Une date importante pour la Charte des droits fondamentaux dont c’est une des premières consécrations concrètes importantes: accord à Bruxelles sur le téléchargement illégal

Les gouvernements de l’Union européenne et les eurodéputés ont trouvé le 5 novembre  un accord sur le paquet télécoms renforçant les droits des consommateurs en protégeant notamment d’une coupure intempestive de leur abonnement Internet les usagers qui téléchargent illégalement. Lire la suite l’article. Le Conseil constitutionnel français a été bien inspiré d’avoir censuré la première version de la loi Hadopi : aujourd’hui elle serait illégale au regard des dispositions arrêtées au niveau européen.

Le paquet télécoms, en négociations depuis deux ans, a pour but de renforcer les droits des usagers d’Internet et de téléphonie, ainsi que la concurrence entre les opérateurs. Il prévoit la mise en place d’un régulateur européen des communications électroniques, le BEREC (Body of European Regulators in Electronic Communications) chargé de veiller à l’application de ces nouvelles règles.
Mais les débats ont achoppé (et jusqu’à la dernière minute tardivement au petit matin du 5 novembre) sur la question du téléchargement illégal, les gouvernements des 27 pays de l’UE souhaitant une approche plus dure que celle des eurodéputés. L’accord finalement trouvé jeudi prévoit une disposition dans la future directive européenne protégeant les internautes d’une coupure arbitraire de leur abonnement en cas de téléchargement illégal. Les internautes seront ainsi présumés innocents au début de toute procédure, et les autorités nationales ne pourront suspendre leur abonnement que sur la base de preuves tangibles d’une infraction. Un droit d’appel et de révisions des décisions est garanti. Le juge reste incontournable. Les députés européens les plus oppositionnels (les  verts et les député du parti suédois des pirates ont donné leur accord.
« Le strict respect de la loi devra s’appliquer dans chaque dossier administratif, à l’exception des cas d’urgence justifiés que sont les crimes graves, le terrorisme et la pornographie infantile », a expliqué l’eurodéputé espagnol Alejo Vidal-Quadras. « C’est un vrai pas en avant. » « Cette disposition sur la liberté d’Internet est sans précédent (…) et montre de manière forte que l’UE prend très au sérieux la question des droits fondamentaux », a déclaré la commissaire européenne aux Télécoms Viviane Reding. Cette garantie « renforcera substantiellement les droits et le choix des consommateurs sur les marchés européens des télécoms ».
L’accord a été réalisé en procédure de concertation et il doit encore être approuvé par le Parlement européen et les dirigeants des 27. Le feu vert devrait être donné au cours du mois. Cet accord fait mentir bien des pronostics (rapportés dans  Nea say n° 74 et 75)
Comment apprécier en termes simples les résultats  d’un dossier éminemment complexe ? L’accès à internet est un « droit fondamental » dans l’Union européenne et toute décision visant à le restreindre ou à l’interrompre, notamment en cas de téléchargement illégal, doit pouvoir faire l’objet d’un recours judiciaire. C’est en substance l’accord auquel sont parvenus, dans la nuit de mercredi à jeudi, le Parlement européen et les vingt-sept États membres, lors de la troisième lecture du « paquet télécoms ». Les députés européens auraient voulu obtenir davantage : le 6 mai dernier,( cf Nea say)  la précédente assemblée avait exigé, en seconde lecture et contre la volonté unanime des États, à une majorité impressionnante par 407 voix contre 57 et 171 abstentions, qu’aucune restriction « aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux » ne puisse intervenir « sans décision préalable des autorités judiciaires ».
Après ce vote, qui confirmait celui intervenu en première lecture, un compromis entre le Parlement et les États membres devenait absolument nécessaire, un désaccord persistant risquant d’aboutir à un rejet pur et simple de l’ensemble du « paquet télécoms ». Or l’enjeu économique de cet ensemble de textes dépasse de loin la seule question du droit des internautes : il ouvre le marché des réseaux à grande vitesse et des spectres radio, réforme la directive GSM, crée un régulateur européen, etc.. Le besoin d’une décision sur l’ensemble du paquet Télécom  était impératif en ces temps dominés par la crise économique
Les eurodéputés ont dû reconnaître que leur exigence d’une « décision judiciaire préalable » posait un vrai problème puisque cela revenait à ce que le Parlement européen s’immisce dans l’organisation administrative des États. « Or, dans beaucoup de pays, même lorsqu’il s’agit de droits fondamentaux, ce sont des autorités administratives qui sont compétentes » faisaient remarquer les juristes  et le fait que le subsistait  le contrôle a posteriori du juge n’y changeait rien. Au bout du compte , le résultat était que le Parlement imposait en réalité, mais de façon détournée, une harmonisation de l’organisation administrative des États, un domaine dans lequel l’Union n’a aucune compétence.
