Lutte contre la radicalisation en Europe : miser sur l’Education ?

Suite aux attentats qui ont frappé Paris et Copenhague début 2015, la nécessité d’une stratégie européenne de lutte contre la radicalisation conduisant à l’extrémisme violent s’est fait plus pressante. Ainsi, les Ministres de l’Éducation de l’Union européenne se sont réunis le 17 mars dernier dans la capitale française pour discuter des moyens à mettre en œuvre pour faire de l’éducation un instrument de la lutte contre l’extrémisme. Organisée par la délégation française avec l’appui de la Commission et de la présidence lettone du Conseil, cette réunion informelle a rassemblé les États membres – 26 au niveau ministériel – ainsi que le Commissaire européen en charge du portefeuille « Éducation, Culture, Jeunesse et Sport », Tibor Navracsics, autour d’une question : Comment l’éducation pourrait-elle mieux contribuer au sein de l’Union européenne à promouvoir la citoyenneté et les valeurs communes de liberté, de tolérance et de non-discrimination ?

 

Lors de cette réunion, une « Déclaration commune sur la promotion de l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs communes de liberté, de tolérance et de non-discrimination » a été adoptée. Les Ministres ont reconnu avoir « une responsabilité particulière dans la transmission aux générations futures des valeurs humanistes et civiques » qu’ils partagent. L’objectif est donc de renforcer l’enseignement et l’appropriation de ces valeurs considérées comme fondamentales mais aussi, in fine, de « construire grâce à l’éducation des sociétés plus inclusives ». Ce faisant, l’éducation contribuerait à prévenir la radicalisation des jeunes européens et à protéger le pluralisme des sociétés européennes. Relever ce défi nécessite des actions concrètes aux niveaux national, régional et local ; des actions visant à promouvoir une éducation inclusive qui combatte les inégalités de toute sorte et une éducation à la citoyenneté qui favorise le développement d’un esprit critique. La Déclaration de Paris souligne également l’importance du dialogue et de la coopération entre tous les acteurs de l’éducation – familles, parents ou structures associatives – ainsi que celle de la formation des enseignants. Si la responsabilité des systèmes éducatifs et de leurs contenus relève des États membres, la coopération européenne est considérée comme fondamentale par les Ministres et le Commissaire européen. « Il est urgent de coopérer, de nous coordonner, d’échanger nos expériences et de faire en sorte que les meilleures idées et pratiques puissent être mutualisées à l’échelle de l’Union européenne » ont-ils déclaré. Pour ce faire, le cadre stratégique « Éducation et formation 2020 » qui fixe les objectifs stratégiques communs aux États membres dans les domaines de l’éducation et de la formation à l’horizon 2020, ainsi que le programme Erasmus + (programme de l’Union européenne pour l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport pour la période 2014-2020) pourraient apporter leur soutien à la réalisation de cet objectif. Lors de la réunion du 17 mars, le Commissaire Navracsics avait d’ailleurs annoncé qu’il présenterait, d’ici la fin de l’année, des recommandations pour approfondir la question de l’inclusion, de la diversité et des valeurs civiques dans les écoles, sur la base des dispositions du programme Erasmus +.

En amont de cette réunion informelle, 90 praticiens – enseignants ou chercheurs – se sont réunis dans le cadre du Radicalisation Awareness Network (RAN) les 3 et 4 mars 2015. Ce réseau,, opérationnel depuis septembre 2011, vise à favoriser le partage des expériences et l’échange de bonnes pratiques en matière de lutte contre la radicalisation à l’échelle de l’Union européenne. Un Manifeste pour l’éducation a ainsi été rédigé par ces praticiens puis soumis aux Ministres de l’Éducation en vue de leur réunion du 17 mars. Parmi les demandes formulées figurent le soutien aux enseignants et aux établissements scolaires, davantage de moyens pour des formations, une communication préventive et constructive, la construction d’une réponse gouvernementale, mais aussi et surtout, une stratégie globale de lutte contre la radicalisation associant les écoles, les enseignants, les familles, les ONG et organisations diverses.

La session du Conseil « Éducation, jeunesse, culture et sport » des 18 et 19 mai 2015 devait permettre aux Ministres et au Commissaire en charge, de discuter du suivi apporté à la Déclaration de Paris. Les résultats de cette session indiquent que la Ministre française, Najat Vallaud-Belkacem, « a suggéré que le programme Horizon 2020 puisse soutenir la recherche des raisons qui conduisent les jeunes à la radicalisation et demandé qu’il soit procédé à un échange régulier de bonnes pratiques sur cette question. »

