Lutte contre la traite des êtres humains : le Parlement européen va-t-il suivre l’appel de Paris des « parlements unis » ? ( cf. autre information). Réponse la semaine prochaine où le Parlement va se prononcer en plénière sur l’ensemble de la question.

Des règles plus sévères incontestablement, mais le plus important est sans doute une vision plus large de la traite et donc une définition et un champ d’application plus étendus. C’est aussi la désignation d’un coordinateur de la lutte.   Une prévention plus rigoureuse, des peines plus sévères pour les trafiquants et une meilleure protection pour les victimes sont les objectifs clés d’une nouvelle législation européenne sur la traite des êtres humains, fruit d’un accord entre les représentants du PE et du Conseil, approuvée le 29 novembre en commission des Libertés publiques de la Justice et des Affaires intérieures (LIBE) conjointement avec la commission des droits des femmes (FEMM). Les rapporteures en sont Anna Hedh (S&D, SE) et  Edit Bauer (PPE, SK) . La nouvelle loi s’appliquera à la traite dans l’industrie du sexe ou à l’exploitation au travail, par exemple dans la construction, les travaux publics, les grands chantiers, l’agriculture ou les services domestiques.  Rappelons que plusieurs centaines de milliers de personnes sont victimes de la traite dans l’UE chaque année. De nombreuses victimes sont exploitées en vue de la prostitution (43%, en grande majorité des femmes et des filles) ou de tâches subalternes (32%).

La nouvelle directive, approuvée en commission, établit des règles minimales pour la définition des infractions pénales et des sanctions pour les trafiquants. La législation introduit également des règles communes afin de renforcer la prévention du crime et la protection des victimes. L’environnement sera plus difficile pour les trafiquants d’êtres humains et les victimes seront mieux protégées, même si le Parlement a dû renoncer à des positions qui lui tenaient à cœur, la future directive sera bien meilleure que l’ancienne décision-cadre 2002/629.

Le nouvelles règles vont couvrir d’autres formes d’exploitation. Le texte adopte une vision plus large de la traite des êtres humains par rapport à la décision-cadre de l’UE de 2002 (qu’il est appelé à remplacer) et comprend d’autres formes d’exploitation, conformément à la demande des députés. « L’exploitation » comprend désormais, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, y compris la mendicité, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude, l’exploitation d’activités criminelles, ou le prélèvement d’organes. La définition couvre également le trafic des êtres humains à des fins d’adoption illégale ou de mariages forcés. « L’exploitation des activités criminelles » signifie l’exploitation d’une personne en vue de commettre, par exemple, le vol à la tire ou à l’étalage, le trafic de drogue et d’autres crimes qui font l’objet de sanctions et impliquent un gain financier.

Les sanctions sont durcies pour les trafiquants et les produits de leurs trafics seront confisqués. La nouvelle directive définit à l’échelle de l’UE des peines maximales d’au moins cinq ans d’emprisonnement (ce qui signifie que les États membres ne pourront imposer des plafonds inférieurs) ou, dans certaines circonstances aggravantes, de dix ans d’emprisonnement. Ces circonstances aggravantes correspondent à des cas où des enfants ont été exploités, des organisations criminelles impliquées, la vie de la victime menacée ou de graves violences ont été utilisées. L’incitation, la complicité ou tout simplement la tentative de commettre une telle infraction sera également punissable. Lorsque des personnes morales (organisations) sont impliquées, les sanctions devraient inclure des amendes pénales ou non pénales et pourraient inclure d’autres sanctions telles que l’exclusion du bénéfice de prestations ou d’aides publiques, l’interdiction temporaire ou permanente d’exercer des activités commerciales et la mise sous contrôle judiciaire, la  supervision ou la fermeture temporaire ou définitive d’établissements.

Les États membres devraient également veiller à ce que les instruments et produits de ces crimes soient saisis et confisqués. Ils sont également « encouragés » à les utiliser pour soutenir l’aide et la protection des victimes, notamment une indemnisation.

Une plus grande protection pour les victimes. Les victimes doivent bénéficier d’un hébergement, d’une aide matérielle et des traitements médicaux nécessaires, y compris l’assistance psychologique, des conseils et des informations, estiment les députés. Le conseil juridique et la représentation juridique devraient être gratuits, du moins lorsque la victime n’a pas de ressources financières suffisantes. Les victimes de la traite doivent également avoir accès à des programmes de protection des témoins et à des régimes d’indemnisation.

L’assistance et le soutien devraient être accordés « avant, pendant et durant une durée appropriée après la procédure pénale », quelle que soit la volonté d’une victime d’agir en tant que témoin. Le texte inclut explicitement de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains ou de ne leur infliger des sanctions pour avoir pris part à des infractions.

Peut-on espérer décourager la demande ? Les progrès sont timides sur ce point et leur mise en œuvre malaisée. Rendez-vous dans cinq ans.  Les députés ont estimé que conférer le caractère d’infraction pénale au fait d’utiliser sciemment les services d’une personne victime de trafic pourrait avoir un effet préventif puissant en décourageant la demande. Toutefois, le texte convenu avec le Conseil ne fait qu' »encourager » de telles mesures. Les États membres « envisagent de prendre des mesures visant à conférer le caractère d’infraction pénale à l’utilisation des services d’une victime, « en sachant qu’elle fait l’objet d’un trafic ». Cette criminalisation pourrait inclure juridiquement les employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour régulier ou de ressortissants de l’UE, ainsi que les utilisateurs de services sexuels de toute victime de la traite, indépendamment de leur nationalité.

Dans les cinq ans, la Commission européenne doit soumettre un rapport évaluant l’impact des législations nationales existantes qui confèrent le caractère d’infraction pénale au fait d’utiliser les services de la traite des êtres humains ou qui visent à prévenir la traite des êtres humains. Ce rapport doit être accompagné, le cas échéant, de propositions appropriées.

Grande innovation : la nomination d’un Coordinateur de la lutte contre la traite des êtres humains. Le texte prévoit également la nomination d’un coordonnateur de la lutte contre la traite des êtres humains qui contribuerait également aux rapports de la Commission sur les progrès accomplis en matière de lutte contre la traite des êtres humains.

Le Parlement votera à la prochaine session qui commencera le 13 décembre. Le texte a été adopté en commissions à l’unanimité : 51 vois pour, aucune voix contre, aucune abstention. . Les États membres auront deux ans pour transposer les nouvelles règles dans le droit national. La directive ne s’appliquera pas au Danemark et au Royaume-Uni, mais ce dernier  pourrait encore utiliser un « opt-in » pour participer à la nouvelle réglementation à un stade ultérieur.

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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