Port de la Burqa en France : la loi française de 2010 concernant l’interdiction de dissimulation de son visage dans l’espace public n’est pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, estiment les juges de Strasbourg

Ce mardi 1er juillet, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a rejeté la requête de la jeune Française S.A.S. concernant le port du voile intégral en France. 

La France n’en est pas à sa première polémique quand on en vient au port du voile ou d’autres signes religieux, comme en atteste les nombreux articles parus dans Nea say. Selon le premier article de la Constitution de la Vè république, ce pays se définit par un régime politique laïque. Cependant, la définition de la laïcité choisie ici n’est pas neutre : il s’agit certes d’une neutralité de l’Etat vis-à-vis des différents cultes, cependant son application peut varier. En France, la laïcité dans son application est conçue comme l’absence de signes religieux dans les établissements publics. La religion est une pratique qui doit rester dans la sphère privée.

 En France, une volonté de préserver la laïcité à tout prix

 La première polémique concernant les signes religieux a éclaté à la fin des années 1980 : la loi Jospin de 1989 promulguait en effet la « liberté d’information et d’expression » (article 10) aux collégiens et lycéens. Certaines élèves ont donc décidé de venir à l’école en portant un voile et se retrouvent exclue de leur établissement. Le principe de laïcité sera réaffirmé alors en 2004 : la loi n°2004-228 interdit tout port de signes religieux dans les établissements publics d’enseignement.

 En 2010, une nouvelle loi a été promulguée : celle-ci interdit la dissimulation du visage dans l’espace public. Le contexte de la loi, une méfiance graduelle envers l’islam et le radicalisme religieux, a provoqué une seconde polémique : la loi interdit en effet le port forcé ou non de la burqa et du niqab dans les lieux publics, vêtements qui soulignent l’appartenance à la religion musulmane. Cette loi pose de nombreux enjeux :

Elle pose, d’une part, l’enjeu du corps des individus dans l’espace public. Le visage apparaît comme un élément constitutif de notre identité publique, mais peut-on réglementer l’habillement d’un individu sans faire intrusion à sa vie privée ? C’est véritablement deux sphères qui se heurtent ici.

Elle pose, d’autre part, l’enjeu des interdictions en elles-mêmes. Pour certains, les interdictions mènent à une discrimination dégradante. C’est notamment l’avis de S.A.S, une Française de 24 ans, qui porte la burqa et le niqab, et qui a décidé de saisir la CEDH.

 La loi de 2010 jugée par la CEDH

 Les avocats de la requérante ont mis en avant plusieurs articles de la Convention européenne des droits de l’Homme : pour eux, la loi française de 2010 est en contradiction avec les article 8 (« Droit à la vie privée et familiale »), article 9 (« Liberté de pensée, de conscience et de religion »), article 10 (« Liberté d’expression) et article 14 (« interdiction de discrimination »).

Le gouvernement français, auquel s’est joint le gouvernement belge qui a voté une loi similaire en 2011, a demandé le rejet pure et simple de la requête : pour le gouvernement, la loi ne présente aucune caractéristique discriminatoire car elle ne cible pas le niqab ou la burqa et en précisant que le nombre de femmes portant de tels vêtements religieux sont minoritaires : elles seraient moins de 2000.

 Le jugement de l’affaire se nourrit d’une jurisprudence qui ces dernières années évolue. La CEDH a en 2005 dans l’affaire Leyla Sahin c. Turquie a validé l’interdiction du port de signes religieux dans les écoles en rappelant que concernant l’application de la laïcité, l’Etat turc bénéficiait d’une marge d’appréciation. Cette jurisprudence a été confirmée par les arrêts Drogu et Kervanci concernant la France rendus en 2008.

 Dans sa décision, la CEDH reste en fait, et pour l’essentiel, dans la lignée traditionnelle de ses positions antérieures: les juges ont reconnu que la requérante vivait dans une « ingérence permanente » car elle était prise dans un dilemme : suivre les préceptes de sa religion ou respecter la loi. Cependant la Cour a estimé que l’interdiction posée par la loi de 2010 était légitime car elle répondait aux principes de « sécurité » et « sureté » publiques et à « la protection des droits et des libertés d’autrui ». La Cour a également estimé que la loi ne présentait aucun caractère discriminatoire. Il s’agit ici d’un jugement classique, qui ne constitue en rien un revirement de la jurisprudence de la cour, qui laisse aux Etats la marge d’appréciation en ce qui concerne la laïcité.

 Le jugement de la Cour laisse donc une fois de plus en suspens les enjeux contradictoires de l’existence d’une telle loi : comment faire coexister la vie privée, la vie publique, la laïcité et la liberté de confession sur un territoire ?

 

Par Margot Molenda

 

Pour en savoir plus :

 

Loi n°89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation, dite « Loi Jospin » : (FR)

Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics (FR)

–        Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (FR)

 –        Dossier de la Fondation Schuman, Questions d’Europe n°183 : « Interdire le port du voile islamique intégral ? Les États européens répondent, en ordre dispersé, selon des logiques nationales. », 18/10/2010 (FR)

 –        Dossier de la Cour de Cassation, Veille Bimestrielle du Droit européen : « La liberté de religion garantie par la Convention européenne des droits de l’Homme et le port de signes religieux dans les établissements publics et dans l’espace public – Eclairage de la jurisprudence européenne et enjeux du débat français », n°33, septembre 2010 (FR)

 –        Convention européenne des droits de l’homme (FR) (EN)

 –        Cour européennée des droits de l’Homme, Affaire n°44774/98 « Leyla Sahin c. Turquie », 2005 (FR) (EN)

  –        Cour européenne des Droits de l’Homme, Affaire n° 27058/05 « Drogu c. France », 2008. (FR)(EN)

 –        Cour européenne des Droits de l’Homme, Affaire n°31/645/04 « Kervanci c. France », 2008. (FR)

  –        Cour européenne des Droits de l’Homme, Communiqué de presse « Arrêt de Grande Chambre S.A.S. c. France – interdiction de porter une tenue dissimulant le visage dans l espace public », 01/07/2014 (FR)(EN)

      -. Dossier de Nea say sur le port de la burqa, du niqab ou du voile intégral http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3172&nea=146&lang=fra&arch=0&term=0

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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