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Avant-propos : Allô Molenbeek ? Ici l’Europe…

La rencontre qu’EU Logos a choisi de mettre sur pied à Molenbeek répond à un défi : celui qui lui a été lancé au sein de l’auditoire au cours d’un précédent débat consacré au thème de « l’Europe à la (re)conquête de ses citoyens ». Organisé en février 2018 dans le quartier des institutions européennes à Bruxelles, celui-ci a pu apparaître aux yeux de certains participants comme le reflet d’une sorte d’ « entre soi » rassemblant essentiellement des fonctionnaires et des universitaires dans le voisinage familier, sinon rassurant, des bâtiments de l’ « eurocratie ».  D’où l’interpellation à l’adresse d’EU Logos : « cette problématique des rapports entre l’Union européenne et ses citoyens, comment l’aborderiez-vous dans un environnement plus populaire tel que Molenbeek ? »

Certes, seulement cinq kilomètres environ séparent la Maison communale de Molenbeek et le Rond-Point Schuman autour duquel se déploient les principaux immeubles abritant la fonction publique européenne. Le canal de Bruxelles à Charleroi, qui coupe la capitale de la Belgique en deux parties et longe un flanc de la commune de Molenbeek, symboliserait-il une ligne de démarcation ? Un autre symbole fort, dans le voisinage du canal, est la proximité du Parc Maximilien, où de nombreux réfugiés ont provisoirement trouvé, sinon un abri, du moins un campement.

Ainsi, divers facteurs – pour ne pas dire, à la limite, « fracteurs » – tendraient à accréditer l’idée d’une coupure entre deux mondes qui s’ignoreraient. Certes, de nos jours, les progrès de la technologie ont contribué à une mise à disposition prolifique de moyens de communication qui tranche avec la pénurie caractéristique de la situation prévalant il y a encore quelques décennies : celle où, même dans des couches relativement « aisées » de la population, l’obtention d’une ligne téléphonique exigeait de longues périodes d’attente. De nos jours, la multiplication des téléphones portables, accompagnée de conditions d’acquisition à portée de bourses même modestes, a considérablement bouleversé la donne.

Aujourd’hui, le phénomène s’est amplifié avec une partie qui se joue désormais sur le terrain du « numérique ». Le développement  – parfois anarchique, tant les potentialités apparaissent riches – des réseaux dits « sociaux » traduit l’émergence des Technologies de l’Information et de la Communication (les « TIC »). Celles-ci connaissent des applications multiformes, parmi lesquelles le « commerce en ligne » (« e-commerce ») occupe une place de plus en plus prégnante dans les habitudes du citoyen dans sa fonction de consommateur.

Comblement du fossé ? Pas tout à fait si l’on pousse un peu plus la réflexion, en s’interrogeant notamment sur la rémanence du phénomène connu sous l’appellation de « fracture numérique » : un clivage censé creuser une séparation entre ceux qui maîtrisent l’outil informatique (au sens large) et ceux qui rencontrent des difficultés dans son utilisation… alors même que le recours à ce type d’instrument, comme on vient de l’évoquer, s’insinue de plus en plus dans les actes de la vie courante (parfois sous la contrainte d’exigences administratives, à l’image de formulaires à remplir en ligne). A la limite, on pourrait se demander si l’appellation de « numerus clausus », qui caractérise une approche très sélective en matière de recrutement – par exemple le nombre d’étudiants admis à fréquenter une filière universitaire –  ne cèderait pas la place, aujourd’hui, à celle de « numericus clausus » affectant la société dite « de l’information ». Ce problème, voire la manière de l’aborder, sont apparus particulièrement emblématiques aux promoteurs du rendez-vous de Molenbeek  – et en tout cas suffisamment  « interpellant » pour y trouver matière à réflexions et échanges.

Et l’Europe dans tout ça ? La hauteur de certains bâtiments « communautaires » la confronte parfois aux rigueurs d’un brouillard peu propice à la claire vision, sinon à la clairvoyance. Il n’empêche : bien que ses préoccupations semblent souvent plus proches de la « facture » que de la « fracture », c’est précisément sur le terrain du soutien financier à des projets de développement local qu’un engagement européen a vu le jour en faveur de Molenbeek.  Celui-ci s’est inscrit dans le cadre des interventions appuyées par le Fonds européen de développement régional (FEDER), en réponse à diverses demandes présentées par la Région de Bruxelles-Capitale. C’est ainsi que, depuis 1994, des réalisations ont été financées à ce titre dans le but de redynamiser la zone du Canal.

