L’accord de non-prolifération avec l’Iran ferait-il oublier les droits fondamentaux ?

Le 14 juillet dernier, après 12 ans de négociations diplomatiques sur fond de sanctions économiques, la Russie, les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Chine (les « 5+1 ») signaient un compromis de non-prolifération du nucléaire iranien en échange de la levée progressive des sanctions imposée par l’ONU, les États-Unis et l’Europe, essentiellement dans les secteurs de la finance, de l’énergie et du transport. Cependant, l’embargo sur les armes reste maintenu. Cet « accord de Vienne » a été débattu lors de l’assemblée plénière du Parlement européen à Strasbourg ce jeudi 10 septembre. Les commissions Affaires étrangères (AFET) et Sécurité et défense (SEDE), mais aussi Droits de l’Homme (DROI) et Liberté civiles, justice et affaires intérieures (LIBE) étaient particulièrement représentées pour échanger avec la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, sur les raisons de fond qui ont amené l’Union européenne à se poser en « facilitateur des négociations », et sur les conséquences que cet accord entraîne sur la conduite de la politique extérieure de l’Union.

 

Les dessous géopolitiques de l’accord de non-prolifération iranien

La Haute représentante a commencé par souligner que l’accord constituait avant tout « une victoire pour la diplomatie, le multilatéralisme, et pour l’Union européenne », une victoire qui avait redonnée « confiance » dans la capacité des négociations diplomatiques à offrir des solutions fortes et durables. Une considération reprise par la députée Cornelia Ernst (Allemagne, GUE/NGL) pour qui l’accord de Vienne prouve « qu’un dialogue à long terme vaut la peine ».

L’attachement de l’Union européenne à des mécanismes pacifiques de résolution des tensions est à mettre en relation directe avec l’exigence de paix comme valeur fondatrice de l’Union. Le multilatéralisme, c’est-à-dire la coopération de trois États au moins dans le but d’instaurer des règles communes, notamment au sein d’organisations internationales comme l’ONU, est un de ces mécanismes pacifiques de résolution des conflits. La préférence accordée par l’Union au multilatéralisme s’explique en grande partie par sa confiance dans la « force du droit ».

Comme l’a souligné Mme Mogherini, la phase de mise en œuvre de l’accord va constituer la « phase critique ». Celui-ci prévoit en effet une levée progressive des sanctions sur 15 ans : dans le cas où l’Iran ne respecterait pas l’accord, la levée des sanctions serait interrompue. De plus, l’accord de Vienne a été imaginé de telle manière que le ralentissement du programme nucléaire iranien oblige le pays à enrichir de l’uranium pendant un an avant de pouvoir à nouveau créer une bombe nucléaire. Ce qui doit laisser le temps nécessaire à l’Occident pour réagir.

Mme Mogherini a été chaleureusement félicitée par une large majorité des députés présents pour avoir réussi à aboutir avec son équipe à cet accord. Ainsi, le député Cristian Dan Preda (Roumanie, PPE) s’est réjoui de l’existence d’un mécanisme multilatéral de suivi de la mise en oeuvre de l’accord par l’Iran. Cependant, le député Bas Belder (Pays-Bas, ECR) a soulevé la question de la mise en place d’un comité international d’experts en supplément. Un tel comité avait déjà été mis en place le 3 avril 1991 après l’adoption de la Résolution 687 du Conseil de Sécurité de l’ONU le 29 novembre 1990, consécutivement à la deuxième Guerre du Golfe (1990-1991). La mission de l‘United Nations Special Commission (UNSCOM) était de veiller au démantèlement des armes de destruction massive irakiennes et d’inspecter les installations nucléaires, chimiques et biologiques afin de s’assurer du respect par le gouvernement en place du Traité de 1968 sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

Cette sorte de « double contrôle » des capacités nucléaires iraniennes est jugée nécessaire par Bas Belder (Pays-Bas, ECR) au vue du peu d’empressement qu’a eu l’Iran à respecter les accords nucléaires passés. Le pays avait en effet signé le Protocole additionnel du Traité de non-prolifération (TNP) le 18 décembre 2003, qui a pour but de renforcer considérablement les capacités de surveillance de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA). Par la suite, les négociations entre le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et l’Iran semblaient prometteuses pour amener Téhéran à une suspension définitive de son programme d’enrichissement d’uranium. Cependant, fin septembre 2005, l’Iran décidait de reprendre ce programme en violation de l’accord TNP. C’est la raison pour laquelle le 4 février 2006, l’AEIA transféra le dossier iranien au Conseil de Sécurité des Nations-Unies qui adopta des sanctions à l’encontre de l’Iran. Les États-Unis, l’Europe et leurs alliés adoptèrent de leur côté des mesures de rétorsion encore plus contraignantes à partir de 2010.

