peuvent être les résultats ?

Les citoyens ne sont pas tous pro-migrants et la montée en puissance du Front national en France ces dernières années en est une preuve. Le site internet du Front national précise clairement leur position hostile face aux migrants. Les raisons avancées sont le manque de moyens financiers des communes qui devraient, dans le cas d’accueil de migrants, augmenter les impôts locaux. La justification complémentaire est que l’immigration pourrait faire rentrer illégalement des terroristes sur le territoire.

La montée de l’extrême droite se fait ressentir dans toute l’Europe et le projet de cette initiative pourrait s’en trouver compromis au point de vue législatif.

Le projet est certes bien construit mais parviendra-t-il à s’imposer afin de mettre en place une nouvelle directive de la part de la Commission ? Rien n’est moins sûr au vu des informations précédentes.

Cette initiative citoyenne visant les migrants est actuelle et pertinente. Néanmoins, au vu du contexte actuel et du fait que les autres initiatives n’ont jamais donné lieu à une directive, il est possible que celle-ci n’aboutisse pas comme les instigateurs le voudraient. Il est certain que l’Union européenne accorde aux citoyens un moyen de s’exprimer via cette initiative citoyenne mais si celle-ci n’aboutit à aucun changement, il est normal que les citoyens manquent de motivation pour de futures initiatives.

Cependant, rien n’est joué et la collecte de fonds de « Nous sommes une Europe accueillante » est en cours. Cette initiative sera peut-être la première à donner lieu à une législation européenne mais il faudra patienter jusqu’en 2019, année du traitement législatif du projet.

Déborah Miller

 

Pour en savoir plus :

Site de la Commission européenne. Initiative citoyenne européenne, 2018, http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/basic-facts, consulté le 5/03/2018

Site de Euractiv. Bruxelles s’attelle à la réforme de l’initiative citoyenne européenne, 2017, https://www.euractiv.fr/section/politique/news/bruxelles-sattelle-a-la-reforme-de-linitiative-citoyenne-europeenne/, consulté le 5/03/2018

Site de Euractiv. Les échecs se succèdent pour les initiatives citoyennes européennes, 2015, Cécile Barbière, https://www.euractiv.fr/section/avenir-de-l-ue/news/les-echecs-se-succedent-pour-les-initiatives-citoyennes-europeennes/, consulté le 6/03/2018

Pour la solidarité. European Think Thank. Les initiatives citoyennes européennes, un échec ? 2015, http://www.pourlasolidarite.eu/sites/default/files/publications/files/na-2015-initiatives-citoyennes-eu.pdf, consulté le 6/03/2018

Site de We are a welcoming Europe. 2018. https://www.weareawelcomingeurope.eu/, consulté le 6/03/2018

Journal télévisé de TF1 du 6/03/2018. Reportage sur les médecins protégeant les migrants.

Site de la RTBF. Migrants : une chaîne humaine de plusieurs milliers de personnes pour protester contre les arrestations, 2018, https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_migrants-une-centaine-de-personnes-devant-la-gare-du-nord-pour-la-chaine-humaine?id=9817768, consulté le 8/03/2018

Site officiel du Front national. http://www.frontnational.com/ma-commune-sans-migrants/, consulté le 8/03/2018

Site de EU Logos Athena. « Les réfugiés climatiques ou les oubliés des questions environnementales », Jean-Hugue Baraër, 2017, http://www.eu-logos.org/?p=21198

Site de EU Logos Athena « L’initiative citoyenne européenne, une illusion démocratique ? », Louise Bougot, 2017, http://www.eu-logos.org/?p=21067

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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