Frontex, Mare nostrum,Triton . Vers des frontières à visage humain ? Interview de Barbara Matera députée PPE à la commission LIBE

barbara-matera-travaglio_672-458_resizeÀ la suite de la tragédie à Lampedusa du 3 octobre 2013, l’Italie lançait l’opération Mare Nostrum. Plus que 100 mille de vies sauvées et 3mille morts d’après les estimations (OIM, missing migrant project 2014), l’Union Européenne s’apprête à intervenir au soutien des efforts italiens : à partir du mois du novembre, Triton, sous l’égide de Frontex, sera opératif dans les eaux de la Méditerranée. Cependant, dans les derniers mois, beaucoup d’europarlementaires au sein de la commission LIBE, surveillé par l’œil attentif d’EU-Logos, ont soulevé des doutes et des perplexités, notamment de la part des membres italiens. (pour une vision approfondie de la question, voir nos articles en savoir plus).

Au moment actuel, la route européenne qui sera prise par l’Italie dans l’avenir, ne semble pas être trop claire, ni univoque, surtout à cause des conflits terminologiques entre la Commission Européenne et l’On. Alfano. D’après ses dernières déclarations, la prochaine session du Conseil des ministres italiens délibérera la fin Mare Nostrum, mais, continue-t-il, l’Italie continuera à garantir le respect des engagements internationales en matière de recherche et sauvetage (ANSA, 16 oct. 2014). Quel sera, donc, le prochain épisode de cet histoire travaillée ?

A ce propos, EU-Logos Athéna a voulu interroger les représentants italiens de LIBE, provenant de trois Europartis différents : Mme. Matera, PPE, Mme. Kyenge, S&D, et Mr. Corrao, EDF. Voici leur réponses, aux lecteurs d’exprimer leurs jugements.

BARBARA MATERA (PPE) 08/10/2014

Au cours des réunions précédentes de la commission LIBE, il a été souligné la contradiction entre les objectifs des deux missions. Mare Nostrum, jusqu’à présent, a donné priorité au sauvetage des vies en mer, démontrant l’évolution possible vers une approche aux politiques d’immigration et d’asile à visage humain, malgré ses instruments traditionnellement associées aux mesures de défense et sécurité. Quelle est votre position sur ce point?

L’opération Triton trouve ses racines sur des hypothèses différentes de celles qui ont conduit à l’inauguration de l’opération Mare Nostrum en octobre 2013 : elle est née sur le flot des émotions provoquées par la tragédie de Lampedusa. Son objectif prioritaire était d’aider les migrants provenant du sud de la Méditerranée, et de traduire en justice les responsables de la traite illégale d’êtres humains. Au contraire, la priorité de l’opération européenne «Triton», n’est pas, comme dans le cas de Mare Nostrum, humanitaire. En revanche, elle correspond à une première tentative, de la part tous les pays européens, d’apporter une réponse commune au problème de l’immigration clandestine.

Cela ne signifie pas qu’elle ne sera pas capable d’offrir autant de priorité au sauvetage de la vie humaine. Cependant, il faut souligner que Triton sera, d’abord et avant tout, un instrument destiné à assurer la protection des frontières européennes. Une analyse rapide des caractéristiques des deux missions suffit déjà à révéler leur diversité. De plus, si Mare Nostrum intervient jusqu’au frontières libyennes, au-delà des eaux territoriales italiennes, là où se limite l’applicabilité de l’accord Schengen ; Triton, au contraire, pourra agir seulement à l’intérieur de ces dernières.

Estimez-vous que Frontex, et en particulier l’opération Triton, continuera dans la nouvelle direction, plus humanitaire, prise par Mare Nostrum? Comment ?

Triton pourra prendre la suite de Mare Nostrum, lorsque le montant des ressources qui lui sont consacrées, seront suffisantes à assurer, d’une part, la sécurité des frontières européennes, et, d’autre part, la protection effective de la vie des migrants.