Mais Barack Obama, arrivé au pouvoir en 2009, a progressivement changé la rhétorique diplomatique de son pays : la non-prolifération du nucléaire au Moyen-Orient est désormais pour les États-Unis un moyen de lutter contre le terrorisme. Les négociations entre l’Iran et les « 5+1 » ont donc repris en décembre 2010 pour aboutir en novembre 2013 à un accord de gel des sanctions internationales contre une limitation de son programme nucléaire par Téhéran. Les États-Unis comptent désormais sur l’Iran pour être un des « gendarmes du Moyen-Orient » à leur solde et ne plus avoir à intervenir directement dans la région.

Les mesures coercitives adoptées à partir de 2006 ont gravement affecté la situation économique en Iran. Elles ont notamment abouti à une diminution drastique des exportations d’hydrocarbures, qui représentent pourtant 90% des ressources de l’État. Ces difficultés économiques expliquent en grande partie les efforts consentis par Téhéran en 2015 à limiter plus encore le développement de son programme nucléaire pour les 15 années à venir, en échange de la levée définitive de ces sanctions, et non de leur gel comme dans le cadre de l’accord de 2013. Certains observateurs jugent toutefois l’Iran nettement en position de force étant donné que dans l’accord de 2013 comme dans celui de juillet 2015, il n’est pas imposé au pays de renoncer définitivement à son programme nucléaire, seulement d’en cesser le développement pour 15 ans.

Dans le cadre de la mise en oeuvre de cet accord, le député Charles Tannock (Royaume-Uni, ECR) s’est inquiété du délai de 24 jours laissé à l’Iran pour se préparer à une inspection de ses installations nucléaires, délai qui pourrait lui permettre de cacher les indices quant à l’existence d’un programme militaire de recherche nucléaire toujours en cours. Il a cependant reconnu que « les alternatives militaires étaient irréalistes et représentaient un risque d’escalade supplémentaire dans une région déjà déstabilisée » avant d’ajouter : « cet accord ne doit pas pour autant nous aveugler. Il ne doit pas nous empêcher de critiquer l’Iran ». Des propos qui ont été repris en substance par Gérard Deprez (Belgique, ADLE) pour qui un « risque calculé » sur un accord de non-prolifération nucléaire est préférable à un « risque d’escalade guerrière » mais ne constitue en rien un « label d’honorabilité » du régime iranien actuel. Ces députés ont notamment dénoncé les violations répétées et avérées des droits fondamentaux et des droits des minorités, et le soutien du régime iranien aux « terroristes ».

En effet, l’Iran de l’Ayatollah Khomeyni, guide spirituel de la révolution islamique chiite de 1979, soutient le Hezbollah au Liban et le PKK au Kurdistan. Le Hezbollah est un mouvement politique chiite disposant d’une branche armée et considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Union européenne (depuis le 22 juillet 2013) ainsi que par les six pays du Golfe Persique (Arabie Saoudite, Bahreïn, Koweït, Emirats Arabes Unis, Oman, Qatar). L’Iran soutient également le PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation armée qui s’oppose militairement à la Turquie depuis 1984. À l’origine, le PKK souhaitait obtenir l’indépendance des territoires dans le sud-est du pays à majorité kurde. Il réclame désormais l’autonomie du Kurdistan au sein d’un système fédéral et l’amnistie pour les rebelles. Il est considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la Turquie et l’Union européenne (par décision du Conseil du 15 juillet 2008). Téhéran soutient les kurdes en tant que peuple d’origine perse, bien que 80% environ des kurdes soient de confession sunnite.

