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La question sensible de la migration : une difficulté accentuée par le Brexit

            Le 31 décembre 2020, le Royaume-Uni est officiellement sorti de l’Union européenne. Si les accords commerciaux ont été clairement définis le 24 décembre 2020, le sort des migrants est moins clair. Quelle sera la situation migratoire dans l’Union européenne après le Brexit ?

Le règlement régissant les questions migratoires dans l’Union est celui dit de « Dublin II ». Il a pour objectif de « déterminer rapidement l’État membre responsable [pour une demande d’asile] »[1]. En juin 2013, il a été remis à jour par Dublin III. Ce règlement permet d’éviter qu’un demandeur puisse demander asile dans plusieurs Etats membres. Comme l’explique l’Union européenne dans son règlement (UE) No 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013[2], « une politique commune dans le domaine de l’asile, incluant un régime d’asile européen commun (RAEC), est un élément constitutif de l’objectif de l’Union européenne visant à mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent légitimement une protection dans l’Union. »

Le RAEC est un ensemble de textes législatifs. Il se compose de cinq textes principaux[3] :

La directive « qualification » révisée : celle-ci a été adoptée le 13 décembre 2011 (JOUE L 337 du 13.12.2011). Elle « énonce les motifs justifiant l’octroi d’une protection internationale. La protection accordée peut être le statut de réfugié, conformément à la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ou la protection subsidiaire, si la personne ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mais fait état de craintes d’être exposée à des atteintes graves en cas de retour dans son pays. »

Les quatre autres textes législatifs ont tous été adoptés le 26 juin et publiés au Journal officiel de l’Union Européenne L180 du 29 juin 2013 :

La directive « procédures » révisée : Elle « fixe les délais aux Etats membres pour apporter des réponses aux demandes de protection et vise à améliorer leur qualité. Elle impose de nouvelles garanties procédurales, telles que l’entretien systématique, la présence d’un tiers aux côtés du demandeur, la possibilité – sous certaines conditions – d’être entendu par un officier de protection et un interprète de même sexe, ou l’enregistrement de l’entretien. Les besoins particuliers des demandeurs identifiés comme « personnes vulnérables », telles que les mineurs non accompagnés (isolés) et les victimes d’actes de torture par exemple, sont pris en compte pour leur permettre d’expliquer les motifs de leur demande dans les meilleures conditions. »

La directive « accueil » révisée : Elle « encadre les modalités de l’accueil des demandeurs d’asile dans les pays de l’Union européenne. Elle a pour objectif de garantir aux personnes en attente d’une réponse à leur demande de protection un hébergement, des conditions de vie et une assistance sociale comparables d’un Etat à l’autre. Elle prévoit une évaluation des besoins spécifiques des personnes vulnérables. Elle encadre strictement le placement en rétention des demandeurs d’asile, qui ne doit être engagé qu’en dernier ressort. »

Le règlement Dublin révisé (Dublin III) : Il « améliore le processus de détermination de l’Etat responsable de la demande et accroît les garanties des demandeurs d’asile dans le cadre de cette procédure. Il prévoit en particulier un droit à l’information et des entretiens systématiques. Il précise également les garanties procédurales, les critères de détermination, les procédures de prise/reprise en charge, les recours, les conditions de placement en rétention ou encore les échanges d’informations entre Etats membres. »

Le règlement EURODAC révisé : Il « encadre le fonctionnement du système informatisé permettant la comparaison des empreintes digitales dans le but de contribuer à déterminer l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale (système Dublin). »

Le RAEC comporte également d’autres textes établissant les aspects financiers avec le Fonds Asile, Migration et Intégration (FAMI), qui a été créé en 2014. Celui-ci finance les conditions d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA ou EASO), institué en 2010, est une agence européenne. Il organise la coopération entre les Etats membres. Par exemple, il peut envoyer des équipes d’appui si la demande d’asile croit brusquement.

Ce règlement vise ainsi à organiser une coopération entre les Etats membres face aux demandeurs d’asile et aux réfugiés.

Plus récemment, en septembre 2020, la Commission européenne a préconisé l’adoption d’un Pacte européen sur la migration et l’asile. Ce dernier a vocation à « mettre en place un système permettant à la fois de maîtriser et de normaliser la migration à long terme, tout en étant pleinement ancré dans les valeurs européennes et le droit international. »[4] Ce pacte a ainsi pour objectif de fluidifier les procédures migratoires et entend renforcer la solidarité entre les Etats membres.

