Alors que l’UE patine en matière de discrimination, ENAR se proclame porte-voix des opposants à l’Afrophobie

 La commission LIBE du 27 juin 2013 a illustré la relance de la discussion sur la question de l’égalité de traitement que la Commission traîne derrière elle depuis cinq ans déjà (cf. autre article dans Nea say). En parallèle, the European Network against Racism (ENAR) au travers de son nouveau rapport intitulé « People of African descent and black europeans » dresse un constat inquiétant sur la vulnérabilité des individus d’origine africaine.

 Face à la montée de certains partis et actes à caractère extrémiste en Europe, les députés européens s’étaient déjà accordés sur la nécessité d’un « coup de jeune » sur la législation concernant le racisme et la xénophobie. En ce sens, le 14 mars 2013, une résolution du parlement européen (2013/2543) a été adoptée en vue d’un renforcement de la lutte contre le racisme et la xénophobie et des crimes inspirés par la haine. Cette résolution se base sur un constat simple : « les députés soulignent que bien que l’ensemble des Etats membres aient inscrit l’interdiction des discriminations dans leurs ordres juridiques afin de promouvoir l’égalité pour tous, les discriminations et les crimes haineux sont en progression dans l’Union européenne ». A partir de ce constat, une forme d’immobilisme est dénoncée : on insiste notamment sur les demandes à répétition concernant la révision de la décision-cadre 2008/913 du Conseil portant sur « les manifestations et actes d’antisémitisme, d’intolérance religieuse, d’anti tsiganisme, d’homophobie et de transphobie ».

 Cependant, l’immobilisme s’est même mué en quasi-léthargie concernant la proposition de directive de la Commission européenne datant de 2008 portant sur « l’égalité de traitement contre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle ». C’est ainsi que que les députés invitent encore cinq années plus tard le Conseil à adopter « sans plus attendre » la directive sur l’égalité de traitement « qui représente un des principaux instruments de l’Union européenne pour promouvoir et garantir une véritable égalité dans l’Union et lutter contre les préjugés et les discriminations ».

 Pourtant, le dernier rapport d’ENAR, concentré sur la thématique de l’Afrophobie, entendue comme une peur irrationnelle des personnes d’origine africaine, tire la sonnette d’alarme et invite ainsi à la réaction quant à ce type particulier de discrimination. La peur irrationnelle dont il est question s’illustrerait sous forme d’une hostilité qui pourrait prendre des formes aussi diverses que la haine, l’antipathie personnelle, l’oppression, le racisme, la discrimination structurelle et institutionnelle, la xénophobie et nombres d’autres exemples cités dans le rapport. ENAR tente de montrer au travers d’une série de cas concrets comment l’afrophobie se perpétue au travers de nombre d’expositions, d’appellations maladroites, de publicités stéréotypées. Si nous devions ne citer qu’un exemple, il s’agirait de la polémique autour de la campagne « Growing together » de l’Union européenne de 2012 qui jongle avec les stéréotypes. Maladresse pour les uns, erreur difficilement pardonnable pour les autres, on s’entend néanmoins sur l’imprudence de l’Union européenne dans cette campagne de communication. Il s’agit bien de cela qu’ENAR dénonce : ces petites touches d’idées préconçues, de bévues qui imprègnent la vie quotidienne des européens allant jusqu’à influencer la manière de se définir par rapport à l’autre.