L’Iran soutient également les régimes chiites de Bachar al-Assad en Syrie depuis 2000 et de Nouri al-Maliki en Irak depuis 2006. Cette coopération permet à l’Iran de briser le « cordon sanitaire » sunnite établi par les occidentaux depuis que l’existence d’un programme de développement nucléaire en Iran est soupçonnée. Ces soutiens politiques, matériels et financiers correspondent également aux ambitions de l’Iran de devenir une puissance régionale et un « gendarme » totalement indépendant de l’influence occidentale. Pour cela, le pays a besoin d’une stature internationale. L’accord de Vienne et une coopération régionale Iran-UE pourraient lui offrir une telle position.

 

Un accord de non-prolifération pour relancer le dialogue au Moyen-Orient

L’accord de Vienne « offre désormais de nouvelles possibilités de coopération régionale au Moyen-Orient » et l’Union compte sur cet accord « pour tenter de trouver des solutions de sortie de crise en Syrie, au Yémen, au Liban et en Irak ». C’est ce qui fait de l’accord de Vienne une « victoire autant pour l’Union européenne que pour la communauté internationale » (Mme Mogherini). Une opinion partagée par Francisco José Millán Mon (Espagne, PPE) : « le champ d’application de l’accord va au-delà des questions de sécurité » et doit permettre la mise en place d’un « nouveau climat de coopération entre l’Iran et la communauté internationale ».

La Haute Représentante a insisté sur le fait que l’établissement d’une plus grande confiance régionale pourrait déstabiliser l’organisation Daesh, même si « une coalition internationale incluant les États-Unis, la Russie et l’Iran » sera sans doute nécessaire pour mettre à bas le régime comme l’a fait remarquer Nikolay Barekov (Bulgarie, ECR). Pour le député Nicola Caputo (Italie, S&D), l’Union européenne doit désormais favoriser le dialogue entre les communautés sunnite et chiite si elle veut une chance de résoudre le conflit en profondeur. Dans un cas comme dans l’autre, l’accord de Vienne doit pousser l’Iran à aider au règlement de conflits régionaux dont il est l’un des acteurs les plus féroces.

« Il est encore trop tôt pour se réjouir » a résumé Knut Fleckenstein (Allemagne, S&D), mais l’accord représente certainement une « source d’espoir pour une détente entre l’Iran et l’Occident », ainsi qu’au sein de la région du Moyen-Orient. Cet accord doit également permettre « d’espérer un avenir meilleur pour les iraniens ». L’accord de Vienne doit réaffirmer l’Union européenne comme un « acteur mondial de la coopération et de la paix » dans le monde (Victor Boştinaru, Roumanie, S&D). Mais si l’accord donne une « occasion à l’Europe de se placer en arbitre de la sécurité internationale, elle donne aussi à l’Union européenne de plus grandes responsabilités » (James Carver, Royaume-Uni, EFD).

De manière concrète, Richard Howitt (Royaume-Uni, S&D) a avancé l’idée que l’Union européenne devait profiter de cet accord pour combattre le trafic de stupéfiants dans la région. Une coopération Iran-UE pourrait également permettre de « diversifier les sources d’approvisionnement

énergétique » de l’Union comme l’a rappelé Nikolay Barekov (Bulgarie, ECR). Certains États comme l’Italie et la Grèce s’avèrent en effet particulièrement intéressés par la relance du projet Nabucco, gazoduc reliant l’Iran et les pays du Caucase du Sud à l’Europe centrale. Soutenu par l’Union européenne (UE), ce gazoduc devait permettre, dès 2017, de diversifier les sources d’approvisionnement énergétique de l’Europe, notamment d’un pays comme la Hongrie, qui dépend à 80 % du gaz russe. Les derniers événements en Ukraine n‘ont fait que renforcer encore la nécessité d’une telle diversification des sources d’approvisionnement énergétique.

Sauf qu’à l’heure actuelle, comme l’a fait remarquer Ioan Mircea Paşcu (Roumanie, S&D), l’Union européenne ignore encore « dans quelle mesure l’influence de l’Iran dans la région va s’étendre ou se restreindre suite au gain de respectabilité issu de l’accord de Vienne : l’Iran sera-t-il plus coopératif ou plus affirmatif ? ». L’Union va devoir faire « attention à ce que cette nouvelle coopération [entre l’Iran et l’UE et entre l’Iran et la communauté internationale] ne soit pas perçue comme une menace dans la région ». Ce qui semble loin d’être gagné. Ainsi, le député Jan Zahradil (République tchèque, ECR) a insisté sur « l’accueil méfiant » qui a déjà été réservé à l’accord par « les États du Proche-Orient et du Moyen-Orient ».

