You are currently viewing L’Europe d’après

L’Europe d’après

Il faut penser au « monde d’après ». Soyons positifs et optimistes : nous allons revivre. Il faut décider et agir. Le chaos ou un élan de solidarité supplémentaire ? Retenons la dernière alternative.

Un décrochage français ou de tout autre pays européen serait une menace pour la zone euro, l’Union européenne, l’équilibre et la paix en Europe et bien au-delà. Les risques d’implosions et de clivages renforcent la nécessité de solides mécanismes d’entraide.

L’action européenne doit s’organiser dans le temps et s’adapter en fonction de l’évolution de la crise. Face aux défis communs, sanitaires, socio-économiques, une Europe qui protège et qui répond collectivement et solidairement est essentielle. Ce n’est pas une Europe qui se cloisonne et dont les membres ferment unilatéralement les frontières. C’est une Europe qui s’organise collectivement, qui coordonne ses actions efficacement et pas seulement contre le virus. Il ne suffit pas d’encadrer le déconfinement : une plus grande solidarité financière et la mise en place d’une véritable union budgétaire s’impose. Les décisions de ces dernières semaines vont dans le bon sens, mais restent insuffisantes dans les montants et les ambitions. L’Europe doit, au lendemain de cette crise, porter haut ses ambitions, en réaffirmant son autonomie stratégique dans la compétition mondiale, tout en veillant à ne pas se perdre dans un souverainisme nostalgique sans avenir : la neutralité carbone et le leadership numérique, notamment, ont une importance particulière mais pas unique. Face aux dangers mortels auxquels nous sommes confrontés, c’est bien encore et toujours de solidarité dont l’Europe a besoin.

Dans le monde demain, les tensions entre la Chine et les États-Unis ne vont que s’accroitre. Les États membres de l’Union ont leur carte à jouer s’ils parviennent à reformuler leur association, mais surtout en l’approfondissant. L’Europe politique est à un moment de vérité, comme le rappelle Emmanuel Macron dans une interview au Financial Times du 16 avril dernier : « Nous sommes à un moment de vérité, qui consiste à savoir si l’Union européenne est un projet politique ou un projet de marché uniquement. Moi, je pense que c’est un projet politique (…) Quand c’est un projet politique, d’abord, l’humain est au premier chef, et il y a des notions de solidarité qui se jouent et ensuite l’économique en procède. N’oublions jamais que l’économique est une science morale ». 

Pour Emmanuel Macron un défaut de solidarité favoriserait l’arrivée des populistes au pouvoir : « C’est évident, parce que les populistes diront : qu’est-ce que c’est cette aventure que vous me proposez ? Or ces gens-là ne vous protègent pas quand vous avez une crise, ils ne vous protègent pas le lendemain, ils n’ont aucune solidarité avec vous. (…) Lorsque vous avez les migrants qui arrivent chez vous, ils vous proposent de les garder. Lorsque vous avez l’épidémie qui arrive chez vous, ils vous proposent de la gérer. (…) Ils sont pour l’Europe quand il s’agit d’exporter vers chez vous les biens qu’ils produisent, ils sont pour l’Europe quand il s’agit d’avoir votre main-d’œuvre, votre marché et de produire des équipements de voitures qu’on ne fait plus dans nos pays, mais ils ne sont pas pour l’Europe quand il faut mutualiser ».

Par ailleurs, l’abandon des libertés pour lutter contre le virus constituerait incontestablement une menace pour nos démocraties occidentales. Mais en ces temps d’incertitudes redoublées en matière budgétaire, il est utile de souligner que, pour la première fois, l’aspect budgétaire acquiert une importance de la toute première grandeur et l’Union en prend conscience sans négliger la pandémie du coronavirus. L’UE met en place son propre groupe de travail sur l’échange d’informations entre les forces armées européennes. Le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la Politique de Sécurité, Josep Borrell, vient de charger le Service européen pour l’action  extérieure (SEAE) de mettre en place un groupe de travail spécialisé pour soutenir l’échange d’informations et le partage de bonnes pratiques entre les  Etats membres sur l’assistance militaire en appui aux autorités civiles pour aider à lutter contre la pandémie de Covid-19.

L’Europe d’après avec ou sans élargissement ? Et quid au-delà du continent ?