Pour illustrer cette synergie, deux exemples peuvent être évoqués :

  • l’Espace Belle-Vue: sur le site d’une ancienne malterie, « Molenbeek formation » dispense des apprentissages liés aux métiers de l’hôtellerie et du tourisme. Le soutien assuré en cofinancement par l’Union européenne et la Région s’élève à 2,75 millions d’euros
  • le Centre d’Ici et d’Ailleurs: dans le cadre d’un programme mené par Médecins du Monde, cet établissement a été créé dans le but de venir en aide à des personnes précarisées nécessitant un soutien psychologique. L’une de ses spécificités est en outre que les consultations se pratiquent avec le renfort d’une équipe polyglotte en mesure de faire face aux nombreux réfugiés qui en poussent la porte. L’UE a consacré jusqu’ici 7,4 millions d’euros pour le financement de ce centre ainsi que d’une structure similaire située dans la commune voisine d’Anderlecht.

En écho à ces initiatives, le présent dossier reproduit un article publié en juillet 2017 au sujet de la visite que la Commissaire européenne à la politique régionale a effectuée auprès des projets ainsi réalisés avec le soutien de l’Union européenne dans la zone du Canal.

Si l’UE se manifeste de cette manière par des actions de terrain  – rappelons la phrase prémonitoire inscrite au cœur de la « déclaration Schuman » de 1950 à l’origine de la construction européenne : « L’Europe se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait » – elle ne peut non plus échapper à sa réputation de productrice de normes. Des normes de réglementation, certes jugées parfois très intrusives, mais aussi des normes de protection.

Or, en cette matière, une évolution majeure a pris corps avec l’entrée en vigueur, le 25 mai dernier, du « règlement général sur la protection des données » (RGPD) adopté en avril 2016 par le Parlement européen et le Conseil de l’UE à la suite de décisions importantes de la Cour de justice de l’Union : celle-ci avait condamné successivement les géants du web Google et Facebook en raison de pratiques jugées attentatoires à la protection des données personnelles. La réalisation d’un marché unique numérique à l’échelle de l’UE s’inscrivant parmi les dix objectifs prioritaires définis par la Commission Juncker pour l’accomplissement de son mandat au cours de la période 2014-2019, le nouveau règlement vise à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. Il n’occupe pas moins de 88 pages du journal officiel de l’UE où il a été publié le 4 mai 2016. C’est dire l’importance qu’au-delà de ses aspects techniques il est censé représenter pour tout citoyen de l’UE, bien qu’il ne s’applique pas aux activités strictement domestiques.

Aussi les promoteurs de la rencontre de Molenbeek ont-ils jugé pertinent d’inclure une réflexion sur cette législation parmi les éléments du débat.  En raison du caractère très sensible et de l’actualité du sujet, deux « notes de cadrage » lui ont été consacrées dans le présent dossier à titre de toile de fond susceptible de mettre en évidence une scène où se confrontent partisans et détracteurs de la nouvelle réglementation. Ces contributions complètent cinq autres « coups de projecteur » concernant respectivement le concept de « numérique », la définition du « cyberespace », une réflexion sur la fracture et l’exclusion numériques, les enjeux de la « neutralité » du Net, ainsi que la problématique des « fake news » constitutives d’un phénomène de désinformation[1].

D’aucuns pourraient s’étonner de ce fort accent mis dans le dossier sur le numérique, alors que d’autres enjeux liés par exemple à l’intégration de populations fragilisées ne manquent pas d’interpeller acteurs et témoins de la vie politique locale. La réponse pourrait venir de la trace laissée dans la manière d’aborder les problèmes par le Père Joseph Wresinski, le fondateur d’ATD-Quart Monde. Dans son combat pour le refus de la misère, il avait mis en avant, à côté des armes plus classiques de nature économique, d’autres voies moins explorées jusque-là, tels que l’accès à la culture et à l’art… mais aussi aux techniques de pointe. Cette dernière intuition prend d’autant plus de relief aujourd’hui que le numérique irrigue désormais en abondance la vie de tout un chacun. La vocation de l’Europe ne serait-elle pas, alors, d’aider à la construction d’un autre « canal », virtuel celui-là, pour contribuer à une maîtrise fertile de l’irrigation tout en favorisant la circulation, sur une eau tranquille, des informations utiles à la promotion sociale et à l’épanouissement des personnes?

Gérard Vernier

[1] Cet ensemble de notes, outre une contribution de Bertrand L’Huillier, assistant politique au Parlement européen, a été rédigé par Jean-Hugues Migeon, policy analyst  à EU Logos, avec la collaboration éditoriale des autres membres de l’équipe des policy analysts : Clémence Lambotte, Maria Elena Argano, Gabriella Cinque, Marie Peschier, Ludivine Plenchette.

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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