Sans le vouloir la Hongrie donne une occasion en or pour parler des valeurs, des objectifs et des droits fondamentaux dans l’Union européenne

Ces thèmes sont le plus souvent considérés comme un rituel sans conséquence, « la messe de 11 heures le dimanche, mais sans la foi », a pu dire un grand européen parlant des réunions du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernements. Cela va de soi, on n’en parle pas et en conséquence on les perd de vue, et les grands principes sortent du champ de la conscience comme est sorti de la conscience, l’objectif initial d’une union sans cesse plus étroite. La menace d’appliquer l’article 7 contre la Hongrie fournit l’occasion de regarder de plus près ce qu’il y a derrière tout cela. L’article 7 est devenu un slogan et l’on s’attarde sur la mécanique de la procédure, ce qui est d’un intérêt relatif, si non de décourager de mettre en oeuvre la procédure (une fusée à trois étages) tant elle a peu de chance d’aboutir. Examinons plutôt pourquoi existe un article 7, quelles en sont les raisons profondes. Par rapport aux raisons profondes de l’existence d’un article 7, il reste relativement secondaire que certains groupes au Parlement européen réclament l’application de l’article 7, ou que la Commission ne l’ait pas exclue, sans pour autant s’engager dans cette voie, hic et nunc. L’ouverture de la procédure de l’article 7 apporte-t-elle une valeur ajoutée significative par rapport à l’ouverture  d’une procédure d’infraction par la Commission comme elle le fait, au cas par cas ? Interrogeons-nous !

Quelles sont les valeurs de l’Union européenne ?

La problématique des valeurs et des objectifs de l’Union fut l’une des entreprises les plus  essentielles du processus constitutionnel. Parmi les nombreuses critiques adressées au fonctionnement de l’Union, la déclaration de Laeken, qui a lancé le processus constituant, mettait au premier rang la perte de sens du projet européen. La rédaction du projet de traité constitutionnel a eu pour but, et aussi pour résultat, d’apporter une réponse claire et convaincante au problème des valeurs et des objectifs.

A l’origine, les objectifs figurant dans les traités étaient essentiellement économiques, ce n’est qu’à partir  des années 90 et surtout du traité Maastricht que des objectifs à finalité politique furent introduits, mais c’est la Convention qui consacra de longues séances de travail au thème des valeurs et des objectifs. Les solutions dégagées par la Convention ne furent pas fondamentalement remises en cause, même si la période qui sépare la conclusion de la Convention de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ne faut pas un long fleuve tranquille. Les valeurs et les objectifs sont désormais précisés.

C’est l’article 2 qui aborde les valeurs de l’Union : le traité de Lisbonne insiste beaucoup plus, considérablement plus, sur la notion de «valeurs partagées » que ce n’était le cas dans les traités précédents. L’Union n’est plus une organisation internationale ordinaire à finalité économique mais est d’abord une communauté de valeurs. Ces valeurs, partagées, sont les éléments fondateurs, le patrimoine et le socle communs aux peuples et aux citoyens. Ce sont ces valeurs qui justifient, légitiment, permettent de rassembler Etats et citoyens  en un tout, une Union politique porteuse d’un destin commun. Ces valeurs façonnées par une longue histoire sont constitutives de l’identité européenne. Dés lors les malmener, les violer est un acte gravissime qui ne peut laisser indifférent ou inerte.

L’affirmation des valeurs et leur énumération revêtent un contenu très concret : ce ne sont pas de simples dispositions déclaratoires. Elles ont un contenu directement opérationnel. En premier lieu les Etats qui veulent adhérer à l’Union doivent les partager, les respecter et aussi les promouvoir (art 49). C’est une condition impérative de  leur entrée dans l’Union. C’est d’abord à cette aune que  le candidat à l’adhésion est jugé pour accéder à l’Union et donc ce n’était pas pure rhétorique que de se poser la question, comme le firent de nombreux députés européens, si avec les pratiques d’aujourd’hui, la Hongrie de hier aurait pu poser sa candidature et accéder à l’Union européenne. Mais le traité de Lisbonne va plus loin : le non-respect d’une condition de l’adhésion peut conduire à des conséquences importantes, ceux de l’article 7. C’est pourquoi ces valeurs sont fondamentales et incontestables, elles ont  un contenu juridique de base clair, non controversé. Les Etats doivent pouvoir discerner et connaître à l’avance et à tout moment leurs obligations juridiques. Le traité de Lisbonne a étendu de façon significative la liste des valeurs déjà reconnues : droit des personnes appartenant à des minorités, le pluralisme, la non discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité, l’égalité entre les hommes et les femmes, le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’Etat de droit, le respect des droits de l’Homme. Les valeurs de l’Union ne sont cependant pas qualifiées « d’universelles », mais dans l’article suivant (art 3) il est mentionné que dans ses relations avec le reste du monde « l’Union affirme et promeut ses valeurs ». Respecter les  valeurs de l’Union européenne est une obligation, mais les promouvoir également.