De son côté, la Commission a rappelé que la prévention de la radicalisation constituait « une priorité majeure », raison pour laquelle son programme européen en matière de sécurité, « accorde une place aussi importante au rôle de l’éducation ». Présenté dans une communication du 28 avril 2015, ce programme présente la lutte contre le terrorisme et la prévention de la radicalisation comme un domaine d’action prioritaire, avec la lutte contre la criminalité organisée et la cybercriminalité. En matière de prévention de la radicalisation, la Commission fait valoir que « l’éducation, la participation des jeunes et le dialogue interconfessionnel et interculturel, ainsi que l’emploi et l’inclusion sociale, ont un rôle essentiel à jouer ». Le programme européen fait donc écho à la Déclaration de Paris en ce qu’il prône une « éducation inclusive » et inscrit l’action de la Commission dans le cadre du programme « Éducation et formation 2020 », de la stratégie européenne en faveur de la jeunesse ainsi que des plans de travail en faveur du sport et de la culture. Les moyens financiers mobilisés par la Commission le seront dans le cadre des programmes « Erasmus + » et « Europe créative ». A noter que les conclusions de la session du Conseil des 18 et 19 mai indiquent que « la Commission estime que toute mesure prise devrait intervenir au niveau local » et qu’elle présentera « une initiative spécifique dans ce domaine dans le cadre du programme de travail Erasmus + 2016 ». Si aucune décision spécifique n’a été adoptée, les États membres ont procédé à des échanges de vues sur certains programmes et mesures en cours au niveau national, visant à promouvoir l’inclusion sociale et à lutter contre la radicalisation. Ils considèrent notamment que les clubs de sport, les ONG, les associations de jeunes, les parents et les familles devraient être associés aux actions conduites à l’échelle nationale comme européenne, et ont rappelé la nécessité d’élaborer des programmes de formation spécifiques à l’intention des enseignants.

Ceci étant, l’Union européenne n’est pas la seule organisation à se préoccuper de la lutte contre la radicalisation. Le Conseil de l’Europe a lui aussi travaillé sur cette question. Rappelons que le Conseil de l’Europe est une organisation internationale de défense des droits de l’homme créée le 5 mai 1949 par le traité de Londres. Aujourd’hui fort de 47 États membres dont les 28 États membres de l’Union européenne, le Conseil de l’Europe a pour objectif de défendre les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit sur le continent européen. Il est donc distinct de l’Union européenne. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, qui rassemble les Ministres des Affaires étrangères de tous les États membres (ou leurs représentants permanents à Strasbourg), a adopté le 19 mai 2015 un Plan d’action pour lutter contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme pour la période 2015-2017. Deux objectifs lui sont conférés :

  1. Renforcer le cadre juridique contre le terrorisme et l’extrémisme violent ;
  2. Prévenir et combattre la radicalisation violente par des mesures concrètes dans le secteur public, en particulier dans les établissements scolaires et les prisons, et sur internet.

En toute logique, ce second objectif comporte un volet « Éducation » important. Le Conseil de l’Europe est ainsi en train de « définir les principales compétences nécessaires aux citoyens pour qu’ils puissent participer de manière effective à la société démocratique et au dialogue interculturel ». Ce projet, qui devrait être achevé d’ici fin 2015, « cible essentiellement les concepteurs de politiques éducatives et les praticiens » et entend leur fournir des lignes directrices ou un cadre de compétences. Les États membres seront ensuite libres d’utiliser ces lignes directrices et de les adapter à leur système éducatif comme bon leur semble.

Le Plan d’action prévoit également de nouvelles actions transversales pour « Construire des sociétés inclusives ». Ces actions consistent à apporter un soutien au travail des acteurs de terrain et « à lutter contres les clichés et la discrimination, à soutenir les stratégies d’inclusion à l’échelon local, à renforcer la confiance des citoyens et à favoriser la communication et les aptitudes interculturelles ».

Autre domaine d’action pour le Conseil de l’Europe : opposer des contre-arguments au dévoiement de la religion. Le Secrétariat Général de l’organisation a ainsi chargé un groupe de personnalités d’élaborer un document de référence permettant de mieux comprendre les questions relatives aux religions et aux convictions. Ce document a vocation à être diffusé et mis à disposition à des fins d’éducation et de formation. De même, le Secrétariat envisage « d’inviter les associations de victimes du terrorisme […] à soumettre des témoignages et des documents sur leurs activités ».

Le Plan d’action du Conseil de l’Europe a donc le mérite de présenter une liste de mesures concrètes à ses États membres en matière de lutte contre la radicalisation. S’il n’a pas de valeur juridique contraignante, un rapport intermédiaire sur les progrès et résultats du Plan d’action sera soumis au Comité des Ministres par le Secréatariat Général pour mi-2016 avant le rapport final de 2017. La Déclaration de Paris du Conseil de l’Union européenne fait, quant à elle, figure de profession de foi. En attendant les recommandations promises par le Commissaire européen Navracsics, le suivi de cette Déclaration demeure flou.

 

Charline Quillérou

 

 

Pour en savoir plus

 

-.Radicalisation awareness network – Manifeste pour l’éducation – Mars 2015 http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/networks/radicalisation_awareness_network/docs/manifesto-for-education-empowering-educators-and-schools_en.pdf (EN)

-. Déclaration de Paris – 17 mars 2015 https://ec.europa.eu/commission/sites/cwt/files/dp_mobilisation_europeenne_20150317.pdf (FR/EN)

-. Résultats du Conseil Éducation, Jeunesse, Culture et Sport du 18-19 mai 2015 http://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/eycs/2015/05/18-19/ (FR) http://www.consilium.europa.eu/en/meetings/eycs/2015/05/18-19/ (EN)

-. Conseil de l’Europe – Plan d’action – Lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme https://www.coe.int/t/ngo/Articles/Action%20Plan%20against%20extremism_fr.asp (FR)

https://www.coe.int/t/ngo/Articles/Action%20Plan%20against%20extremism_en.asp (EN)

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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