Selon les dispositions du règlement Frontex, les opérations doivent respecter les règles de l’état-hôte c’est-à-dire celui qui a demandé le soutien de l’agence; pourrait-il être un occasion pour l’Italie, pour promouvoir l’approche plus humanitaire poursuivi, jusqu’à présent, par Mare Nostrum?

Certainement. Grâce à Mare Nostrum, l’Italie s’est montrée très sensible aux droits de l’homme, dont la valeur ne peut pas être sous-estimée. Par conséquent, l’opération lancée par notre pays, il y a un an, pourrait constituer un point de départ pour la promotion d’une approche plus humanitaire du problème de l’immigration.

Le règlement Frontex prévoit déjà des dispositions visant à assurer le respect des droits de l’homme, ce qui a été renforcé par des nouvelles mesures concernant la surveillance des frontières maritimes extérieures (Règlement (UE) n ° 656/2014). Estimez-vous qu’elles offrent des garanties suffisantes pour assurer le respect des droits de l’homme, dans les opérations Frontex en Méditerranée? Si non, comment vous agirez à l’avenir pour améliorer le cadre législatif européen, ainsi que son application correcte?

Ils offrent un ensemble de règles communes, visant à assurer la sécurité et la protection effective des droits de l’homme, à la fois. En particulier, le règlement voté en Avril dernier, prévoit des dispositions qui permettront à Frontex d’assurer une assistance adéquate, y compris aux personnes les plus vulnérables. Plus de ressources seront allouées aux missions Frontex, plus il sera possible d’offrir une réponse humanitaire appropriée, sur la base de deux règlements.

La Commission européenne a souligné, à plusieurs reprises, la nature volontaire de la participation des États membres, dénonçant l’absence de solidarité entre eux. Par ailleurs, en raison des pouvoirs limités de l’Union, elle devra se limiter à les encourager. Quelle est, donc, la réponse attendue? Qui participera et dans quelle mesure? Quelles stratégies alternatives proposez-vous, afin d’améliorer et de renforcer le mécanisme de solidarité entre les Etats?

Il est évident que le succès de Triton sera directement proportionnel à la participation et aux engagements des États membres qu’y prendront part, notamment en termes de ressources. Le plus ils s’engageront, le plus il sera possible d’élargir la dimension humanitaire de l’opération Triton. Ce qui doit être clair est que Triton ne possède pas les caractéristiques nécessaires pour se substituer à la mission Mare Nostrum, premièrement à cause de la nature différente de leur mandat.

Certes, Triton doit être accueilli comme un signe de la volonté d’offrir une réponse commune au problème de l’immigration sur nos côtes ; mais il serait hypocrite de dire qu’ elle sera, à elle seule, en mesure de remplacer Mare Nostrum. Parallèlement, notre pays ne peut pas continuer à supporter seul la situation d’urgence humanitaire, générée par l’augmentation de l’immigration venant du sud de la Méditerranée.

Plus de ressources permettrait de garantir la possibilité d’étendre les limites de la mission humanitaire de l’Union européenne dans la Méditerranée. Mais, comme l’a souligné à plusieurs reprises la Commission européenne, il n’y a pas de ressources communautaires suffisantes à allouer à cette fin. Peut-être que ce manque sera compensé, au moins à court terme, par la solidarité des États membres, dont la marge d’action est très large. Mais, ne l’oublions pas, leur disponibilité dépendra également des considérations politiques, qui à leur tour, sont liées à deux questions clés très sensibles: l’accueil des migrants et le droit d’asile.

Si on considère que les deux autres opérations Frontex actives dans la Méditerranée, Hermès et Enée, sont financées par 16-18 États membres, il est probable que, au moins le même nombre de pays, sinon plus, participera à Triton. Entre temps , l’Espagne, l’Allemagne, la France, Malte, l’Italie et bien sûr, ont déjà donné leur adhésion. Il n’est pas encore possible de déterminer la quantité de ressources que chaque État mettra à disposition, sur une base volontaire.

La Commission européenne devra souligner, auprès des États de l’UE, la nécessité de soutenir une gestion partagée de l’urgence lors des débarquements, appelant les gouvernements européens au respect du principe de solidarité, valeur à la base de la création même de l’Union.