Le Parlement a donc dû revoir à la baisse son ambition: les mesures de restriction à internet devront simplement être précédées d’une « procédure équitable et impartiale » respectant le principe de la « présomption d’innocence » et le « droit à la vie privée ». Il faudra que ces mesures soient « justes, appropriées, proportionnelles et nécessaires au bon fonctionnement d’une société démocratique ». Enfin et surtout, un contrôle juridictionnel devra être prévu. La France, principale opposante à la position initiale du Parlement, a approuvé sans problème cette formulation. Il est vrai qu’elle a vu la « riposte graduée » prévue par la loi Hadopi 1 sanctionnée par le Conseil constitutionnel,  au motif que « c’est à la justice de prononcer une sanction lorsqu’il est établi qu’il y a des téléchargements illégaux .
Grand succès pour le Parlement européen : sans se renier ( comme on lui en faisait le grief par avance) il a su trouver un terrain d’entente avec le Conseil après des propos véhéments et polémiques autour de l’article 138. Les perspectives d’un accord ont longtemps semblé fragiles. Les députés plus que les autres négociateurs ont voulu témoigner de l’ampleur du succès tant pas la substance que par l’impact politique. Le courant est finalement passé entre le Parlement et le Conseil.
Alejo Vidal-Quadras(PPE espagnol), chef de la délégation du Parlement européen a pu dire : « on est arrivé à un accord qui nous permet de garantir les droits des usagers ». Le rapporteur, Catherine Trautmann(S-D  ) française , a pu souligner de son côté : « la collaboration entre tous les gouvernements a été très importante pour parvenir à un accord. Le résultat auquel on est parvenu est bon ». La commissaire Viviane Reding a considéré que le travail réalisé par le comité de conciliation avait été remarquable : « nulle part dans le monde pareille législation n’existe. L’Europe montre la voie et la prise en compte des droits fondamentaux est un signal très important ».
Jamais on ne soulignera assez qu’au départ ni la proposition initiale de la Commission, ni la position commune du Conseil ne contenaient de telles garanties pour l’usager et Vidal-Quadras était pleinement justifié à dire : » sans le Parlement, les limites à imposer aux gouvernements (…) n’auraient jamais été discutés. Les membres du Parlement sont très fiers de ce qu’ils ont obtenu, grâce à l’attitude constructive du Conseil. » En effet, le Parlement et le Conseil s’étaient accordés en mai dernier sur le fait que l’accès à Internet était essentiel pour l’exercice de certains droits fondamentaux tels que le droit à l’éducation, la liberté d’expression et l’accès à l’information (rapport de Catherine Trautmann(S&D, FR). Les députés ont donc insisté mercredi pour obtenir des garanties procédurales dans les cas de limitation de l’accès à l’Internet, dans le respect des garanties judiciaires inscrites dans la Convention Européenne pour la Protection des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.
Les restrictions d’accès à Internet ne pourront être imposées seulement si elles  sont jugées justes, appropriées, proportionnelles et nécessaires au bon fonctionnement d’une société démocratique, les représentants du Parlement et du Conseil ont décidé. Les mesures de restriction devront être appliquées en respect du principe de présomption d’innocence et du droit à la vie privée. Elles devront être précédées d’une procédure équitable et impartiale garantissant le droit au contrôle juridictionnel. Dans les cas dont l’urgence a été dûment jugée, des procédures appropriés ad-hoc pourront être engagées, à condition qu’elles respectent la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Dorénavant, les internautes pourront se référer à ces dispositions lors de procédures judiciaires engagées contre une décision d’un Etat membre de limiter leur accès à Internet.
Le  Parlement avait  demandé que les droits des utilisateurs ne soient pas restreints sans décision préalable des autorités judiciaires (en accordance avec l’article 11 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE sur la liberté d’information), sauf dans les cas d’urgence où la sécurité publique est menacée ou dans des cas de pédopornographie  auxquels  cas la décision peut intervenir ultérieurement. (amendements apportés par le rapport de Catherine Trautmann, en mai 2009).  C’est à deux reprises que le Conseil a rejeté deux fois cette demande, rendant inévitable l’ouverture de la procédure de « conciliation ».Des doutes subsistaient sur la validité du fondement juridique des amendements du Parlement, qui selon certains détracteurs dépassaient les compétences de la Communauté européenne. Les garanties procédurales demandées par le Parlement requerraient en effet une véritable harmonisation des systèmes judiciaires des Etats membres, ce qui outrepasserait les prérogatives de la Communauté dans le domaine visé par la législation télécom : les mesures d’harmonisation pour le marché intérieur (article 95 du traité). Dans l’état, la directive ainsi amendée par le Parlement aurait donc pu être annulée par la Cour Européenne de Justice. La dissuasion était importante et a conduit au compromis. Le texte de compromis obtenu dans la nuit  évite de proposer une harmonisation des systèmes judiciaires.