Pourtant, cette solidarité est fortement impactée par le Brexit. Pour le Royaume-Uni, la question de l’asile et de la migration était au cœur de sa décision de retrait de l’Union européenne. La question de la migration et de l’asile a joué un rôle prépondérant dans la victoire des pro-Brexit lors du référendum. Si cet ex-Etat membre a abandonné le règlement de Dublin III lors de sa sortie de l’Union, aucun texte n’est venu remplacer ce-dernier. A côté de ce règlement, d’autres textes continuent d’être appliqués comme c’est le cas du Traité du Touquet, traité bilatéral entre la France et le Royaume-Uni, signé en 2003 et entré en vigueur en 2004, il est étendu à la Belgique en juillet 2004. Le Traité facilite les contrôles frontaliers et, surtout, créé un cadre juridique permettant aux agents britanniques et français d’effectuer des contrôles dans les deux pays : « Les parties contractantes prennent, dans le cadre du présent traité, les mesures nécessaires visant à faciliter l’exercice des contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord situés sur le territoire de l’autre partie […] » (article 1), « Au sein de la zone de contrôle, chaque gouvernement autorise les agents en poste de l’autre Etat à agir sur son territoire conformément aux pouvoirs qui leur sont conférés en matière de contrôles frontaliers […] »[5] (article 3). Ce Traité a donc pour fonction de renforcer la coopération franco-britannique (puis belge) en ce qui concerne la migration. Cependant, ce dernier semble être davantage favorable au Royaume-Uni.

Quid du Brexit ?

            Le traité du Touquet n’a aucun lien avec le Brexit et ne sera donc pas supprimé. Les mesures anti-migratoires seront au contraire renforcées. Le 28 novembre 2020, Priti Patel, secrétaire d’Etat de l’Intérieur britannique et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur français, ont trouvé un accord freinant l’immigration clandestine par la Manche. [6] Les autorités britanniques se sont engagées à investir 31,4 millions d’euros afin de soutenir l’action de la France.

Si l’accord bilatéral est toujours en vigueur, les conséquences au niveau européen sont floues. Où seront envoyés les migrants illégaux ? Le règlement de Dublin III prévoyait que les migrants devaient être renvoyés dans le pays dans lequel ils avaient effectué leur demande d’asile. Qu’en sera-t-il désormais ? Peut-être ces migrants seront-ils renvoyés dans leur pays d’origine mais rien n’est pour l’instant confirmé.

Cela n’arrange pas la situation actuelle dans les camps, comme c’est le cas à Calais. La CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) dénonce l’évacuation des migrants chaque semaine. En effet, le préfet du département du Nord, Michel Lalande, veut éviter les points de fixation des migrants. Ces évacuations entraînent des conditions de vie indignes pour environ 250 migrants qui dorment dans la boue et dans le froid.

Le 11 février dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a rédigé un communiqué de presse alertant sur la situation des demandeurs d’asile et des réfugiés à Calais. Elle « demande une fois encore à la France de dénoncer les accords du Touquet. Elle recommande en outre d’activer la clause humanitaire du règlement Dublin III jusqu’à ce qu’un accord soit conclu avec le Royaume-Uni. Elle recommande encore d’engager des négociations au plus vite avec celui-ci, et avec les autres Etats concernés, sur l’accueil des demandeurs d’asile enregistrés sur le littoral. »  Le Traité du Touquet est dénoncé par la CNCDH comme faisant partie d’une politique migratoire mettant des réfugiés dans des conditions inhumaines.

Toujours en février 2021 et sur les mêmes observations, la CNCDH demande qu’une protection des personnes exilées soit mise en place dans les négociations post Brexit.

Dans un rapport publié le 9 mars 2021[7], le Conseil de l’Europe accuse les Etats membres de ne pas protéger les migrants qui traversent la Méditerranée. Ce rapport met également en lumière des chiffres très inquiétants : entre fin juin 2019 et fin 2020, on comptabilise 2600 décès de migrants. Ce chiffre a de forte chance d’être plus élevé, car beaucoup de naufrages ne sont pas recensés. Depuis le début de l’année 2021, plus de 250 personnes sont mortes en traversant la Méditerranée.

L’implication de la Turquie

Autre problème, l’agence Frontex, chargée de la protection des frontières, aurait participé à l’expulsion de migrants, en les mettant parfois en danger. Dans un rapport de 2020[8], l’ONG Mare Liberum, qui observe la situation des migrants en mer, compte 9000 réfugiés envoyés illégalement en Turquie pour l’année 2020. Ce genre d’actions est lié à la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016[9]. L’Union européenne s’est engagée à verser 3 milliards d’euros « de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie aux fins de projets concrets ». En contrepartie, la Turquie a accepté de reprendre les migrants interceptés dans les eaux turques. Il a également été convenu que tous « tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui partent de la Turquie pour gagner les îles grecques à partir du 20 mars 2016 seront renvoyés en Turquie. » Début janvier 2021, le Conseil européen est revenu sur cet accord, en expliquant ses conséquences. 71 vies auraient été perdues en mer en 2019, contre 806 en 2015[10].

