Qu’est ce qu’une infraction ? Qu’est-ce que la libre circulation des personnes ?

 L’actualité nous pousse à dire ce qu’est une procédure d’infraction tant nous a semblé grande leur incompréhension par les hommes politiques et même les journalistes spécialisés en affaires européennes qui chaque mois sont confrontés en salle de presse, à Bruxelles, à plusieurs dizaines, voire plus d’une centaine de communiqués de presse concernant les infractions. Ces communiqués recouvrent l’ensemble des tables disponibles dans le hall de la salle de presse.

 

Chaque État membre est responsable de la mise en œuvre (transposition dans les délais, conformité et application correcte) du droit de l’Union dans son ordre juridique interne. En vertu des traités, la Commission européenne veille à l’application correcte du droit de l’Union. Par conséquent, lorsqu’un État membre ne respecte pas ce droit, la Commission européenne dispose de pouvoirs propres (le recours en manquement) prévus aux articles 258 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 141 du traité CEEA pour tenter de mettre fin à cette infraction et, le cas échéant, elle saisit la Cour de justice.

On entend par manquement la violation par les États membres de leurs obligations découlant du droit de l’Union. Ce manquement peut consister en un acte positif ou une abstention. On entend par État, l’État membre qui enfreint le droit de l’Union, quelle que soit l’autorité – centrale, régionale ou locale – responsable du manquement.

Dans le cadre du recours en manquement, la Commission européenne engage tout d’abord une procédure administrative appelée «procédure d’infraction» ou «procédure pré-contentieuse». L’objectif de la phase pré-contentieuse est la mise en conformité volontaire de l’État membre aux exigences du droit de l’Union.  Cette phase peut être très longue : la Commission ne tire pas sans sommation

Cette procédure comporte formellement plusieurs étapes et peut être précédée d’une phase de recherche ou examen notamment dans le cas de procédures d’infraction ouvertes suite à des plaintes.  Les négociations sont permanentes et sont liées à la disponibilité des parties. Le franchissement formel d’une étape n’arrête pas la négociation.

La mise en demeure représente la première étape de la phase pré-contentieuse au cours de laquelle la Commission européenne demande à un État membre de lui faire part, dans un délai déterminé, de ses observations sur un problème d’application du droit de l’Union identifié. A la mi octobre nous entrerons, peut-être, dans cette première phase au même titre que beaucoup d’autres Etats membres et pour d’autres affaires. La Commission décide par paquet suite à une réunion préparatoire des chefs de cabinet de tous les commissaires, véritable marathon qui épuise les mieux aguerris !

L’avis motivé vise à fixer la position de la Commission européenne sur l’infraction et à déterminer l’objet de l’éventuel recours en manquement avec une invitation d’y mettre fin dans un délai donné. L’avis motivé doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons ayant amené la Commission européenne à la conviction que l’État intéressé a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu du traité.

La saisine de la Cour de justice ouvre la phase contentieuse proprement dite. Elle intervient dans environ 5% des cas.

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, la Commission européenne dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant au lancement de la procédure d’infraction et à la saisine de la Cour et ce, y compris au moment de l’introduction du recours.

Indiquons que le Traité de Lisbonne a fait disparaître la nécessité de l’avis motivé, pour accélérer la procédure. En pratique la Commission peut se montrer conciliante et patiente si l’Etat membre collabore mais peut franchir une étape rapidement et accélérer le rythme si elle la conviction étayée par des preuves que l’Etat membre multiplie les pratique dilatoires de retardement. Chaque année la Commission fait un rapport sur l’application du droit communautaire qui est examiné avec beaucoup d’attention par le Parlement européen qui dans une résolution formule des recommandations. C’est un grand moment dans la vie parlementaire. L’ardeur des députés tend à s’émousser découragés par le manque de progrès réalisés. Cet exercice tend à devenir un rituel sans conséquences réelles immédiates. A l’avenir et suite à l’affaire Rom, la situation peut évoluer. Surveiller l’application du droit communautaire représente une tâche titanesque, mobilisant beaucoup de fonctionnaires, le Parlement européen n’ayant de cesse de réclamer des ressources appropriées pour que la Commission puisse faire face à ses obligations définies par les traités comme nous venons de le voir. Signalons que le député européen Alain Lamassoure (actuellement président de la commission du Budget du Parlement européen) s’en est inquiété dans un rapport remis il y a deux ans au président de la République qui l’en avait chargé : « le citoyen et l’application du droit européen ».