Autre succès pour le Parlement européen : un nouvel organe européen des régulateurs télécoms.Le 26 octobre, le Conseil a confirmé un accord obtenu en mai dernier avec les députés portant sur deux autres volets importants du paquet télécom : en premier lieu, un règlement établissant un organe des régulateurs européens des télécommunications  électroniques (BEREC). Le BEREC sera doté de la structure souple d’un Conseil d’administration composé des 27 autorités nationales de régulation, auquel se joindra un observateur représentant la Commission qui n’aura pas le droit de vote. En tant qu’organe d’expertise et de conseil indépendant, le BEREC émettra des avis et des recommandations pour aider la Commission et, sur demande, il aidera le Parlement européen et le Conseil à appliquer le cadre réglementaire en matière de communications électroniques de façon efficace et cohérente. Le deuxième volet du paquet ayant reçu l’aval du Conseil le 26 octobre dernier est une directive visant à renforcer les droits des consommateurs, par exemple en permettant le transfert d’un numéro de téléphone portable (GSM) lors d’un changement d’opérateur et en établissant l’obligation d’obtenir le consentement des utilisateurs avant l’installation de « cookies » sur leurs ordinateurs.
Les prochaines étapes : le vote en séance plénière du Parlement est prévu pour la séance du 23-26 novembre à Strasbourg. A ce stade, le Parlement et le Conseil ne peuvent qu’approuver ou rejeter le texte, sans possibilité de l’amender. L’approbation du Parlement nécessite une majorité simple des voix, tandis que le Conseil votera à la majorité qualifiée. Si le Parlement ou le Conseil en venaient à rejeter le texte, la directive-cadre pour les communications électroniques n’entrerait pas en vigueur et la procédure législative devrait entièrement recommencer avec une nouvelle proposition de la Commission.
En conclusion, le droit d’accès à Internet relève des droits fondamentaux  et une restriction à l’accès ne peut intervenir que si elle est « appropriée, proportionnée et nécessaire » et soumise « des mesures de sauvegarde procédurales adéquates ». L’article 1(3) stipule clairement qur toute restriction à l’accès à Internet devra respecter, dans tous les cas « la présomption d’innocence, le droit à la vie privée ». Enfin une procédure préalable, juste et imoartiale devra âtre garantie , y compris le droit à être entendu » .
Satisfaction unanime du côté des parlementaires. Pour le PPE le parlement a obtenu gain de cause pour la reconnaissance du droit des utilisateurs d’Internet dans la législation et cela malgré les réticences de certains gouvernements : « le parlement a forcé les gouvernements à débattre des conditions qui devraient être respectées en cas de restrictions à l’accès à Internet et c’est une victoire majeure pour ce Parlement, institution qui défend les droits et les libertés des européens » ; (Alejo Vidal-Quadras) « Nous avons donné une très grande valeur à la liberté individuelle et à l’inviolabilité de la sphère privée »  (Herbert Reul). « La stratégie des libéraux était : pas de préalable, pas de paquet ! C’était une rude bataille, mais le parlement a montré ses dents et les Etats membres ne pourront pas couper l’accès à Internet sans une procédure préalable et juste, maintenant la présomption d’innocence « (Lena Ek  au nom de l’ALDE)« Je suis contente que le Conseil ait finalement compris que le Parlement ne se rendrait pas (la roumaine Adina Valean) . Les conservateurs et réformateurs européens (ECR) se félicitent également de l’accord obtenu qui pour eux ouvre la voie à l’adoption du paquet télécom. La législation améliorera la concurrence transfrontralière et renforcera le droit des consommateurs : « C’est une avancée majeure pour les consommateurs. Il s auront des droits renforcés pour des services de communication de haute qualité, avec plus d’informations de la part de leurs fournisseurs d’accès et plus de choix dans un marché hautement concurrentiel (…) Les députés ont insisté pour que les gouvernements respectent les droits des citoyens dans toutes les procédures qui pourraient mener à une déconnexion à Internet » a commenté Malcom Harbour, rapporteur sur les questions des droits des consommateurs . »C’est une bonne nouvelle pour les citoyens » a souligné l’Alliance des progressistes des socialistes et démocrates (S-D) : la Française Catherine Trautmann estime que le Parlement « est allé aussi loin qu’ile pouvait (…) il aurait outrepassé ses droits s’il avait exigé des Etats membres que la décision de suspendre l’accès à Internet soit sujette à la décision préalable d’un juge ». «L’accord a été adopté à l’unanimité et le groupe S&D a joué un rôle décisif pour aboutir à ce résultat » a souligné sa collègue Marita  Ulvskog. Le groupe des Verts estime que le compromis est une victoire pour les utilisateurs d’Internet, mais « la bataille pour la protection de leurs droits n’est pas gagnée ». Ce sont les verts qui ont le plus bataillé pour que l’esprit du fameux amendement 138 soit préservé. Mais ils restent prudents quant à la future attitude de la France et du Royaume-Uni lors de la transposition de la directive dans le droit national. Par la voix d’un des leurs, le belge Philippe Lamberts , ils ont fait remarquer que « sans la pression du groupe des Verts/Ale et de son député suédois issu du parti des Pirates, Christian Engström, nous n’aurions pas obtenu un tel résultat. Le compromis (…) est donc une victoire pour le Parlement européen , pour les citoyens européens qui se sont montrés très mobilisés sur cette question ». Il s’est félicité de l’évolution de la position des conservateurs européens, mais il estime « qu’il reste beaucoup à faire pour parvenir à une protection maximale à l’époque du numérique (…) Nous souhaitons une plus grande reconnaissance d’Internet comme composante essentielle de la vie contemporaine » a-t-il conclu.