A l’heure où l’Europe connait la plus grave crise sanitaire de son histoire, son avenir institutionnel fait toujours l’objet d’intenses débats, le dernier en date concernant l’élargissement à l’Albanie et à la Macédoine du Nord. Au premier regard, il peut sembler peu sage que les ministres des Affaires européennes aient approuvé (avec la voix de la France), dans la plus grande discrétion et en pleine crise du coronavirus, l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Macédoine et l’Albanie. Quelle sera la contribution de ces élargissements  au renforcement politique, économique et diplomatique de l’Europe ? Deux noms de plus dans l’annuaire renforceront-ils une unité dont nous avons tant besoin aujourd’hui ?

C’est ce qui nous amène à dire que l’Union doit définir ses priorités en sortant des sentiers battus traditionnels. Trop de régions ont été ou sont délaissées en voie de désintégration avancée. Paradoxalement, c’est l’Afrique qui se trouve en première ligne de la liste, en dépit de son histoire largement commune. L’Afrique se trouve exposée à une situation extrêmement difficile qui risque sérieusement de lui faire perdre les progrès réalisés, d’ailleurs souvent en partenariat avec l’Europe. Cette situation risque de lui faire perdre un partenariat incomplet, bancal, ancien, et de faire resurgir des foyers de tensions graves tant à l’intérieur des pays qu’entre eux.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          L’Afrique était déjà confrontée à une situation économique  délicate avant même qu’une grande vague de contagions et d’urgences sanitaires ne se déclare. Ces pays doivent s’équiper, dépenser pour la santé publique afin d’affronter la pandémie et la contenir tout en étant cruellement frappés par le ralentissement de leur commerce (chute de la demande et des prix des matières premières), aussi et surtout par la chute des investissements directs et par une diminution des transferts des migrants, si décisifs dans le combat contre le sous-développement.

Le moratoire sur la dette des pays africains est l’étape indispensable pour aider le continent à traverser la crise du coronavirus. Emmanuel Macron a invité les ministres des finances du G20 à prendre acte avec fermeté  de ce moratoire, alors que la pandémie du coronavirus  menace de déborder les fragiles systèmes de santé des pays les plus pauvres.  C’est « une première mondiale », a affirmé le président français. « Le temps de la crise, on laisse  les économies africaines respirer.  Et ne pas servir les intérêts de la dette, c’est une étape indispensable –  et je pense que c’est une formidable avancée (…) Chaque année, un tiers de ce que l’Afrique exporte sur le plan commercial sert à servir sa dette. C’est fou. On a accru ce problème ces dernières années. ». Emmanuel Macron est lui-même favorable «  à une initiative d’annulation (…) Nous devons absolument, a fortiori  sur le plan économique, aider l’Afrique à renforcer ses capacités à répondre au choc sanitaire ». Même si, jusqu’à présent, la pandémie semble moins toucher l’Afrique que le reste du monde, le président français a appelé à la prudence : « Je ne suis pas dans  les catastrophistes, je ne veux pas non plus être dans les naïfs. Ce virus, il touche aujourd’hui tout le monde (…) J’ai beaucoup parlé avec mes partenaires africains pour qu’ils décident au maximum  des confinements et qu’ils retardent l’épidémie : plus ils la retardent, plus les Européens sont en mesure de leur apporter de l’aide, parce que, alors, on n’aura pas le pic endémique au même moment », a poursuivi Emmanuel Macron.

Ainsi, il a plaidé pour une mobilisation de toutes les institutions internationales et des fondations privées pour la mise au point rapide d’un traitement ou d’un vaccin contre le Covid-19. Pour lui, de cette façon, « on se met en situation, le jour où on a un traitement, de le rendre accessible au continent africain en même temps qu’il sera accessible chez nous. Donc pas d’histoire de propriété intellectuelle, de délais, de sous : on se met en capacité de le faire. Pour le vaccin, pareil ! »

 L’Europe a un rôle fondamental à jouer. La Présidente Ursula von der Leyen et toute la Commission ont fait de la relation avec l’Afrique une priorité absolue. Ce dont elle a besoin, c’est de plus que des encouragements.

Trois grands climats émotionnels en Europe

Constatons que nous sommes en présence de trois grands climats émotionnels qui prévalent en Europe: la nostalgie, le ressentiment et l’espoir. Seul l’espoir est porteur d’avenir, c’est l’évidence,  mais ce sont le ressentiment et la nostalgie, sentiments stériles, qui semblent dominer. Comment les surpasser ?

