Islamophobie…pourquoi ce déferlement général ? Editorial du N° 97 de Nea say

 Les réponses tardent, parfois savantes, mais pas toujours convaincantes pour le commun des mortels. Chaque jour elles deviennent plus urgentes. L’absence de réponses inquiète, angoisse. Le Parlement européen en vue du prochain sommet UE/Etats-Unis lance un appel : « compte tenu des évolutions à l’œuvre d’une rive à  l’autre de l’Atlantique qui mettent en cause l’harmonie et la diversité de nos sociétés(…) que s’instaure un dialogue ouvert entre nos pouvoirs publics et nos sociétés sur la manière de renforcer collectivement la tolérance et le respect pour la diversité au sein de nos communautés respectives, dans le contexte du respect universel des droits humains fondamentaux !».

Le Conseil de l’Europe vient de lancer un groupe d’éminentes personnalités présidé par l’ancien ministre des affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, pour étudier et remédier à l’intolérance.

Le journal « la Croix » vient de consacrer le 9 novembre dernier un dossier de bonne qualité sur la montée de l’islamophobie. Une des personnes interrogée demande, perplexe, : « je constate une montée parallèle de l’islamophobie et des xénophobies et je ne sais à quoi l’attribuer. » Il lui arrive de reconnaître qu’il a parfois peur, mais pour lui l’essentiel est de ne pas faire l’amalgame entre islamisme, terrorisme, islam. Il considère aussi que la plupart des médias entretiennent cette confusion et suscitent la peur en grossissant des faits  isolés marqués d’intransigeance et de débordements, passagers, de toute nature. Comme beaucoup d’autres religieux il recommande la promotion d’une culture du dialogue et de l’éducation religieuse. Effectivement on constate, sans pouvoir en tirer une conclusion précise, que la montée de l’islamophobie s’est accompagné en Europe au cours de ces dernières années d’une accélération de la dé-christianisation .

Un éditorial du journal Suisse « le Temps » évoque avec précaution une piste voisine. Il le fait à l’occasion de la tentative de retirer des salles de classes le crucifix. Finalement le crucifix et la croix devraient rester dans les salles de classe de l’école publique. Telle est la recommandation faite le 9 novembre dernier par le gouvernement et le parlement lucernois. Leur but? Mettre fin à une polémique déclenchée récemment par un libre-penseur offusqué de la présence d’un symbole religieux dans l’école fréquentée par ses enfants. Pour justifier leur position, les autorités cantonales ont évoqué la tradition chrétienne et la culture d’une région historiquement catholique. Cette réaction ressemble beaucoup à celle des italiens offusqués eux aussi dans leur immense majorité par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme demandant que le crucifix soit retiré des écoles. Cette immense majorité a mêlé religieux et laïcs, croyants et athées. La plupart argumentait que la présence du crucifix  faisait partie de leur tradition.

Serait-on en train d’assister à un tournant?  S’est interrogé l’éditorialiste du « Temps » . « Il y a quelque temps, le pape Benoît XVI semblait crier dans le désert lorsqu’il appelait l’Europe à défendre ses racines chrétiennes et s’insurgeait contre une «laïcité agressive». Aujourd’hui, une réaffirmation identitaire est en marche en Suisse comme dans d’autres pays. Elle s’appuie en partie sur une perception négative de l’islam, considéré par une partie de la population comme offensif et menaçant. Elle procède aussi de la perte des repères provoquée par la mondialisation et la sécularisation. Conséquence logique de ces évolutions: la défense de l’identité et de la culture est devenue depuis plusieurs années un thème politique porteur, exploité massivement par certains partis. Leur succès révèle un sentiment d’insécurité lié à une réelle fragilisation de la culture occidentale, notamment dans ses dimensions socio-religieuses. Les élites politiques ont tout intérêt à ne pas négliger le facteur religieux, et notamment l’attachement d’une majorité de la population à la tradition chrétienne. La mobilisation des Lucernois pour le maintien des crucifix en classe démontre que même dans une société sécularisée, la religion continue à être une composante importante de l’identité. » a conclu l’éditorialiste. Face à l’Islam,  les évêques de France, navrés,  reconnaissent eux-aussi que « des peurs s’installent » rapporte le journal la Croix ». L’ouverture et le dialogue régressent constatent-ils amèrement.

