La valorisation du « circuit court » à l’agenda agricole européen

Le 20 avril à Bruxelles s’est tenue une conférence intitulée « Agriculture locale et circuits de distribution courts » à l’initiative des deux Direction Générales (DG) que sontla DG Agricultureet Développement Rural etla DGdela Santéet des Consommateurs représentés respectivement par les commissaires Ciolos (Agriculture) et Dalli (Santé et Consommateurs). S’il ne s’agit pas d’une découverte par les institutions de l’Union Européenne (UE), en témoigne les informations qu’il est possible de recueillir à propos des « circuits courts et longs » sur le site de l’Observatoire des territoires ruraux de Leader II, qui n’est plus mis à jour mais toujours consultable (1), il est néanmoins remarquable de voir cette question intégrer l’agenda européen. 

 

« Circuit court, court circuit » à l’intégration dans les politiques publiques

            A la conférence de presse suivant la Conférence, les deux Commissaires étaient accompagnés par le Président de Slow Food, Carlo Petrini. Ce n’est pas un hasard si la « société civile » était mise sur le devant de la scène quand on parle de « circuit-court ». Les formes alternatives de relation entre producteurs et consommateurs ont largement été à l’initiative de démarches de consommateurs et de citoyens engagés dans la protection de l’environnement et dans la critique de la mondialisation. Les consommateurs font une critique de la distance entre eux et les producteurs pour mettre en avant les rapports sociaux et humains plus qu’économiques. Ils recherchent par là également une meilleure authenticité, perdue notamment par un processus d’urbanisation massif. Les agriculteurs, de leur côté, voient ces nouvelles relations comme un moyen de retrouver une relation directe qui serait aujourd’hui confisquée par l’aval de la filière et espèrent par ces moyens redonner du sens à leur profession (2). Ce sont des initiatives relayées par des ONG, des « mouvements » comme celui de la « décroissance » ou celui, justement de Slow Food, présente à la conférence et travaillant directement sur la réforme dela Politique Agricole Commune (PAC). Slow Food, dans son manifeste « Vers une nouvelle politique agricole commune » (3) fait la synthèse de ces critiques soulignées plus haut : « Slow Food encourage une meilleure connexion entre producteurs et consommateurs, afin de donner aux premiers des conditions de travail dignes et aux seconds une meilleure connaissance de la nourriture, pour leur permettre de faire des choix éclairés ». Ces mouvements et leur critique du mode de vie occidental trouvent un certain écho auprès des citoyens, ce qui force les opérateurs économiques traditionnels à y voir des futures parts de marché potentielles et les pouvoirs publics à les prendre en considération. Sur ce dernier point par exemple, en avril 2009, Michel Barnier alors Ministre Français de l’Agriculture annonçait, suite au Grenelle de l’Environnement, un plan d’action visant à favoriser le développement des circuits courts des produits agricoles (5). C’est aujourd’hui au tour dela Commission Européenne (CE) de proposer un « signal clair sur la volonté dela CE, en tant que pouvoir public, de soutenir les filières locales ».

 

Une politique d’accompagnement de la réforme de la PAC

            Le Commissaire Ciolos entend par cette initiative d’abord « faire tomber les préjugés » en affirmant que ces circuits-courts doivent être considérés comme une « vision moderne » de l’agriculture faisant œuvre de compétitivité, aussi bien économique que sociale et environnementale. Ce type de commercialisation « concerne toutes les bourses et tous les Etats membres » et « n’est pas réservée à une élite ». Cette conférence avait pour mérite premier de mettre en lumière un type particulier de relation entre producteurs et consommateurs qui s’est développé et qui, dans cette période de crise, sert de refuge à une partie de l’économie dans des pays comme la Slovaquie, la Roumanieou la Grècedont le Commissaire estime qu’elle détient le record en matière de circuits courts. La valorisation viendra sans doute ensuite, avec les instruments déjà existants ou avec d’autres (6). Pour l’heure il s’agit seulement d’annoncer une nouvelle préoccupation dela Commission sans heurter les sensibilités – « il ne s’agit pas de jouer les grands contre les petits » a dit le Commissaire. Pour autant que cette valorisation ne soit pas suivie d’effets immédiats, elle parle néanmoins au monde agricole qui s’apprête à connaître de nouvelles transformations dela PAC. Ainsi le Commissaire Ciolos considère que « développer ce potentiel ne sera pas facile » et que ce sera un « défi pour les agriculteurs ». En effet, le circuit court demande aux agriculteurs de se réinvestir dans des domaines que ces derniers ont abandonnés à d’autres pans de la chaîne, comme celui de la commercialisation. Ce changement dans l’approvisionnement pose, selon le Commissaire, de nombreuses questions :

–        Comment crédibiliser et assurer une meilleure visibilité aux filières locales ?

–        Comment assurer une hygiène et une sécurité sanitaire irréprochables ?

–        Comment favoriser les liens entre la ville et les producteurs aux alentours ?

–        Comment encourager les agriculteurs à s’y investir ?

L’idée de circuit-court est ainsi un moyen de préparer les agriculteurs aux changements quantitatifs induits par la réforme 2014-2020. Al’instar de la nouvelle politique de promotion qui vient pallier à la baisse ou du moins à la reconfiguration des aides agricoles, cette conférence prépare le terrain à la nouvelle agriculture européenne. Cette agriculture se tournera davantage vers le qualitatif que le quantitatif et même si le problème de nourrir une population mondiale de plus en plus nombreuse reste intact,la Commission Européennesemble adopter l’idée selon laquelle ce n’est pas à elle de nourrir le monde, mais plutôt « aider le monde à se nourrir » (7).

 

Notes :

(1)  « Commercialiser les produits locaux : circuits courts et circuits longs » : http://ec.europa.eu/agriculture/rur/leader2/rural-fr/biblio/circuits/contents.htm

(2)  Dubuisson-Quellier Sophie et Giraud Christophe, « Chapitre 4 / Les agriculteurs entre clôtures et passerelles », in Bertrand Hervieu et al., Les mondes agricoles en politique, Presses de Sciences Po « Académique », 2010 p. 111-130.

(3)  http://www.slowfood.com/filemanager/official_docs/position_pac_fra.pdf

(4)  http://agriculture.gouv.fr/developper-les-circuits-courts

(5)  « Agricultures locales et circuits courts : pour une dimension locale renforcée dela Politique AgricoleCommune »

(6)  « Dans la 2ème moitié de l’année, on sera en mesure d’apporter une réponse et on verra si on a besoin de venir avec une législation complémentaire ou seulement mettre en convergence ce qui existe déjà dans les Etats, mieux mettre en valeur… Qu’est ce qui est le plus efficace ? » (Commissaire Ciolos, durant la conférence de presse aprèsla Conférence, 20 avril 2012).

(7)  Selon les mots de Tomás García Azcárate, Conseiller responsable pour la coordination et l’analyse économique à court terme des marchés agricoles àla DG Agricultureet Développement Rural dela Commission Européenne, lors d’un docu-débat organisé à l’Université Libre de Bruxelles sur « Penserla PACdans le contexte mondialisé. Regards sur une agriculture globalisée » le 26 avril 2012

 

Mathieu Arnaudet (Institut d’Etudes Européennes Université Libre de Bruxelles ; master complémentaire)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire