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Reportage : La jeunesse britannique et le Brexit

Ils s’appellent John, Andrew, Matthew, Dan, Thomas et Lizzie. Ils ont entre 18 et 25 ans et vont devoir, jeudi 23 juin 2016, faire le choix de rester dans ou de quitter le cadre familier de l’Union européenne (UE). À écouter une partie des commentateurs, les jeunes seraient majoritairement en faveur du «stay (1)» (2) et pourraient faire pencher la balance s’ils se mobilisent le jour du scrutin. Le point de vue mérite cependant d’être approfondi et sorti des données abstraites. Bien sûr, cette analyse ne prétend pas être exclusive ni représentative du point de vue de l’entièreté de la jeunesse britannique. Il ne s’agit pas là d’étudiants en sciences politiques, en économie ou en relations internationales, ni de jeunes impliqués politiquement – il s’agit de la jeunesse en général, écoutée sans que l’accent soit mis sur son éducation ou son engagement, celle qui a tout autant le droit à la parole et tout autant à dire, sinon plus. Le parti pris est donc de décentrer le point de vue pour essayer de comprendre les sentiments de cette jeunesse britannique européenne qui pourrait bien avoir l’issue du vote entre ses mains.

Ça commence au King’s Head, un pub typique du Surrey où l’on se retrouve entre amis, autour d’un verre, après une journée de travail. Il ne faut pas quinze minutes pour que la conversation se dirige presque naturellement vers le référendum du 23 juin : « Hey, in or out ? ». C’est vrai, il y en a bien certains qui veulent rester dans l’UE autour de la table, mais aucun ne fait preuve de passion ou d’enthousiasme débordant quand il s’agit de le dire : réactions en demi-teintes, absence de réels arguments… Personne n’évoque l’éventail des possibilités culturelles et professionnelles que leur offre l’UE. Personne n’évoque un sentiment d’appartenance à des valeurs communes ou à un projet européen commun. En bref, c’est l’habitude résignée d’être dans l’UE qui parle, l’idée que c’est là un moindre mal et surtout le confort de savoir ce que l’on a, comparé à la peur de s’engager dans l’inconnu.

Si ceux qui se prononcent en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’Union manquent quelque peu de vigueur et de conviction, les partisans du «out» sont beaucoup plus vindicatifs.

Comparé à la France, le taux de chômage au Royaume-Uni, et notamment ici celui des jeunes, en ferait pâlir plus d’un (3). Qui pourrait dire alors que le marché du travail apparaît très tendu pour certains d’entre eux, qui ont pourtant un emploi ? Pour les jeunes entrepreneurs, dans ce cas des artisans, l’UE n’est que synonyme d’embûches. Plombiers et électriciens, entre autres, pointent du doigt les travailleurs mobiles européens qui, selon eux, mettent en péril leurs emplois en offrant des tarifs plus attractifs, malgré des prestations de moindre qualité, favorisant une concurrence inégale et injuste légalement soutenue par l’Union européenne. Cependant, hors de toute considération sur la véracité de ce ressenti, rien ne dit qu’un Brexit signifierait la fin des travailleurs européens au Royaume-Uni, ou tout au moins la régulation de leur présence par permis de travail. Il n’est en effet pas exclu que les accords économiques entre Londres et Bruxelles soient maintenus (4), ce qui laisserait la situation de ces jeunes artisans inchangée, en tout cas pas pour le meilleur, comme ils pourraient l’espérer avec un Brexit. Le fond du problème se trouve au-delà de la simple question de ce qui se fera effectivement ou non si sortie de l’UE il y a.

Il y a quelque chose de presque «viscéral» (5) dans cette discussion, dans ce manque d’intérêt, voire ce dédain, pour l’Union européenne. Le mot qui revient dans la bouche de tous autour de la table, qu’ils soient «in» ou «out», c’est celui de «souveraineté nationale», concept brandi par ces jeunes comme une valeur cardinale de la citoyenneté britannique qu’ils considèrent aujourd’hui bafouée. C’est là le point-clé derrière chaque argument avancé au King’s Head et qui chagrine jusqu’aux moins pessimistes du groupe.