Toute personne peut mettre en cause un état membre en déposant une plainte auprès de la Commission pour dénoncer une mesure (législative, réglementaire ou administrative) ou une pratique imputable à un Etat membre qu’elle estime incompatible avec le droit communautaire. Toutefois les services de la Commission peuvent apprécier, à la lumière des règles et des priorités établies par la Commission pour le lancement et la poursuite des procédures d’infraction, si une suite doit être donnée ou non à une plainte. Lorsque la Commission décide de donner suite à une plainte, elle autorise l’état membre à présenter ses observations quant aux faits exposés dans la plainte et l’appréciation juridique préalable qui en est faite par la Commission dans la lettre de mise en demeure. Un Etat membre qui ne se conformerait pas à un arrêt de la Cour peut se voir infliger une amende souvent très élevée par jour de retard.

Enfin, il y a lieu de souligner que les conclusions de la Cour de Justice n’ont aucun effet sur les droits du plaignant étant donné qu’elle n’a pas pour mission de résoudre les cas individuels. Elle oblige simplement l’état membre à se conformer au droit communautaire. Il est donc dans l’intérêt du plaignant d’utiliser les voies de recours disponibles sur le plan national qui peuvent en général lui permettre de faire valoir ses droits de façon plus directe et personnalisée. Ainsi, en cas de dommages, seules les juridictions nationales peuvent condamner l’Etat membre à  indemniser le plaignant. Cela signifie que les actions en dommages-intérêts individuelles doivent être portées devant les juridictions nationales (voir jugement du 5 mars 1996, « Brasserie du pécheur SA » affaires C-46/93 et C-48/93).

En matière de libre circulation que dit le droit  européen ?

Le texte sur lequel Commission et France se disputent  est la directive, adoptée en 2004, sur la libre circulation. Le droit de libre circulation est prévu dès le traité de Rome, et c’est un des fondements de la construction communautaire ; pour autant, il n’est pas absolu ni inconditionnel. De nombreuses directives se sont succédées pour le préciser et le compléter.

Par soucis de clarté, la directive adoptée en 2004 rassemble en un texte unique toutes les dispositions qui se rapportent à la libre circulation.

Ainsi la Commission rappelle-t-elle en premier lieu que « la libre circulation des personnes est l’un des fondements de l’UE et un droit fondamental des citoyens de l’Union ». A ce titre, les Roms vivant dans l’UE, qui en sont des citoyens, jouissent de ces droits.

Formellement, c’est l’article 21 du TFUE (traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) qui dispose que « tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ». Mais ce droit n’est pas exempt de conditions : c’est ce que précise la directive dite 2004/38/CE.

La directive établit d’abord un seuil en dessous duquel le droit de libre circulation est très peu encadré : trois mois. En dessous de trois mois, seul un passeport ou une carte d’identité valide est nécessaire pour séjourner dans un Etat membre, quand on a la nationalité d’un autre Etat membre.

Sont considérés comme des membres de la famille les enfants ou parents à charge, et le conjoint.

Par contre, au-delà de trois mois, l’Union pose une condition de ressources. Le citoyen doit travailler (au titre de salarié ou de travailleur indépendant), ou prouver qu’il dispose de ressources nécessaires afin qu’il ne soit pas une charge pour l’assistance sociale du pays d’accueil. Il doit, en outre, disposer d’une assurance maladie. Les membres de la famille d’une personne qui remplit ces conditions peuvent bénéficier du droit de séjour. Mais si elle ne remplit pas ces conditions, une personne peut être « éloignée » par l’Etat d’accueil.

Ce sont, en creux, des raisons que peut invoquer l’Etat français pour justifier l’expulsion de personnes qui ne seraient pas capables de subvenir à leurs besoins, comme c’est le cas pour les Roms qui sont le plus souvent très pauvres. Pierre Lellouche avait d’ailleurs déclaré que la libre circulation ne devait pas, « pour tel ou tel Etat membre, servir de défausse en direction d’autres Etats sur la gestion de ses propres problèmes de pauvreté ».

Par ailleurs, des raisons « d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique peuvent également justifier des restrictions de la liberté de circulation et de séjour (article 27 de la directive) ». La France a invoqué la multiplication des violences perpétrées par les Roms (et en particulier l’attaque d’une gendarmerie dans le Loir et Cher), ainsi que les « trafics d’êtres humains » au sein de cette communauté. Ces arguments sont rejetés par la Roumanie et les associations.