 Mais ENAR ne reste pas braqué sur ces constats : des recommandations sont clairement établies pour pallier à ce problème. Tout d’abord, l’afrophobie doit être reconnue comme un problème européen en tant que tel : si l’on se base sur le fait qu’entre 7 et 15 millions de personnes d’origine africaine vivent en Europe, il s’agit alors d’autant d’individus qui doivent être reconnus dans leur vulnérabilité. Ensuite, le manque clair de données est souligné : Comment agir pour régler un problème dont on ne connaît ni l’étendue ni les modalités ? D’autant plus que les statistiques de l’Agence des droits fondamentaux dressent un bilan assez inquiétant qui mérite sûrement d’être approfondit : ainsi, 41% des africains sub-sahariens ont estimé avoir été discriminés sur base de leur origine au cours des douze derniers mois. Enfin, un constat par domaine est réalisé. D’abord, les conditions économiques des individus d’origine africaine sont évoquées : si beaucoup doivent se contenter d’un travail souvent inférieur à leurs qualifications, 54% seraient au chômage à Malte, notamment. Dans la même lignée, si l’on examine les statistiques de l’Euro-baromètre de 2012, 39% des européens pensent que des candidats pour l’obtention d’un poste pourraient être jugés par rapport à leur couleur de peau. Ensuite vient la question du logement associée principalement au phénomène de ségrégation. En ce sens, le dernier rapport de la Commission européenne intitulé « La discrimination au niveau du logement » insiste également sur cet aspect en insistant sur la volonté européenne de « contrôler toutes les tendances susceptibles de provoquer la ségrégation raciale et à oeuvrer pour éliminer toutes les conséquences négatives qui en découlent ». Une allusion à la Charte sociale incitant à « veiller à éviter toute ghettoïsation ou ségrégation sociale des minorités ethniques ou des immigrés » y est également faite. L’accent est également mis sur la justice : une connexion est établie entre crime et pauvreté. A l’inverse, ils en sont également les victimes puisque selon une étude d’EU-Midis, 33% des africains sub-sahariens estiment avoir été victimes de crime, ce mot devant être appréhendé ici en son sens large. Paradoxalement, selon l’Euro-baromètre de 2012, 37% des européens seulement connaîtraient les droits dont ils disposeraient s’ils étaient les victimes de discrimination ou d’harcèlement. C’est ainsi que « The European Network of Equality bodies » en appelle au développement d’une « culture de droits ». Enfin, le volet éducatif est mis en avant : y sont mentionnés notamment les livres d’Histoire comme moyen de transmission de stéréotypes néfastes dès le plus jeune âge.

 Si ENAR n’a choisit de développer « que » ces dimensions, le dernier rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) y ajoute celle de l’accès aux soins de santé dont l’origine ethnique pourrait être un frein.

 Gardons également à l’esprit que toutes ces dimensions sont généralement liées, engendrant des discriminations sur de « multiples motifs ». La FRA note à ce sujet la difficulté associée quant au traitement de ce genre de discriminations autant d’un point de vue judiciaire que statistique.

 Finalement l’intervention de Michael Cashman (S&D, UK) à la commission LIBE ce 27 juin 2013, fait parfaitement le lien entre l’immobilisme de la proposition de directive sur l’égalité de traitement et la nécessité mise en évidence par ENAR d’agir dans ce domaine. En effet, il y a rappelé le caractère fondamental de la thématique de la non-discrimination qui exclut toute possibilité de marchandage, de différenciation entre les Etats membres. Il a insisté sur le fait « qu’avancer à la vitesse du maillon le plus faible », en termes de droits fondamentaux est néfaste et contraire aux valeurs que l’Union européenne se donne.

 

 Louise Ringuet

 

 En savoir plus :

       -. ENAR – General Policy Paper No8 – « People of African Descent and Black Europeans » (juin 2013) :

:http://cms.horus.be/files/99935/MediaArchive/policy/People%20of%20African %20Descent%20-%20Black%20Europeans%20GPP%208_Final.pdf

       -. Rapport annuel de 2012 du FRA :

http://fra.europa.eu/sites/default/files/annual-report-2012-chapter-6_en.pdf

        -. Article du Telegraph sur la campagne « Growing together » de l’Union européenne (2012) :

http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/eu/9126397/EU-campaign-video-is-racist-sexist-and-imperialistic.html

       -. Rapport annuel de « European network of equality bodies », 2012 :

http://www.equineteurope.org/IMG//pdf/equinet_annual-report-2012_en.pdf

       -. Résumé de la résolution sur l’intensification de la lutte contre le racisme, la xénophobie et les crimes inspirés par la haine :

http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/summary.do?id=1253924&t=d&l=fr

       -. Rapport de la Commission européenne sur la discrimination dans le logement, 25 février 2013 :

http://www.non-discrimination.net/content/media/La%20discrimination%20dans%20le%20logement%20FR%20%20FINAL.pdf

       -. Résolution sur l’intensification de la lutte contre le racisme, la xénophobie et les crimes inspires par la haine

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0090+0+DOC+XML+V0//FR

       -. Décision-cadre 2008/913 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénalhttp://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2008:328:0055:0058:fr:PDF

      -. Proposition de directive relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap ou d’orientation sexuelle http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2008:0426:FIN:fr:PDF

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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