La pandémie mondiale a pris l’Europe de court, et a entraîné d’abord et avant tout, des réactions nationales, des actions en en désordre, malgré des efforts méritoires engagés par certains.   Face aux interdictions d’exportation de matériel médical par certains pays, aux fermetures inopinées des frontières par d’autres, rapidement le besoin d’échanger des informations et de coordonner des mesures et des moyens s’est fait ressentir de manière cruciale. D’où un premier enseignement à tirer : quelles leçons retenir pour que la plus-value européenne soit le mieux et le plus rapidement mise à profit, devant une crise épidémiologique d’une telle ampleur ?

Tout d’abord, s’annonce une très grave récession économique devant laquelle c’est une riposte européenne qui est attendue. Elle est la seule possible.

D’autres pistes sont, elles aussi, également attendues en priorité. Il est important d’en dresser rapidement la liste. C’est un préalable pour notre réflexion et notre action.

Chaque famille en Europe raconte sa propre histoire de l’intégration européenne. Donc, une multitude d’émotions. Comment pourrait-il en être autrement ? Si un bon tiers des citoyens interrogés reconnait avoir des doutes, ils sont aussi nombreux à exprimer de l’espoir, cet espoir que leur inspire l’Union européenne. Il peut y avoir de la nostalgie et du ressentiment, mais il y a aussi un espoir durable et solide quant au futur de l’Europe, un ambitieux Green New Deal mobilisateur et un espoir en ses capacités à assurer la paix, la sécurité et la prospérité de l’Europe malgré les crises et les défis. 

La « Conférence sur l’avenir de l’Europe » serait bien avisée de garder à l’esprit ces quelques réflexions, simples et peu nombreuses.

Se sentir menacé par un futur incertain génère souvent une nostalgie lancinante pour un passé idéalisé, enjolivé. D’où le succès  des formations politiques populistes, dont beaucoup n’hésitent pas à brosser une vision facile, voire utopique, du passé. D’où le tournant autoritaire si un succès facile ou rapide n’est pas au rendez-vous. Beaucoup aspirent à une participation avec davantage de sens ou de contenu. 

Mais lequel ? Le retour des régions, de la démocratie au niveau local, dans les municipalités avec des budgets participatifs apportant de la légitimité. Des initiatives citoyennes locales peuvent être vues comme un remède au sentiment douloureux d’avoir perdu quelque chose, un lien qu’on peut qualifier de démocratique.

Les efforts visant à contenir, puis atténuer, le coronavirus se concentrent sur la santé publique. Mais l’Europe se trouve également dans une situation économique que l’on peut juger comme étant sans précédent. Ses principales économies, sinon toutes, sont à l’arrêt. Son impact économique affectera durablement l’Europe, même si la pandémie finira par passer. L’Europe aura besoin d’un filet de sécurité. C’est tout un mode de vie européen qui se trouve soudain mis en cause. L’Europe a besoin d’un filet de sécurité, mais où le trouver ?

Ces temps dramatiques appellent à une clarification du projet européen. La crise sanitaire actuelle revèle des Etats membres qui ont exigé de conserver leur pleine souveraineté. Maintenant, il leur revient d’en mesurer les limites.

L’ombre de Pékin

Désormais, il n’est plus possible  d’écrire la moindre considération sur l’état du monde sans que la Chine n’en reçoive une part substantielle, majeure même. Ainsi, la Chine est en train d’apprendre à marche forcée à se servir des modes de communication les plus récents, de créer son propre modèle et de suivre les meilleurs exemples. Ainsi, elle démontre dans le monde entier qu’elle ne peut laisser à d’autres la possibilité d’imposer leur vision du monde. Prenant exemple sur les puissances occidentales, la Chine a pris conscience de l’impératif, sur le terrain  que  les   agences  chinoises, à l’image des Etats-Unis, marquent leur empreinte. Elles servent Pékin, offrent une image positive de la Chine en occultant les aspects désagréables. Que dire des Etats-Unis ? L’ensemble des données et des commentaires montrent que, pour le moment, la pandémie, et la brutale récession qu’elle a produite n’ont pas fortement modifié l’équilibre des forces sur la scène politique interne et internationale. Trump continue à communiquer avec une grande efficacité avec ses électeurs, qui lui restent fidèles et continuent de lui afficher un soutien sans faille, que ce soit sur les réseaux sociaux, ou sur les plateaux de chaines comme Fox news. Son concurrent, Biden, de son côté, ne sème pas l’enthousiasme chez les démocrates. Sa priorité est de consolider et surtout de conforter sa position dans la douzaine d’Etats clés qui, le moment venu, lui donnerait la majorité du collège électoral. Il reste encore cinq mois avant la date du 3 Novembre et de futurs bouleversements restent encore possibles.