Où sont les objectifs de l’union européenne ?

Après les valeurs viennent  les objectifs, et l’Union européenne s’est imposée cet effort difficile de clarification et de détail  et cela par rapport aux dispositions des traités précédents.  Ces objectifs sont à caractère sociaux : introduction d’une « économie sociale de marché hautement compétitive », un développement durable, le plein emploi, la promotion de la justice sociale, l’égalité entre les hommes et les femmes qui apparait donc deux fois, comme valeurs et comme objectifs, la protection des droits de l’enfant, le combat contre l’exclusion sociale, la  solidarité entre générations.  A ces objectifs viennent s’ajouter, la stabilité des prix, l’établissement du marché intérieur mais aussi l’espace de liberté sécurité et de justice sans frontières intérieures où est assurée la libre circulation des personnes en liaison avec  le contrôle des frontières extérieures, la prévention et la lutte contre la criminalité, des mesures en matière d’asile et d’immigration. Le respect de la diversité culturelle fait partie de ces objectifs tout en comportant l’objectif du développement du patrimoine culturel européen donc bien au-delà de la simple sauvegarde de ce patrimoine, les actions dans ce domaine ne doivent pas être seulement défensives. En ce qui concerne les relations de l’Union avec le reste du monde (détaillés par la suite dans les articles relatifs à la Politique étrangère et de sécurité commune), certains de ces objectifs sont nouveaux comme un » commerce libre et équitable », un point important est la référence, une nouvelle fois, aux valeurs de l’Union qu’elle affirme et promeut tout en faisant respecter ses intérêts . C’est dire qu’elle en a et qu’ils lui sont propres . Elle  doit aussi assurer la protection de ses citoyens. L’Union contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples au strict respect et au développement du droit international, notamment  au respect  de la charte des Nations Unies.

Le respect de ce socle de valeurs, de principes et d’objectifs est une condition d’appartenance à l’UE et l’article 7 ainsi que l’article 354 donnent aux institutions les moyens de garantir  ces valeurs par tous les Etats membres. L’article 7 met en place un mécanisme de prévention en cas de risque de violation (une sorte de carton jaune d’alerte) et un mécanisme de sanction en cas de violation de ces valeurs. Mais c’est une fausse symétrie qui existe entre d’une part prévention et d’autre part la sanction et à cet égard il est significatif que la Commission dans sa communication de 2003 « sur l’article 7 du Traité sur l’Union européenne : respect et promotion des valeurs sur lesquelles l’union est fondée », le volet « sanction » est quasi inexistant,  seul  le volet prévention et surtout, le volet « promotion » sont réellement développé. Elle avertit qu’«  elle ne traite pas des questions relatives aux sanctions qui devraient, le cas échéant, être prononcées par le Conseil à l’encontre de l’Etat membre défaillant (…) La Commission considère qu’il n’y a pas lieu de spéculer sur ces questions. Elle préfère considérer l’article 7 dans un esprit de prévention qu’il envisage et de promotions des valeurs communes ». Notons qu’à la différence de la Charte des Nations Unies (article 6) l’exclusion n’est pas prévue. L’Union ne veut pas la mort du pécheur mais sa rédemption. L’approche  est une approche politique globale et ne vise pas à résoudre des cas individuels. Les cas individuels doivent être résolus par la mise en œuvre des procédures juridictionnelles internes, européennes, internationales  (juridictions nationales, Cour de Justice, Cour européenne des droits de l’homme).

Le champ d’application a un caractère général et horizontal, il peut concerner un domaine relevant de l’action autonome d’un Etat membre.  Et donc bien au-delà du seul domaine d’application du droit de l’Union et cela à la différence de la Charte européenne des droits fondamentaux, car, dit la Commission la gravité des violations « risquent de miner les fondements  même de l’Union et de la confiance entre ses membres, quel que soit le domaine dans lequel s ces violations surviennent ».