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Cet article a 2 commentaires

  1. lf5422

    Source S.I.Lex
    http://scinfolex.wordpress.com/2009/11/08/filons-de-s-i-lex-11-le-releve-des-fouilles-de-la-semaine/
    Droit d’accès à Internet et libertés numériques en Europe :

    * L’Europe à mi-chemin de la protection des droits sur Internet. La Quadrature du Net; 05/11/2009.

    Pendant ce temps, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen aboutissent enfin à un accord à propos du Paquet Télécom. Le compromis prévoit des garanties fortes pour contrôler les restrictions d’accès à Internet : le droit à «une protection judiciaire effective et au procès équitable», «le principe de la présomption d’innocence et le respect de la vie privée» et le respect de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Même s’il contient encore des ambiguïté et des imperfections, ce texte pourra jouer un rôle protecteur, notamment si la menace des accords ACTA se rapproche de l’Union européenne.

    Par ailleurs, la question de la mise en place de la riposte graduée se répand en Europe suite au vote de la loi Hadopi par la France, avec des réponses très variables selon les Etats qui montrent qu’il n’existe pas de consensus au niveau européen concernant la lutte contre le piratage :

    * Hadopi pourrait s’exporter au Royaume-Uni. Par Mario. Actualitté. 30/09/09

    * L’Espagne ne veut pas de la riposte graduée. Par Julien L. Numerama. 06/11/2009.

    * Finlande : un droit Internet universel. Idealo.fr. 15 octobre 2009.

    Et retour en France pour clore ce chapitre mouvementé cette semaine des libertés numériques :

    * La neutralité des réseaux dans la loi sur la fracture numérique. Par Marc Rees. PCInpact. 05/11/09

  2. lf5422

    Merci

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