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Macron a passé son examen oral devant le Parlement européen. Que faut-il en retenir ? « Non à une génération de somnambules !» (Emmanuel Macron)

La fraicheur, le charme, l’énergie, « le romanesque » et la modernité du président font l’unanimité.  Faut-il s’en satisfaire ? Non, aussi longtemps qu’il ne peut comptabiliser des résultats concrets et aussi longtemps qu’il doit constater l’absence de ralliements nombreux, ouverts, francs, durables. Derrière des louanges appuyées, percent des réticences feutrées, subsistent des inerties, des retards. Des clivages d’un autre âge, des déceptions provisoires à l’image du couple franco-allemand ?

Mais le président garde intacte son ambition de refonder le continent. Jamais il ne renoncera. C’est un peu tôt pour faire un bilan, mais Emmanuel Macron a déjà pris le temps nécessaire pour réaffirmer, comme toute première priorité, les cinq dimensions de la souveraineté européenne : sécuritaire, sanitaire, économique, écologique et numérique. Sans doute la chose la plus importante à retenir du discours devant le Parlement. Disant cela, il a rechaussé les bottes du Général de Gaulle qui, grand amateur de tautologie, pour se démarquer de ses rivaux européens d’alors, parlait « d’une Europe européenne », c’est-à-dire d’une Europe maitresse de son destin et non à la remorque d’une quelconque puissance ou d’intérêts économiques dont elle serait le jouet, servant des intérêts qui ne seraient pas les siens.

Si l’on passe au crible son discours, on constate que l’essentiel avait déjà été dit, et pas simplement dans les grands discours d’Athènes ou le « discours catalogue » de la Sorbonne, mais d’abord dans le  programme de travail du candidat.

« L’Europe doit changer : elle ne doit pas avoir pour mission de gérer une bureaucratie, mais de protéger notre présent et de préparer notre avenir ; elle doit donc nous protéger dès aujourd’hui, et investir pour demain. L’avenir de l’Europe est aujourd’hui triple : prendre le temps du débat et du rétablissement de la confiance, réaffirmer les cinq dimensions de la souveraineté européenne et renforcer l’identité européenne par des réalisations concrète ».En matière de diplomatie et de relations extérieures : choix du réalisme, parler à tout le monde et capacité à l’incarner au-delà des frontières. « Je souhaite mettre en œuvre une diplomatie claire et résolue dans la tradition gaulliste et mitterrandienne pour faire de la France une puissance indépendante humaniste et européenne. Nous conduirons notre action internationale à travers trois orientations politiques complémentaires et indissociables : l’indépendance, l’humanisme et l’Europe ».

Emmanuel Macron n’a pas voulu refaire les grands discours  prononcés  depuis son élection et il l’a dit aux députés, il voulait dialoguer avec eux. Force est de reconnaître que la réplique a été relativement faible, presque insignifiante, en tout cas, pas à la hauteur des enjeux du moment. D’où ce sentiment qu’Emmanuel Macron est bien seul et faudrait-il constater qu’une fois de plus les grandes politiques comme les grands hommes qui les inspirent et les animent sont menacés par la solitude ? Le phénomène a été bien analysé par Sébastien Maillard dans la publication de l’Institut Jacques Delors : « cette Europe qui se protège de Macron », nul ne se montre pressé de le suivre , nous dit-il. Face à cette Europe qui protège, « l’Europe au pouvoir veut se protéger de lui ». Mettant en parallèle « les consultations citoyennes » et le Parlement européen, Emmanuel Macron a envoyé un message subliminal : « sa fondation de l’Europe ne se jouait pas avec une assemblée sortante, mais il se préparait en cherchant des forces nouvelles ».

C’est pourquoi les élections européennes de 2019 seront un moment crucial pour Emmanuel Macron. Certes, sa stratégie de la relance européenne s’inscrit dans une tradition, un héritage français d’ambition européenne qui avait été portée par Charles de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand mais, pour préserver sa position, aujourd’hui avantageuse, Emmanuel Macron devra remporter au niveau européen les élections de 2019 de façon indiscutable ; dans un contexte marqué par la vague populiste, Macron a parlé d’une « forme de guerre civile qui réapparait »et de la « fascination pour l’illibérale qui grandit chaque jour ». Sa crédibilité et sa stature sont en jeu à l’occasion de ces élections. Le succès , ne serait-ce qu’en termes de participation, est  indispensable pour entrainer l’Union dans la mise en œuvre d’objectifs non seulement ambitieux mais qui aussi répondent  aux exigences de tous. Le prix du succès sera élevé.