Cette méfiance remonte à la révolution iranienne de 1979 qui fût autant l’aboutissement d’un mouvement nationaliste contre l’ingérence des puissances étrangères (Russie, Royaume-Uni puis États-Unis) que le début de la volonté de l’Iran de se positionner comme puissance régionale et « gendarme » du Moyen-Orient. La révolution de 1979 a également signifié le basculement du pays vers un régime théocratique chiite, branche de l’Islam alors minoritaire dans la région mais dont l’Iran soutient depuis massivement la diffusion. Enfin, du point de vue historique les pays frontaliers de l’Iran craignent la résurgence de la puissance perse dont cet État s’est fait le dépositaire. Pour Eugen Freund (Autriche, S&D), l’Union européenne doit donc désormais réfléchir à « comment impliquer l’Iran dans la résolution des crises dans la région » malgré cette crainte des autres États d’une influence renforcée de Téhéran suite à l’accord de Vienne. Un des objectifs de la stabilisation de la situation au Moyen-Orient est évidemment de « réduire l’afflux de réfugiés » en Europe comme l’a fait remarquer Afzal Khan (Royaume-Uni, S&D).

 

Une absence de référence aux droits fondamentaux qui contrarie fortement les eurodéputés

L’absence de clause faisant référence au respect des droits fondamentaux dans l’accord de Vienne est un des principaux reproches qui ont pu être adressés par les députés à Mme Mogherini et à son équipe. Les députés ont ainsi été nombreux à rappeler les 2 000 exécutions de nature politique qui ont été recensées par Amnesty international en 2014, et les 700 exécutions ayant déjà eu lieu depuis janvier 2015. « L’Iran est une théocratie dure envers son opposition » et les exécutions politiques y sont monnaie courante a résumé Jan Zahradil (République tchèque, ECR). Et Jaromir Štětina (République tchèque, PPE) de rappeler que selon la loi en vigueur en Iran, les petites filles peuvent être mariées de force dès 9 ans.

De même, un reproche particulièrement acerbe a été adressé à Mme Mogherini de la part du député Juan Carlos Girauta Vidal (Espagne, ADLE) quant à l’absence totale de référence faite aux droits fondamentaux dans la conférence de presse que la Haute Représentante de l’Union a donné à Téhéran le 28 juillet suite à la conclusion de l’accord de Vienne. Pourtant, s’il est vrai que Mme Mogherini n’a pas fait mention des droits fondamentaux durant son intervention, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a pour sa part déclaré que « des discussions à haut niveau se tiendront entre l’Iran et l’Union européenne sur différentes questions, dont … les droits de l’Homme ».

La députée Ruža Tomašić (Croatie, ECR) a déploré que « l’attention sélective » dont l’Union européenne a fait preuve lors des négociations de l’accord de non-prolifération soit « incohérente » avec les valeurs fondamentales de l’Union et avec sa politique globale de protection des droits fondamentaux : « on cautionne les violences en Iran en échange de l’absence de l’arme nucléaire ». Un marchandage considéré par la majorité des députés comme indigne de l’Europe. « Rappelez-vous que danser, rire, c’est interdit en Iran » a résumé prosaïquement la députée Maite Pagazaurtundúa Ruiz (Espagne, ADLE).

 

Lauriane Lizé-Galabbé

 

 

Pour en savoir plus

     -. Pour avoir accès au document complet de l’accord signé par le Service Européen d’Action extérieur (EN)

http://eeas.europa.eu/iran/index_en.htm

     -. Pour une explication détaillée du contenu de l’accord de non-prolifération signé avec l’Iran le 25 août 2015 :

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/07/14/un-accord-sur-le-nucleaire-iranien-a-ete-trouve_4682310_3218.html

     -. Pour en savoir plus sur l’accord et la position des États-Unis

https://www.wsws.org/fr/articles/2015/jul2015/iran-j16.shtml

     -. Pour en savoir plus sur la violation des droits fondamentaux et la peine de mort en Iran

http://www.amnesty.fr/Presse/Communiques-de-presse/Forte-hausse-des-executions-en-Iran-pres-de-700-condamnes-mis-mort-depuis-le-debut-de-annee-15709

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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