En effet d’autres analystes font remarquer qu’islamophobie et crainte d’une islamisation de la France s’alimentent mutuellement. Mais outre le fait que le terme de « islamophobie» devrait être bannie parce que mal définie, certains observateurs estiment qu’il est excessif de parler d’islamisation et qu’il conviendrait de parler de « rattrapage » en référence à une époque pas si lointaine où il n’y avait aucun lieu de culte, pas de boucheries hallal, pas d’enseignement religieux, pas de représentation statutaire, pas de carré musulman pour les sépultures etc …Les progrès réalisés sont encore très imparfaits, les tâtonnements et les maladresses, nombreux. Comment sortir du cercle vicieux ? Par l’éducation religieuse mutuelle en montrant que les musulmans, comme les chrétiens cherchent depuis des siècles, quasiment depuis l’origine, à combiner leur religion avec la modernité.

Peut-on trouver des réponses de l’autre côté de l’Atlantique puisque le Parlement européen nous invite à rechercher ensemble les réponses à des questions en apparence voisines sinon identiques. L’hostilité de l’opinion publique américaine, récente, ne cesse de grandir de façon spectaculaire, plus grave peut-être,  on assiste à un glissement de la nature des préjugés. Après le 11 septembre la menace terroriste a fait office de catalyseur mais faiblement : les musulmans américains, bien intégrés, avec un niveau de vie supérieur à la moyenne américaine, ont multiplié les manifestations de loyalisme à l’égard des Etats-Unis. Mais le malaise est apparu récemment et a grandi en liaison, apparente du moins, avec divers éléments : la politique anti immigrés symbolisée par les mesures prises en Arizona, des actes de terrorismes désamorcés ou non, la montée des extrémismes du tea-party à l’occasion des élections. Mais au bout du compte la menace terroriste a été remplacée par une menace liée à des aspects plus symboliques et culturels de l’islam et à leur tour, comme en Europe, les américains parlent d’islamisation des Etats-Unis : la charia, la loi islamique, va s’emparer des cours de justice américaines….Pour beaucoup d’universitaires cette flambée d’islamophobie  a été exacerbée par deux facteurs : l’insécurité économique qui tend à discriminer les minorités et l’instrumentalisation de l’Islam pour des raisons bassement électoralistes. Bref une construction artificielle faite par des gens qui n’y connaissent rien pour des gens qui n’y connaissent rien ! a conclu un éminent universitaire.

Pourquoi le malaise se prolonge-t-il ? Les raisons sont aussi politiques : le blocages des initiatives politiques au Proche-Orient, le durcissement américain en Afghanistan ont empêché à ce jour le président Obama de tirer partie de son discours du Caire enthousiasmant pour les masses arabes et musulmanes. Son tout récent discours à l’université de Djakarta où il prône à nouveau le dialogue et vante le modèle indonésien, « musulman, moderne et démocratique » aura-t-il plus de retombées concrètes ? Depuis Bush la rhétorique a changé, mais les actes ? Une visite dans le plus grand pays musulman du monde ou à la mosquée la plus grande en Asie du sud ne saurait suffire.

Les violences des jeunes des banlieues, qu’ils soient musulmans ou non, sont identiques nous apprend l’Agence européenne des droits fondamentaux et touchent les jeunes dans les mêmes proportions. Ce sont les discriminations et les frustrations subies qui rendent les uns et les autres également violents. Enfin il ne faut pas oublier de signaler aussi  l’apparition de cette fierté musulmane comme était apparue il y a plusieurs années la « gay pride » chez ceux  qui étaient régulièrement victimes d’actes d’homophobie.

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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