Les conservatismes traditionnels sont toujours à l’œuvre. De grands chantiers sont ouverts : l’euro, la sécurité, la défense, désormais exigées par les citoyens, la question migratoire, la dimension sociale des inégalités grandissantes. Empêcher Emmanuel Macron de mener à bien sa tâche de refonder l’Europe serait suicidaire. L’heure est au renforcement de la vigilance avec «  l’émergence de grandes puissances autoritaires » tentée de rejeter le multilatéralisme. Le pouvoir fort, le nationalisme, l’abandon des libertés sont une illusion. En raison du numérique, du réchauffement climatique et de leurs conséquences, les fondamentaux de la société industrielle sont remis en cause. L’heure est au mouvement et pas à s’endormir sur le mol oreiller du scepticisme, mais l’heure est bel et bien au renouvellement de l’engagement citoyen pour que se perpétue le miracle européen unique au monde. « non à une génération de somnambules ! » (Emmanuel Macron)

S’exprimant devant les eurodéputés, il s’était donné comme objectif, à un an des élections européennes, de mobiliser les élus du « vieux continent » autour de son ambition de refonder l’Europe : « C’est ici que nous devons ancrer la renaissance d’une Europe portée par l’esprit même de ses peuples ».

Incontestablement beaucoup de choses sont à retenir du discours d’Emmanuel Macron. En conclusion, il faut retenir sa condamnation sans appel de la démocratie illibérale qui a la prétention de nous confiner à un entre-soi identitaire rompant avec notre tradition de démocratie libérale, avec en premier lieu une rupture  avec la  composante qui nous garantit les libertés individuelles et civiles. Dans la composante illibérale, l’État de droit devient malheureusement accessoire. Selon cette conception, dès lors que le peuple avalise directement ou indirectement une décision, elle serait par essence démocratique.

Eu-logos a organisé à l’ULB en février 2017 un colloque pour démontrer l’inanité d’une telle approche, approche  ratifiée par un vote majoritaire du public, un vote  contre le fait qu’un référendum serait un  bon outil démocratique. Le Taurillon, dans un excellent article (cf.infra « Pour en savoir plus »), a clairement démontré l’imposture et l’illusion de la démarche illibérale. Dans sa logique, la démocratie illibérale va plus loin que la plupart des populismes, notamment dans ses remises en cause sommaires des élites. Elle prétend « protéger les citoyens contre l’immigration qui envahit un pays pour détruire une civilisation », écrit le Taurillon. « Cette protection a un prix : la réduction des libertés publiques ». Elle choisit avec soin ses cibles, critiquant par exemple les organisations internationales spécialisées dans les droits de l’Homme, comme l’Union européenne ou la Cour européenne des droits de l’homme, jouant sur leur organisation jugée bureaucratique, technocratique, opaque, jusqu’à la caricature pour mieux les dénaturer et les discréditer. Emmanuel Macron a été ferme sur ce point de façon très explicite au point d’en faire l’ennemi principal de sa refondation de l’Europe.

La démocratie illibérale ne peut être l’avenir de l’Europe et les citoyens doivent réagir dès les premiers signes avant-coureurs, la société civile doit s’organiser pour la protection de l’Etat de droit et des libertés fondamentales. Les consultations citoyennes qui viennent d’être lancées constituent une occasion idéale pour contrer cette menace grandissante. Emmanuel Macron a eu des mots forts contre ces « passions tristes » : « la démocratie autoritaire qui prospère en Europe est une forme de guerre civile qui réapparait en Europe » a-t-il dit pour mieux décrire le contexte actuel condamnant « la fascination illibérale ». « Si nous décidons d’abandonner notre attachement à la démocratie, nous ferons fausse route ». « Pour apporter une réponse aux désordre du monde (…) la démocratie est notre meilleure chance  (…) Il faut entendre la colère des peuples (…) ils ont besoin d’un nouveau projet et non le retour aux déchirements des nationalismes » .

D’où la nécessité « d’une souveraineté européenne réinventée (…). Je veux appartenir à une génération qui aura décidé de défendre fermement sa démocratie (…). Je ne veux pas faire partie d’une génération de somnambules ». Cette voie n’est pas la plus facile à emprunter à l’heure où Donald Trump déchire le traité nucléaire avec l’Iran signé par les membres du Conseil de sécurité et l’Allemagne. Mais il n’y a pas d’autre voie. Les Européens céderont-il sous le poids d’un accord iranien qu’ils seraient les seuls à porter à  bout de bras ?