Conditions d’application

La mise en œuvre de l’article 7 suppose certaines conditions : 

    -. Un « risque clair de violation grave » des valeurs de l’article 2, pour le mécanisme de prévention. A ce niveau il s’agit d’une simple potentialité qui exclut cependant des risques encore très éventuels. Cette hypothèse donne aux institutions les moyens d’alerter l’Etat membre en cause avant que le risque ne se réalise de façon évidente. La conséquence en est que la surveillance doit être constante, bien avant le déclenchement de la première étape.

      -.Une violation grave et persistante » des valeurs de l’article 2 pour le mécanisme de sanction. Il s’agit dans ce cas d’une réalisation matérielle du risque. Cette violation doit durer dans le temps : « être persistante ». Elle permet de constater l’existence d’une violation grave et persistante.

      -. La troisième étape  passe aux sanctions en autorisant la suspension de certains droits de l’Etat membre (droit de vote inclus) mais en laissant ses obligations intactes.

Dans tous les  cas la violation doit être grave en fonction de l’objet de la violation (une population ou une minorité visée, les Roms par exemple) et de son effet. La violation d’une seule valeur suffit pour déclencher la procédure.

Ce sont des procédures qui sont beaucoup plus difficiles à mettre en oeuvre qu’on ne l’imagine et qu’on ne le pensait à l’origine. Car pour la déclencher comme pour l’exécuter, cette procédure requiert, bien souvent, une super-majorité, voire une quasi-unanimité. On peut donc affirmer que cette procédure ne s’appliquera  qu’en cas de violation « très » grave des droits fondamentaux et non pas simplement de « violation grave » comme mentionné dans les textes.

      -.Première étape : le risque clair de violation grave

L’initiative appartient à 3 acteurs :

-.un tiers des États membres (donc 9 aujourd’hui) ;

-.le Parlement européen (après rapport spécifique de la commission compétente (LIBE), le PE vote à une double majorité : 2/3 des suffrages exprimés + majorité des membres du Parlement)

-.la Commission européenne (selon son règlement : majorité du nombre des membres prévu par le Traité) . Ceux-ci doivent produire une proposition motivée (cela suppose un argumentaire, solide, étayée juridiquement).

Ensuite, il faut une décision du Conseil des ministres de l’Union européenne, à la majorité de 4/5e de ses membres (soit 22 membres), décision qui doit être approuvée par le Parlement européen (majorité des 2/3). L’Etat concerné ne peut pas prendre part au vote. Mais il doit être entendu avant toute décision. Cette décision doit être suivie. « Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables. »

      -.Deuxième étape : l’existence d’une violation grave et persistante

I l n’y a plus que 2 acteurs à avoir l’initiative. Il faut une proposition soit d’un tiers des États membres, soit de la Commission européenne. Le Parlement européen n’a plus l’initiative. La décision est faite par le Conseil européen (et non plus le Conseil), à l’unanimité (et non plus à 4/5e). Les abstentions ne sont pas décomptées. Le Conseil peut non seulement constater l’existence d’une violation grave et persistante mais aussi adresser à l’Etat « des recommandations ».

      -.Troisième étape : la suspension des droits de l’Etat membre

La suspension des droits ne peut intervenir que si le constat d’une violation a déjà été fait par le Conseil européen. Il n’y alors plus qu’un acteur à avoir l’initiative : le Conseil des ministres. La décision est prise à la majorité super-qualifiée (réunissant 72 % des membres + 65 % de la population des Etats participants).

On évoque souvent la suspension des droits de vote de l’Etat. Il faut remarquer ce n’est qu’une mesure parmi d’autres. En fait, le Conseil peut suspendre « certains droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question », notamment  les droits de vote.

Il doit être tenu compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales. En revanche, normalement, les « obligations qui incombent à l’État membre en question au titre des traités restent en tout état de cause contraignantes pour cet État. » Ces mesures peuvent être modifiées ou clôturés par la suite, selon les mêmes règles de majorité « pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures ».On peut donc affirmer que cette procédure ne s’applique qu’en cas de violation « très » grave des droits fondamentaux et non pas simplement de « violation grave » comme mentionné dans les textes.