Bien entendu, il existe un vide juridique puisque rien n’empêche un citoyen, au terme de ces trois mois, de passer la frontière pour « réinitialiser » son droit de séjour. C’est d’ailleurs ce qu’un avocat français a encouragé un groupe de Roms à faire afin de mettre à jour cette contradiction. Cela fait dire à l’association Romeurope que cette politique a pour conséquence, outre le fait de « gonfler les statistiques du Ministère de l’Immigration artificiellement », de « seulement déplacer les familles d’une commune à une autre, dans une précarité croissante ».

Mais bien que le texte prévoie des cas dans lesquels l’Etat puisse « éloigner » un citoyen, ces cas sont limités tant du point de vue des raisons que de la méthode de l’éloignement.  C’est la méthode qui soulève les critiques les plus vives de la part des associations et des parlementaires européens ;

Le texte de la directive liste un certain nombre de facteurs à prendre impérativement en compte lorsqu’un éloignement est envisagé : « la durée du séjour de l’intéressé sur son territoire, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle dans l’État membre d’accueil et l’intensité de ses liens avec son pays d’origine ». Il n’apporte pas plus de précision sur la manière de prendre en compte ces éléments. Il explique simplement que l’Etat ne peut pas fixer de seuils, et que son appréciation doit être qualitative.

Pour ce qui est des raisons de l’éloignement, le texte dit que, « lorsque les États membres prennent la décision d’éloigner du territoire un citoyen de l’Union, ils doivent s’assurer au préalable que cette décision est proportionnelle à la menace pour l’ordre public ou à la charge pour le système d’assistance sociale que le citoyen concerné représente ». Ainsi, le texte insiste sur l’importance d’une telle décision, qui doit être « équitable ». De plus, « une décision d’éloignement prise pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique doit être fondée exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné. Cela signifie que le comportement personnel doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société (article 27). »Le corollaire de cette dernière disposition, en ce qui concerne la méthode, est que l’Etat ne peut pas conduire d’expulsions collectives. C’est l’un des reproches qui est adressé à l’Etat français. Les associations et les parlementaires européens (cf autre billet d’information dans Nea say) dénoncent la façon dont les autorités distribuent dans les camps des avis d’expulsion à tous. Le gouvernement français s’en défend et il devra prouver à la Commission que chaque cas est bien examiné individuellement.

Mais la fameuse circulaire qui annonçait que les démantèlements de camps illégaux devaient concerner « en particulier les Roms » est à caractère discriminatoire, et est bien entendu incompatible avec le droit européen. Le ministre de l’Intérieur français a retiré cette circulaire pour la remplacer par une autre sans la mention litigieuse, mais cela jette le doute sur les intentions françaises. Et quid du passé, du « mal » qui a été fait pendant cette courte période où la circulaire a été appliquée ? Nous ne savons rien se plaint devant les députés Mme Reding. Paris s’est défendu en expliquant que les camps illégaux démantelés n’étaient pas seulement ceux de Roms et à 80% concernaient des français, Mme Reding l’a redit aux parlementaires européens.

Au contraire, la France insiste sur l’aspect volontaire des retours, ce qui est mis en cause par les uns et les autres. Bien que le gouvernement fournisse une aide aux personnes acceptant de partir (300 euros par adulte et 100 euros par enfant), un rapport de la Commission indique que « le seul fait de verser une aide forfaitaire au retour à un citoyen de l’UE n’est pas, en première analyse, suffisant pour exclure ces rapatriements du champ d’application de la directive ».

Précisons pour finir qu’en principe, les décisions d’éloignement « peuvent faire l’objet d’un recours devant une juridiction nationale. Le recours peut s’accompagner d’une demande visant à obtenir le sursis à l’exécution de la décision d’éloignement, dans l’attente de la signification du jugement. Dans ce cas, l’éloignement effectif du territoire ne peut pas avoir lieu sauf lorsque les personnes concernées ont déjà pu exercer un recours juridictionnel ou lorsque la décision d’éloignement se fonde sur des motifs de sécurité publique (article 31) ». Mme Reding a insisté auprès des parlementaires européens sur ses exigences en matière de sauvegardes et garanties procédurales (délai d’exécution, notification, possibilité d‘introduire un recours, intervention du juge etc …) elle déterminera son comportement futur en fonction des preuves concrètes qu’apportera la France

A noter aussi qu’ »après une période de séjour ininterrompue de cinq ans dans le pays d’accueil, les citoyens de l’Union deviennent résidents permanents », cette fois sans condition.

Nota Bene : le Parlement européen a réalisé une étude de plus de 300 pages sur le droit des citoyens européens de circuler et séjourner librement dans les territoires de l’Union européenne » http://www.ipolnet.ep.parl.union.eu/ipolnet/webdav/site/myjahiasite/shared/poldepc/legal/pe410650_fr.pdf

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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