Surpassant toute considération, la présence du non-dit : la Chine va-t-elle dominer « le monde d’après » ? Pékin va-t-il sortir triomphant ou affaibli de la pandémie, de la crise économique, des nouveaux rivaux, comme l’explique Frédéric Lemaitre, le correspondant du journal le Monde en Chine.

Le modèle chinois repose sur une communication contrôlée, largement diffusée, entrant en compétition avec les démocraties, et ayant malgré tout, ses propres spécificités. La Chine a besoin de soigner son image : c’est une obligation pour à la fois imposer son modèle, notamment dans les sociétés en développement, mais aussi se faire accepter par les autres grandes puissances. Un jeu subtil : servir sa stratégie de puissance et de soft power tout en contrant la communication des démocraties occidentales. Comme le dit Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) dans la revue de l’IRIS, « elle propose une autre vérité (…) la Chine apprend vite les ficelles de la com, dans son nouveau bras de fer avec l’Occident ». C’est une force de frappe considérable, car accessible partout, conclut-il. 

Conclusions

A ce stade, quel constat faire et quelles amorces de conclusions tirer pour amorcer une relance  ?  La pandémie du coronavirus et ses lourds dégâts humains et économiques, ont plongé l’Union européenne dans une de ces nouvelles crises quasi existentielles, où l’avenir semble se dérober sous ses pieds. Pourtant, le dessein d’unir l’Europe poursuit sa course entamée il y a juste 70 ans : des négociations d’adhésion pourraient démarrer avant la fin de l’année. Réinventer l’Europe d’après, projeter une Europe plus souveraine et autonome vis-à vis d’autres puissances ne peut faire l’économie d’une réflexion profonde, d’explications données au grand jour, alors que tant de choses ne sont ni comprises ni acceptées par l’opinion : voilà le grand défi, celui de la nécessité d’explications plus fines. Le coronavirus ébranle autant qu’il donne une nouvelle légitimé à la construction européenne. L’objectif initial de la construction européenne de créer un espace de paix et de prospérité est toujours là.

La perspective stratégique et fondatrice demeure constante : la paix et la prospérité pour les pays d’Europe méditerranéenne, centrale, orientale, baltique et balkanique. L’approfondissement sans élargissement serait un contresens, tout comme l’inverse. Les débats usés entre élargissement et approfondissement ont perdu leur sens. Les élargissements successifs ne sont pas des éléments négatifs, loin de là : plus l’Union exerce de compétences, plus elle devient capable d’agir et les approfondissements renforcent les capacités d’intégration – ces deux dynamiques se renforcent mutuellement rendant l’Union plus capable d’agir. Entre subir les décisions européennes, toujours  en nombre croissant, et participer à leur élaboration, à l’évidence la seconde alternative ne se discute pas, sauf pour les Suisses et les Anglais qui restent attachés de façon irréductible à leurs particularismes. Il faut dépasser les oppositions du passé, classiques mais stériles, pire, artificielles. Dans les débats menés jusqu’à aujourd’hui, on a perdu de vue que s’est développée une pensée philosophique  et politique de l’Europe comme civilisation commune avec sa diversité, son héritage chrétien qui garde toute sa part et trop vite écarté. Les négociations actuelles ne sont ni plus longues, ni plus difficiles que celles du passé.  L’écrire n’est pas nier les difficultés, mais les ramener à leur juste proportion, comme le cas turc dont il faut bien se convaincre qu’il n’y a plus aucune perspective d’adhésion, hypothèse désormais abandonnée tant à Bruxelles qu’à Ankara. Les raisons longtemps avancées sont aujourd’hui bien dépassées. Ce processus touchera à son terme avec l’entrée des Balkans occidentaux, qui marquera l’unification historique du continent européen

Henri-Pierre Legros

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire