Immigration : principe du Non Refoulement. Un nouvel arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) rappelle l’importance de son plein respect!

Le 21 octobre 2014 la Cour Européenne de Droit de l’Homme condamne la Grèce et l’Italie de la violation des articles 3, interdiction à la torture, 13, droit à un recours effectif, et de l’article 4 du protocole 4 contre les expulsions massives des étrangers. Elle rappelle ainsi le lien qu’ils entretiennent avec le principe « de non refoulement », son importance avait déjà été soulignéavec les arrêts Hirsi Jamaa et autres c. Italie (2012) et l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce (2011).

Mardi 28 octobre 2014 le Conseil Italien pour les Réfugiés a présenté le rapport du project ‘Access to Protection: a Human Right’, réalisé en coopération avec d’autres partenaires défenseurs du droit à l’asile et de la protection des droits fondamentaux des réfugiés, notamment ECRE.

Un des objectifs du rapport est de souligner la dichotomie entre l’accès à la protection et l’accès au territoire, à l’origine de la plupart des violations des droits fondamentaux à l’encontre des réfugiés. Un individu aurait un accès effectif à la protection internationale, dont il a droit, seulement une fois entré effectivement sur le territoire de l’État. A l’inverse, il ne pourra pas avoir accès à la protection s’il est éloigné, sans aucun examen de la situation générale et particulière à l’origine de sa fuite.

Dans ce genre d’affaires, le principe le plus menacé est celui du non refoulement, obligation qui relève du droit international coutumier. Sa définition peut être tirée de la convention de Genève de 1951, relative au statut des réfugiés, qui, au paragraphe 1 de son article 33, repris par l’art. 18 et 19 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, dispose :

« Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. »

Le refoulement, donc, empêche l’accès effectif aux procédures d’asile. En outre, si la violation de ce principe sur le territoire d’un État suffit à prouver sa responsabilité, d’autre part, il est plus difficile de lui attribuer la responsabilité des violations commises lorsqu’il agit en dehors de son territoire. Deux cas emblématiques sont les refoulements en haute mer, ou encore les risques des violations dont les individus concernés sont soumis dans l’État où ils sont expulsés. L’État refoulant, donc, serait exonéré de toute responsabilité, alors que la décision du renvoi relève de son autorité.

Il est important aussi de noter que le principe de non refoulement, en soi, n’est pas reconnu en tant que droit individuel, partant, il faut faire référence à d’autres droits qui lui sont liées, inscrits dans la CEDH. Il s’agit de l’art. 3 sur le droit à la vie, contre tout traitement inhumain et dégradant, de l’art. 8 qui affirme le droit à l’intégrité de la famille, de l’art. 13 sur le droit à un recours effectif, mais surtout de l’art. 4 protocole 4 contre les expulsions collectives.

Juridiction et responsabilité

Sur la base des dispositions précitées et face aux défis que soulève leur bonne application, la Cour Européenne des Droits de l’Homme(la CEDH) est intervenue lors de deux arrêts affaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie (2012) et l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce (2011). La CEDH a clairement statué sur l’extraterritorialité de la juridiction de l’État des activités menées en dehors de son territoire soit en haute mer, si le navire ou le bateau battent drapeau nationale, soit dans le pays où l’individu concerné est ou risque d’être refoulé dans un pays tiers (refoulement indirecte).

Les arguments de ces deux arrêts clé de la jurisprudence de la Cour ont été repris récemment par l’affaire Sharifi et autres c. Italie et Grèce (2014).

Les faits

Au cours des années 2007 et 2008, un groupe de migrants provenant d’Afghanistan, pays en proie à des conflits, arrive en Grèce. Toutefois, à cause des conditions difficiles et des impossibilités d’accès à la procédure de demande d’asile, ils s’embarquent clandestinement à Patras sur des navires à destination de l’Italie. C’est ici que les autorités frontalières de police les ont renvoyés immédiatement en Grèce, sans qu’ils puissent s’opposer à une telle décision en introduisant un recours juridique. De même, ils ne seraient pas entrés en contact avec des interprètes ni des avocats. Ils n’auraient, donc, reçu aucune information, dans une langue compréhensible, sur les procédures à suivre pour introduire une demande d’asile. Enfin, les requérants dénoncent le fait d’avoir subi des violations par les autorités des deux États concernés, et ce à plusieurs reprises.

L’appréciation de la Cour :

Contre la Grèce

La Cour constate la présence d’une violation de l’art. 13, combiné à l’art. 3 de la CEDH, à l’encontre de la Grèce. Tout d’abord, la Cours tient à préciser que son jugement porte sur l’examen du bon respect des Droits fondamentaux des individus concernés et, donc, elle n’intervienne pas au niveau de la demande d’asile introduite par les mêmes, en plein respect du principe de subsidiarité. D’ailleurs, elle refuse la question d’irrecevabilité posée par la Grèce, constatant que les voies de recours n’avaient pas été épuisées à cause des violations mêmes du droit au recours effectif.