L’UE, c’est cette entité qui ampute la démocratie britannique et la capacité des citoyens d’agir sur ceux qui décident pour eux en les sanctionnant aux prochaines élections. L’UE, c’est cette entité qui restreint le rayonnement britannique en termes de commerce international en ne lui laissant aucune autonomie dans la conclusion de partenariats ou traités commerciaux, quand le Royaume-Uni pourrait jouir pleinement du Commonwealth. L’UE, c’est cette hydre de plus en plus complexe chaque année, qui échappe au contrôle du citoyen «normal» qui subit de plein fouet les conséquences de décisions en décalage par rapport à la réalité. Ces mots dans la bouche de jeunes citoyens européens «normaux» sont exactement les mots utilisés par les partisans du «Leave», que l’on retrouve en couverture et quatrième de couverture du journal Metro (6), disponible dans toutes les gares et stations de métro deux jours avant le référendum. La jeunesse a perdu son optimisme face à l’UE, et même l’idée d’Erasmus ne fait pas pencher la balance. Pour John et les autres, au final, rien ne changera vraiment quelle que soit l’issue du vote. En tout cas rien de négatif ne leur vient en tête. Faut-il alors lire, même chez les «remainers», un lien inconscient entre effet négatif et Union européenne ?

C’est une crise de la parole européenne qui touche même ceux qui n’ont connu qu’elle. La faille se trouve dans l’incapacité à apporter des réponses satisfaisantes aux inquiétudes exprimées, et à penser que ce référendum n’est qu’une question d’avis tranchés. Bien sûr, on rétorquera, pour affirmer l’existence d’une véritable souveraineté nationale dans le processus décisionnel, que l’UE n’impose rien qui ne soit approuvé par les chefs d’État, de gouvernement, ou les ministres des domaines concernés. Mais la logique ne suffit plus, et camper sur une vision manichéenne de l’Union ne fait qu’échauffer les esprits et donner plus de crédit aux partisans du « out ». Ce groupe de jeunes n’est en fait que l’écho d’un groupe plus important, qui dépasse l’échelle nationale. C’est le groupe de ceux qui perdent leurs illusions politiques et ne trouvent personne pour leur apporter des raisons de croire à nouveau au projet européen.

Échanger avec des jeunes qui ne font qu’opposer un raisonnement et des points pratiques dans le fonctionnement des institutions européennes souligne le besoin de recréer du lien dans l’UE. S’il est impossible de prédire ce qui ressortira des urnes, il est néanmoins certains que l’Union européenne, députés européens en première ligne, doit se rapprocher des citoyens et renforcer leur souveraineté, nationale et même supranationale. Le 23 juin va inévitablement changer quelque chose dans l’atmosphère bruxelloise. C’est peut-être là l’occasion rêvée de repenser le projet européen, en replaçant les citoyens en son centre et en faisant confiance à sa jeunesse.

Par Amelie Ancelle

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(1) Rester (dans l’UE)

(2) Pour voir une simulation de l’impact de l’âge des votants en fonction d’autres critères, voir le site YouGov [en ligne : https://yougov.co.uk/turnout-o-meter/?turnout=64&overallremaing=0&agefactor=1.4&classfactor=0.8, consulté le 20/06/2016]

(3) Voir le site du gouvernement britannique [en ligne, http://www.ons.gov.uk/employmentandlabourmarket/peopleinwork/employmentandemployeetypes/bulletins/ukl abourmarket/june2016#young-people-in-the-labour-market, consulté le 20/06/2016] ainsi que « Le chômage des jeunes baisse en Europe… Mais flambe en France, Capital, 8/01/2016 [en ligne : http://www.capital.fr/carriere-management/

(4) WHEELER Brian, HUNT Alex, “The UK’s EU Referendum: All You Need to Know”, BBC News, 14/06/2016 [en ligne: http://www.bbc.com/news/uk-politics-32810887, consulté le 19/06/2016]

(5) Ce terme est volontairement entre guillemets, après que Dan, lors de la discussion, l’a utilisé pour décrire son incapacité à expliquer concrètement pourquoi il voulait voter la sortie du Royaume-Uni de l’UE.

(6)Journal gratuit, plus conséquent que celui distribué en France et qui possède un large lectorat.

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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