Nous est proposé un rendez-vous crucial au cours des prochaines semaines, comme jamais depuis que l’Union européenne existe : tester la volonté et la capacité des Européens à faire fin des sanctions et menaces américaines. Vu le rapport asymétrique entre les Etats-Unis et les entreprises européennes, pourra-t-on proposer une alternative substantielle à l’Iran, mais aussi aux États-Unis ? D’ordinaire peureux, les Européens accepteront-ils de se brouiller avec les Etats-Unis pour les beaux yeux de l’Iran ?

Dans son intervention du 9 mai, à la télévision allemande 24 heures après  le discours choc de Donald Trump et à la veille de la réception du Prix Charlemagne, Emmanuel Macron a été clair ne laissant pas de place à la discussion et à l’interprétation : « Nous sommes à un moment historique pour l’Europe (…) elle est désormais en charge de garantir cet ordre multilatéral que nous avons créé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et qui est aujourd’hui parfois bousculé ». (…) « l’Europe a une occasion unique pour faire entendre une voix unique. On va voir si elle va la saisir ». La crise iranienne peut être considérée comme un test de la volonté d’établir la « souveraineté européenne » qu’Emmanuel Macron ne cesse d’appeler de ses vœux dans ses discours sur la refondation ? Cruel dilemme à trancher mais la survie de l’Europe est à ce prix.

Quel que soit le chemin que l’on choisit, tous passent par un renouveau démocratique en Europe. Les appels nombreux allant dans ce sens et qui se multiplient actuellement doivent être entendus comme par exemple celui de Civico Europa (cf. infra « Pour en savoir plus »). En effet, c’est qu’à nouveau resurgit le spectre d’une armée de somnambules et tout passe par une souveraineté plus forte pour apporter les bonnes réponses.

Pour Emmanuel Macron, la souveraineté européenne doit se renforcer sur cinq plans : sécuritaire, sanitaire , économique, écologique et numérique. Des plans sont déjà développés depuis plus d’un an. Pour cela, la France est prête à augmenter sa contribution au budget, c’est un engagement inédit à ce jour en Europe, à la condition que la convergence économique et sociale soit au rendez-vous. Mais nous devons aussi promouvoir une souveraineté alimentaire de qualité : « c’est bon pour nos économies et nos territoires, bon pour nos concitoyens et c’est un choix cohérent avec nos engagements dans la durée. »

De la même façon, nous devons avoir une « souveraineté numérique dont Emmanuel Macron a rappelé l’importance : « nous sommes en train de devenir un espace unique au monde, où nous devons favoriser l’innovation tout en protégeant les libertés individuelles ». Il a appelé à la création « d’une taxe  à court terme qui mette fin aux excès les plus choquants ». Essentielle selon lui, elle « constituerait des pistes de ressources propres  pour le budget à venir ». L’accueil envers cette proposition a été frais, le débat sera long (deux ans) et le citoyen devra s’y engager malgré les difficultés qu’il présente. Une fois encore, l’élection du Parlement européen va constituer une occasion dont l’opportunité est évidente, tout comme celui d’un programme européen pour financer l’accueil des réfugiés, leur relocalisation et leur intégration. Il faut dépasser « le débat empoisonné du Règlement de Dublin en créant un programme européen qui soutienne directement financièrement les collectivités locales qui accueillent et intégrant les réfugiés »(…) Il s’agit d’un des dossiers sur lesquels «  nous devons obtenir des résultats tangibles ».  C’est clair !

Peut-on parler d’un « grand oral » réussi ?  Les semaines et les mois à venir le diront.

Henri-Pierre Legros

 

Pour en savoir plus :

Discours de Emmanuel Macron au Parlement européen . Strasbourg 17 avril 2018 http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-au-parlement-europeen/

Discours de clôture au Parlement européen de Emmanuel Macron  http://www.elysee.fr/videos/new-video-259/

Le Taurillon : la démocratie illibérale est –elle l’avenir de l’Europe        ? https://www.taurillon.org/la-democratie-illiberale-est-elle-l-avenir-de-l-europe

Civico Europa oser et inventer une nouvelle démocratie en Europe https://guests.blogactiv.eu/2018/05/09/civico-europa-oser-et-inventer-une-nouvelle-democratie-europeenne/

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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