La Cour poursuit son raisonnement, notamment s’appuyant sur l’arrêt MSS c. Belgique et Grèce, où elle avait constaté le manque d’un accès effectif au recours juridique et aux procédures d’asile, grâce aussi à des informations complètes, claires et compréhensibles. En effet, comme en témoignent les observations des tiers intervenants,( élément de preuve essentiel sur lequel la Cour s’appuie), la situation n’a pas subi de changements.

Par conséquence, les requérants ont ainsi subi le risque d’être renvoyés en Afghanistan, où il a été confirmé le risque de subir des traitements inhumains et dégradants, contraires à l’art. 3 de la CEDH.

Afin de renforcer l’importance du respect de l’art. 13 de ladite Convention, la Cour souligne un aspect très intéressant à l’égard de l’Union Européenne. En effet, au §169 elle affirme : La récente refonte du droit de l’Union européenne en la matière (d’asile) renforce ces principes : tous les droits procéduraux et matériels reconnus aux demandeurs d’asile supposant l’introduction d’une demande d’asile, plusieurs dispositions du règlement Dublin III et de la directive Procédure refondue visent à assurer un accès effectif à cette procédure, accès dont une information exhaustive et compréhensible par les intéressés constitue le préalable indispensable.

Contre l’Italie

En ce qui concerne la violation de l’art. 4 du Protocol 4 de la CEDH, selon lequel ‘les expulsions collectives d’étrangers sont interdites’, la Cour rappelle la raison fondamentale pour laquelle sa portée couvre, aussi, les activités menées par les autorités d’un État, hors de son territoire : une solution contraire aboutirait à priver cette disposition d’effet utile’. Autrement dit, comme déjà elle l’avait affirmé au §177 de l’affaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie : ‘Cela aurait pour conséquence que des migrants ayant emprunté la voie maritime, souvent au péril leur vie, et qui ne sont pas parvenus à atteindre les frontières d’un Etat, n’auraient pas droit à un examen de leur situation personnelle avant d’être expulsés, contrairement à ceux qui ont emprunté la voie terrestre.’

En outre, le même arrêt est repris au point suivant (§214 Sharifi) : il faut que l’État ait assuré ‘des garanties suffisantes attestant une prise en compte réelle et différenciée de la situation individuelle de chacune des personnes concernées par les mesures litigieuses.’ Les autorités italiennes, donc, sont obligées à prendre des décisions, notamment en matière de retour, sur la base de l’appréciation du cas spécifique de l’individu.

Au contraire, dans le cas d’espèce, le gouvernement a soutenu une interprétation tout à fait contraire à celle-ci : ‘interpréter l’article 4 du Protocole no 4 dans le sens de son applicabilité au refoulement ou au refus d’admission sur le territoire national exposerait les États parties à la Convention à devoir subir des invasions massives de migrants irréguliers’. Toutefois, les difficultés de gestion des flux migratoires, ne sont pas considérés une justification suffisante à désinculper l’État, comme déjà tranché par la Cour dans les arrêts précités.

En plus il justifie ses actes sur la base du règlement de Dublin. Même dans ce cas l’argument présenté ne tient pas : ‘pour établir si la Grèce était effectivement compétente pour se prononcer sur les éventuelles demandes d’asile des requérants, les autorités italiennes auraient dû procéder à une analyse individualisée de la situation de chacun d’entre eux plutôt que les expulser en bloc’, comme il a été démontré. En effet, l’application de Dublin doit respecter les droits fondamentaux énoncés par la Convention et ses protocoles, comme établi par la jurisprudence du cas M.S.S. de 2011.

S’appuyant aussi sur les rapports des tiers intervenants, notamment des organisations non gouvernementales actives sur le territoire, la Cour établie que l’Italie est, donc, responsable de la violation du principe de non refoulement, ainsi que de l’art. 13 de la Convention, n’ayant pas garanti l’accès à une procédure d’asile ni à la possibilité d’introduire un recours effectif par les requérants, tel que défini par les paragraphes relatifs à la Grèce, du même arrêt Sharifi.

Mais le nombre d’accusations ne s’arrête pas aux frontières européennes. Comme déjà la Cour avait eu occasion de le démontrer, un État est aussi responsable de tout refoulement indirecte. Partant, le fait d’avoir expulsé des individus en Grèce, implique le risque du refoulement en Afghanistan, comme prouvé dans la première partie de l’affaire. Par conséquence, l’Italie est manifestement responsable de la violation de l’art. 3 CEDH, contre les traitements inhumains et dégradants.

Exécution de l’arrêt

La Grèce, ainsi que l’Italie, sont obligés à respecter l’arrêt de la Cour, juridiquement contraignant. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, responsable du suivi, devra être particulièrement attentif vu que, malgré les précédents (Hirsi Jamaa 2012, M.S.S. 2011) les deux États ne semblent pas être respecter les arrêts.

(Elena Sbarai)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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