L’éternelle question des droits de la défense et de la garde à vue!

Les droits de la défense font partis intégrante de l’esprit européen : article 6 CEDH et article 41 de la Charte.Les droits de la défense et la garde à vue à la française suscitent depuis longtemps des oppositions entre Bruxelles et le gouvernement français. Par exemple, en 2010, la France était jugé comme l’un des pays protégeant le moins les libertés individuelles en la matière (NEAsay le 12.01.2010), la CEDH a également eu l’occasion de condamner la France pour sa pratique de la garde à vue (NEAsay le 14.10.2010), mais encore l’opposition de la France en 2011 concernant le projet de directive sur la présence systématique de l’avocat en matière pénale. La Commissaire Viviane Redding a souvent eu l’occasion de s’opposer à la pratique française de la garde à vue. Il s’agit là d’une longue et tumultueuse histoire entre les deux.

Afin de transposer deux directives européennes, l’une sur le droit à l’information en matière pénale avant le 2 juin 2014 et l’autre sur l’assistance systématique d’un avocat avant novembre 2016, l’Assemblée Nationale française, puis le Sénat a adopté le lundi 5 mai 2014, un projet de loi et créé à cette occasion le statut de « suspect libre ». Cette transposition arrive à temps pour la première et en bien en avance pour la seconde, peut-être que la France commence à tirer leçon des 135 condamnations de 2005 concernant ses retards dans l’application du droit de l’Union européenne.

Qu’en est-il en pratique ? Les droits de la défense est une question épineuse, trop ou pas assez, elle fait s’affronter avocats et enquêteurs depuis des siècles ! De plus, la procédure pénale française est bien connue pour ne pas être en totale harmonie avec les exigences européennes : celle-ci nécessite une refonte. C’est là la volonté de la Chancellerie. En effet, Mme Taubira a annoncé que ce projet de loi était le point de départ d’une « nouvelle réflexion». Un groupe de travail sous la directive de Jacques Baume doit rendre ses conclusions en juin concernant une refonte des fondements de l’enquête préliminaire.

La question du renforcement des droits de la défense a toujours fait débat, ce n’est qu’avec la loi de 1993 que l’avocat peut intervenir à partir de la 20ème heure de garde à vue. Avec la loi du 15 juin 2000, il a désormais la possibilité de rencontrer son client 30 minutes avant la garde à vue mais ne peut connaitre les éléments à charge. Mais la France connait une explosion des gardes à vue : 800 000 par an et après les décisions du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et des condamnations par la CEDH concernant la garde à vue, une réforme s’impose : la garde à vue est modifiée le 14 avril 2011 : on autorise la présence de l’avocat dès la première heure de garde à vue, et celui-ci peut noter des observations dans un procès verbal à la fin de la garde à vue et le client a le droit de se taire. Finalement, le législateur met en place « l’audition libre » qui est une garde à vue simplifiée à l’extrême : 4heures d’audition maximum, pas d’avocat, aucune garantie, la personne est libre de partir à tout moment mais au risque d’être placé en garde à vue pendant 24h renouvelable une fois.

Cette nouvelle mesure de privation de liberté rencontre un franc succès : 780 000 auditions libres contre 380 000 gardes à vue, elle représente 70% des retenues policières et donc pour les 2/3 des personnes, leur avocat n’est pas présent lors de leur entrevue avec les enquêteurs. Pour les juristes, cette audition libre était une « zone juridique grise » qu’il fallait définir.

Finalement, le projet adopté lundi renforce les droits de la défense conformément aux exigences européennes. Désormais l’avocat sera présent pour toute mesure privative de liberté comme l’audition libre. La création du statut de « suspect libre » permet d’aligner les conditions de l’audition libre à celle de la garde à vue. Le suspect aura donc :

–          le droit à la présence de son avocat,

–          la remise d’un imprimé avec ses droits et ils lui seront également notifiés,

–          le droit de se taire

–          le droit d’être aviser de la qualification de sa retenue,

–          le droit à un interprète,

–          le droit de partir à tout moment,

–          le droit aux conseils juridiques des maisons de justice et du droit

Les syndicats de la police, les policiers sont hostiles à ce nouveau statut, dans un premier temps, ils considèrent que l’audition libre n’est pas aussi contraignante que la garde à vue et en cela, elle n’a pas besoin des mêmes garanties et dans un second temps, ils ont l’impression que leur avis n’est pas pris en compte dans ce projet.