La solidarité entre les États membres est liée au respect des engagements européennes, mais aussi internationales. Selon une analyse récente sur l’application du droit européen (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-1072_en.htm ) l’Italie est parmi les pires élèves, en particulier en ce qui concerne la transposition et l’application des directives paquet asile (http://eurinfra.politichecomunitarie.it/ElencoAreaLibera.aspx ). En outre, comme l’a souligné la commissaire Malmström, à l’occasion de son discours à Lampedusa Octobre 2 l’année dernière, «while Italy has been under considerable pressure, the ratio of asylum application/national population was below the EU-28 average over the period 2008-2013 ».

Estimez-vous que cette performance pourrait nuire à la crédibilité de l’Italie, ce qui réduit les chances d’obtenir une réponse positive, à l’appel pour plus de solidarité entre les États membres de l’UE?

Il est impossible de négliger le fait que l’Italie, champion en matière d’infractions , représente un modèle négatif pour les autres pays européens, dans l’application du droit communautaire. Mais cela n’exclut pas sa crédibilité absolue en tant que moteur d’une solidarité majeure, entre les États membres de l’Union européenne. En effet, grâce à l’opération Mare Nostrum, notre pays a démontré sa vocation humanitaire et solidaire, qui doit être exemplaire pour les autres États de l’UE.

En réponse aux déclarations du ministre Alfano, concernant la fin de l’opération Mare Nostrum, la Commission a souligné le caractère complémentaire de l’opération Triton. En outre, l’Union européenne ne sera pas responsable des effets de cette décision, purement italienne, parmi ces effets possibles, le risque d’une augmentation du nombre de victimes de la Méditerranée. Quelle est votre position à cet égard? Quelles sont vos attentes et comment devrait réagir l’Italie face au risque de nouvelles tragédies en mer?

Ce qui est certain, c’est que l’Italie ne peut pas continuer à supporter seule le poids économique et, ne le cachons pas, psychologique, causé par les débarquements d’urgence.

Mare Nostrum est né comme une opération à durée déterminée, dans l’espoir que l’Union européenne serait bientôt intervenue dans ​​la gestion de la migration aux frontières de l’Europe.

Sans aucun doute, Triton ne possède pas les moyens nécessaires pour remplacer Mare Nostrum. Et il est très probable que, à la fin de l’opération Mare Nostrum, il y aura une augmentation des victimes dans notre mer. Cependant, il est autant vrai que le problème ne concerne pas seulement nous, en tant que pays, mais l’Europe toute entière. Italie n’aura pas à se sentir plus responsable que les autres membres de l’UE, de l’augmentation possible des victimes dans leur propre mer, seulement à cause de sa position, géographiquement plus proche de la rive sud de la Méditerranée.

Il ne faut pas oublier que la plupart des migrants que nous accueillons en Italie, sont dirigés vers d’autres pays européens. Cette considération suffit à justifier, à lui seul, la demande d’une intervention plus importante, qui devrait inclure aussi les autres Etats membres de l’Union européenne.

Le nouveau commissaire à l’immigration et aux affaire intérieures, Dimitris Avramopoulos, a annoncé qu’une partie des fonds de la Commission sera destinée à augmenter le budget de Frontex; il envisage aussi une stratégie à long terme, qui comprenne l’évaluation de la création d’un corps commun de gardes-frontières européen et la révision du mandat de Frontex (pour en savoir plus, voir http://europe-liberte-securite-justice.org). Quelle est votre opinion sur ces déclarations?

Il est souhaitable que la Commission européenne augmente les ressources destinées à l’agence Frontex ; de même, je partage la volonté d’identifier des stratégies à long terme, qui assurent la bonne gestion d’une problématique, celle de l’immigration, dont l’ampleur, dans l’espace et dans le temps, est difficile à prévoir.

Grâce à la création d’un corps européen de gardes-frontières, l’Union européenne démontrerait une tentative concrète d’une gestion commune de l’immigration, qui concerne, sous des formes différentes, tous les États de l’UE.

 

(Elena Sbarai)

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Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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