Les moyens décrits visent comme solution ultime à sanctionner et à résoudre une situation de violation grave et persistante des valeurs et principes communs. Mais, ils visent d’abord et avant tout à prévenir une telle situation en donnant à l’Union une capacité à réagir. A cet égard le traité de Lisbonne donne plus de moyens opérationnels que n’en prévoyait à l’origine le traité d’Amsterdam, l’entrée imminente de nouveaux adhérents n’est pas étrangère à cette évolution, la communication de la Commission européenne, déjà citée, y fait clairement allusion.

Mise en œuvre et prévention

L’article 7 donne au conseil et au Conseil européen une liberté d’appréciation totale, mais ils sont soumis au contrôle démocratique du Parlement européen qui doit approuver leurs décisions (avis conforme . Le contrôle de la Cour de justice ne porte en revanche que sur la procédure .On n’a pas voulu donner à la Cour de justice le soin de procéder à un contrôle juridictionnel, renforçant ainsi l’aspect « politique » de cet article.

La lecture de l’article 7 nous conduit à penser que la seule action possible en cas de déclenchement de la procédure de l’article 7 est celle de prévention, sur le long terme et par son aspect éducatif, elle est utile mais apporte peu de valeur ajoutée par rapport à ce qu’entreprend actuellement la Commission qui a ouvert des procédures d’infraction et n’hésitera pas, a-t-elle dit devant le Parlement européen, à en ouvrir de nouvelles si nécessaire.

Au terme de cet examen, le mot « prévention » reste le maître mot et le principe directeur essentiel. Quels sont les outils et les procédures dont nous disposons actuellement ? Le rapport annuel du Parlement européen sur la situation des droits fondamentaux dans l’UE permet déjà l’élaboration d’un diagnostic précis pour les pays de l’Union. Diverses autres sources sont disponibles (organisations non gouvernementales, jurisprudences régionales et internationales, organisations internationales, etc.). Les plaintes individuelles et pétitions adressées à la Commission et au Parlement sont aussi des sources d’information sur les préoccupations des citoyens en matière de droits fondamentaux.

La Commission disposait de longue date d’un  réseau d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux. Le réseau a depuis été intégré à l’Agence européenne des droits fondamentaux créée en 2007 et qui présente tous les ans un rapport sur la situation des droits fondamentaux dans l’UE. Par ailleurs, la Commission établit désormais, chaque année, un rapport annuel sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le premier rapport a été établi pour l’année 2010. Ce suivi devrait permettre de détecter les situations pouvant conduire à des violations des droits fondamentaux au sens de l’article 7 TUE. Dans l’hypothèse où la Commission devrait proposer l’application de l’article 7 TUE contre un État membre, elle ne manquerait pas d’établir  en vue d’un échange supplémentaire d’informations,  des contacts avec le Conseil de l’Europe et en particulier avec le Commissaire aux droits de l’homme. Dans le même sens, un dialogue continu et régulier avec la société civile et notamment avec les ONG chargées de protéger et promouvoir les droits fondamentaux est nécessaire. C’est souvent grâce à des actions non-communautaires que l’attention du public est attirée sur d’éventuelles violations. Enfin, la Commission a estimé qu’il serait nécessaire de développer une politique de sensibilisation et d’éducation du public en matière de droits fondamentaux. C’est fondamental !

Beaucoup de choses existent, les procédures sont là ! Elevons le niveau d’exigence en matière de qualité des rapports trop souvent anodins, notamment celui de l’Agence des droits fondamentaux, élevons le niveau d’attention dans l’examen de ces rapports et de leurs conclusions, dans le suivi également. C’est par manque de vigilance, de constance et par excès de superficialité  qu’ont pu se développer des situations comme celles auxquelles nous assistons en Hongrie, Roumanie et Bulgarie mais aussi, et à des degrés divers, dans beaucoup d’autres pays de l’Union européenne , partout où les forces populistes partagent le pouvoir ou sont arrivées aux portes de l’exercice gouvernemental, ou simplement exercent leur pression de façon quotidienne, dans la rue, les médias.

      -. Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 15 octobre 2003 sur l’article è du traité sur l’Union européenne : respect et promotion des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée (FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2003:0606:FIN:FR:PDF

 (EN) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2003:0606:FIN:EN:PDF

      -. Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comite économique et social européen, au Comité des régions du 30 mars 2011- Rapport 2010 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.  (FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0160:FIN:FR:PDF

 (EN) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0160:FIN:EN:PDF

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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