Le second débat dans ce projet de loi concerne l’accès au dossier par l’avocat. Un amendement écologiste, du député Sergio Coronado, proposait que l’avocat puisse consulter l’ensemble du dossier dès le début de la garde à vue mais finalement, celui-ci a été repoussé à la demande du gouvernement, bien qu’il avait été approuvé en Commission des lois dans la nuit du 29 avril 2014. Sur ce point, c’est une guerre dite sourde entre avocats et enquêteurs qui a eu lieu. Les avocats sont favorables à cette extension des droits de la défense afin de pouvoir défendre leur client alors que les enquêteurs estiment que cet amendement aurait eu pour inévitable conséquence de faire pencher la balance en faveur des suspect plutôt que des victimes. Aujourd’hui l’avocat n’a accès qu’aux déclarations de son client.

Les directives n’ont été transposées qu’à minima, une refonte complète étant nécessaire avant de modifier petit à petit, alors que la majorité des Etats membres ont déjà transposé les directives. C’est par exemple le cas de la Belgique qui a transposé en 2011, l’Allemagne en 2012, la procédure est en cours en Espagne et en Italie mais ils possèdent déjà une législation conforme aux exigences européennes.

La présente loi entre en vigueur en France le 1er juin 2014 comme l’énonce le projet de loi débattu au Sénat.

(Audrey LENNE)

 

Pour en savoir plus :

–          Directive 2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales : (FR) / (EN)

–          Directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires : (FR) / (EN)

–          Sénat session ordinaire de 2013-2014 sur le projet de loi (procédure accélérée), portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales : (FR)

–          « Justice : avancée dans le respect des droits de la défense », Editorial Le Monde, mercredi 7 mai 2014 : (FR)

–          «  La France renforce les droits de la défense » Le Monde, le mercredi 7 mai 2014, Franck Johannés : (FR)

–          NEAsay, « La garde à vue « à la française » encore remise en cause : après la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), c’est le tour de la Cour de cassation, (19 10 2010) : (FR)

–          NEAsay, « Fin brutale de la garde à vue à la française : application immédiate de la garde à vue, décide la Cour de cassation. Malgré l’absence de préparation, la réforme est entrée en vigueur de façon plutôt satisfaisante », (26 04 2011) : (FR)

–          NEAsay, « Conséquences de la justice européenne : en France, les gardes à vue passées menacée d’être frappées d’irrégularité », (31 05 2011) (FR)

–          NEAsay, « Garde à vue et présence d’un avocat : la Commission européenne demande aux Etats membres de se mettre en ordre par rapport à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Critiques la France » (08.06.2011) : (FR)

–          NEAsay, « La présence des avocats en garde à vue : le Conseil constitutionnel  français valide l’essentiel de la loi, mais fait  une réserve concernant « l’audition libre » (20 11 2011) : (FR)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Cette publication a un commentaire

  1. Tapian

    La présence de l’avocat pour une audition libre c’est du grand n’importe quoi.
    Par jour il y a allez quoi deux avocats de permanences près le TGI, et combien d’audition libre de personnes mises en causes?? Police et gendarmerie confondue sur un ressort du TGI cela doit avoisiner les 50 et encore je suis léger…
    Imaginez si ces 50 demandent la présence de l’avocat de permanence, c’est impossible, et de toute façon ça ne servirait à rien, sauf faire perdre du temps aux enqueteurs.
    Je précise que pour les gardes à vue si l’individu demande la présence de l’avocat , l’enqueteur doit attendre jusqu’à deux heures avant de démarrer l’audition. si l’avocat n’est pas la au bout de deux heures, il commence sans lui!!!
    Imaginez pour les auditions libres le foutoir que ça va creer deux avocats de permanences!! j’en rigole d’avance

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