L’Union européenne a fourni une aide de plus de 6 milliards d’euros à la Turquie pour financer les besoins des réfugiés. Cette somme a permis à 685 000 enfants réfugiés de bénéficier d’un soutien pour pouvoir aller à l’école ; elle a également contribué à organiser près de 12 millions de consultations en matière de soins de santé primaires, à prodiguer plus de 3,5 millions de vaccinations parmi les réfugiés, aux nourrissons et aux femmes enceintes et à donner à 1,7 million de réfugiés une aide pour répondre aux besoins quotidiens de base.

Les implications du Brexit

L’Union européenne devrait donc, comme elle l’a fait avec la Turquie, parvenir à trouver un accord avec le Royaume-Uni en ce qui concerne les demandeurs d’asile. Cependant, le pays tout fraichement sorti de l’Union commence déjà à durcir sa politique envers les demandeurs d’asile. Le 24 mars, ses autorités ont proposé un programme[11] n’accordant pas les mêmes droits aux personnes entrant illégalement sur son territoire. Désormais, les migrants illégaux ne bénéficieront plus d’un droit d’installation comme c’était le cas précédemment, mais d’un statut de protection temporaire. Ils n’auront plus les mêmes droits en ce qui concerne les prestations sociales et le regroupement familial. Les demandeurs d’asile dont la demande sera refusée seront expulsés rapidement du territoire. Les opposants à ce programme dénoncent une injustice : les migrants seront acceptés et intégrés non en fonction de leurs besoins de protection mais en fonction de la manière par laquelle ils sont arrivés sur le territoire. Le ministère de l’Intérieur ne s’interdit pas non plus le « renvoi vers des pays tiers » comme l’a confié la ministre Priti Patel. Ce programme a été présenté à la Chambre des communes et n’a pas encore été validé.

Cette mesure confirme la ligne dure de l’accueil des demandeurs d’asile au Royaume-Uni. Le pays avait mis fin, en janvier 2021, à l’amendement Dubs[12]. Celui-ci offrait aux mineurs non-accompagnés un refuge. Désormais, les enfants pourront rejoindre le Royaume-Uni, mais selon les règles d’immigration déjà existantes. Cette décision a été prise par Chris Philp, ministre britannique de l’Immigration. Le risque est que les enfants demandeurs d’asile se tournent vers les trafiquants afin de se rendre au Royaume-Uni. « Ceux qui sont arrivés à Calais entreront en contact avec des trafiquants et essaieront de se rendre au Royaume-Uni de la manière la plus dangereuse possible, au péril de leur vie. Que nous soyons membres de l’Union européenne ou pas, nous avons notre part de responsabilité face à ces enfants », a déclaré Lord Alf Dubs au journal The Independent[13], celui qui a donné son nom à l’amendement.  

            Quelques mois après le Brexit, le Royaume-Uni commence seulement à afficher sa politique d’asile. Celle-ci est ferme et se caractérise par la volonté d’un contrôle strict. Cette ambition était déjà au cœur du Brexit mais commence à se préciser maintenant. De nouvelles mesures proposées par le Gouvernement devraient être arrêtées prochainement pour concrétiser cette politique d’asile.


[1] Règlement  343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers, 32003R0343, adopté le 18 février 2003, JO du 25 février 2003, p. 1-10, entré en vigueur le 17 mars 2003

[2] Règlement (UE) no 604/2013 (règlement Dublin III), remplaçant le règlement (CE) no 343/2003 du Conseil (règlement Dublin II)

[3] https://ofpra.gouv.fr/fr/asile/vers-un-regime-d-asile-europeen/definition-du-raec

[4] COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS sur un nouveau pacte sur la migration et l’asile

COM/2020/609 final

[5] Décret n° 2004-137 du 6 février 2004 portant publication du traité entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à la mise en oeuvre de contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord des deux pays, signé au Touquet le 4 février 2003

[6] https://www.infomigrants.net/fr/post/28808/la-france-et-le-royaume-uni-signent-un-accord-pour-freiner-les-traversees-de-la-manche

[7] A distress call for human rights The widening gap in migrant protection in the Mediterranean, Council of Europe,

[8] Pushback Report 2020 – Die Gewalt nimmt zu – 2020 zählte mare liberum mindestens 9.000 illegal zurückgedrängte flüchtende

[9] Déclaration UE-Turquie, 18 mars 2016, Conseil Européen

[10] Route de la Méditerranée orientale, Conseil Européen, 6 janvier 2021

[11]Home Secretary’s statement on the New Plan for Immigration https://www.gov.uk/government/speeches/home-secretarys-statement-on-the-new-plan-for-immigration

[12] Factsheet: section 67 of the Immigration Act 2016 (‘Dubs amendment’), UK visas and immigration, updated 27 July 2020

[13] Britain closes the door on unaccompanied child refugees, The Independent, 26 janvier 2021

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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