L’action de FRONTEX : sécurité aux frontières et aides humanitaires sont-ils compatibles?

Le 15 septembre dernier, le directeur exécutif de Frontex, Fabrice Leggeri, a présenté devant la commission LIBE du Parlement Européen le rapport annuel sur l’application du règlement n°656 de 2014 qui établi les règles pour la surveillance des frontières maritimes extérieures de l’Union Européenne.

Frontex est l’agence européenne qui s’occupe de la gestion de la coopération entre les Etats membres aux frontières extérieures de l’UE et qui est responsable de la coordination des activités de garde-frontière pour le maintien de la sécurité européenne. L’agence est, en effet, responsable de la surveillance des frontières de l’Union européenne pour lutter contre la criminalité transfrontalière et pour empêcher le franchissement illégal des frontières.

Dans une période où la crise migratoire a mis à rude épreuve la politique européenne en matière d’asile et immigration, il est important de poser le regard sur l’action de Frontex qui agit pour la protection de la sécurité des frontières européennes. Mais son action est-elle à ce jour plus d’ordre sécuritaire, comme l’espèrent certains députés européens qui mettent souvent en relation immigration et menace terroriste, ou plutôt d’ordre humanitaire ?

L’action de Frontex dans la protection des frontières maritimes est régie par le règlement n°656 du Conseil et du Parlement européen du 15 mai 2014, substituant la décision 2010/252/UE. Ce règlement stipule que Frontex est l’agence européenne qui coordonne la politique de l’Union afin « d’assurer un contrôle efficace » des frontières, le but étant celui de lutter contre la criminalité transfrontalière et le franchissement non autorisé des frontières européennes. De plus le règlement veut que l’agence soit capable « d’appréhender les personnes ayant franchi irrégulièrement les frontières ou de prendre d’autres mesures à leur encontre ». Mais le règlement de 2014 ne se limite pas à la simple volonté de détection des tentatives de franchissement irrégulier des frontières et des mesures telles que l’interception des navires soupçonnés d’essayer d’entrer dans l’UE sans être contrôlés : il prévoit la coordination des Etats membres pour le sauvetage et la protection des victimes de la traite des êtres humains, des mineurs non-accompagnés et des personnes vulnérables et en détresse dans le respect des droits fondamentaux et le principe de solidarité.

L’action de l’agence Frontex est indispensable pour la coopération opérationnelle dans les cas de sauvetage en mer et d’urgence humanitaire. Elle doit donc se baser sur des principes tels que le respect de la dignité humaine, le droit à la vie, l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, l’interdiction de la traite des êtres humains, le droit à la liberté et à la sûreté, le droit à l’asile, le droit à la protection et à la non-discrimination. Mais l’agence Frontex doit principalement agir selon le principe de non-refoulement : conformément à ce dernier « nul ne devrait être débarqué, forcé à entrer, conduit dans un pays ou autrement remis aux autorités d’un pays où il existe, entre autres, un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture, à la persécution ou à d’autres traitements ou peines inhumains ou dégradants, ou dans lequel sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son orientation sexuelle, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, ou encore dans lequel il existe un risque sérieux d’expulsion, d’éloignement ou d’extradition vers un autre pays, en violation du principe de non-refoulement». Le règlement met en avant donc la sécurité en mer mais surtout le respect des droits fondamentaux.

Le rapport 2015. Le rapport présenté par Fabrice Leggeri à la commission LIBE le 15 septembre dernier met en avant l’application du règlement de 2014 par l’agence Frontex.

Le rapport est divisé en trois parties. La première décrit les amendements introduits au plan opérationnel pour l’amélioration de l’application du règlement tels que la révision des compétences du International Coordination Centre pour une meilleure coordination entre les Etats et la définition des modalités pour le débarquement des personnes interceptées ou secourues pendant une opération en mer. Cette dernière doit être effectuée par les différents Etats membres selon que l’embarcation interceptée est présente dans des eaux territoriales d’un pays, dans une zone contigüe ou en haute mer. La deuxième partie souligne les procédures mises en place par Frontex et ses actions possibles pour l’amélioration de la protection des droits de l’homme. Cette partie présente les différentes opérations conjointes effectuées et coordonnées par Frontex, dont l’opération Triton en Italie et l’opération Poseidon en Grèce qui ont suscité nombreuses questions de la part des députés lors de la réunion de LIBE du 15 septembre.

L’opération Triton a commencé le 1er Novembre 2014 et s’est conclue le 31 janvier 2015 : elle s’est déroulée dans les eaux autour des régions italiennes de la Sicile, de la Sardaigne, de la Calabre et des Pouilles et a interceptée des navires avec des personnes en situation de détresse provenant de Lybie. Cette opération s ‘est effectuée avec la collaboration de la Lybie mais aussi de la Croix Rouge, de Save the Children, du UNHCR, (l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés) et des Bureaux de l’immigration locaux avec le travail de traducteurs et du personnel assigné à la prise en charge des personnes secourues en mer. L’opération Poseidon a débuté le 1er Mai 2014 et s’est conclue le 31 Janvier 2015 : elle s’est déroulée autour des côtes grecques et turques.

Enfin la troisième partie fait une évaluation globale de l’application du règlement lors des opérations maritimes aux frontières extérieures. Selon le directeur exécutif de Frontex, l’application du règlement est tout à fait positive et a permis de mieux protéger et promouvoir les droits fondamentaux et surtout le principe de non-refoulement, ce qui constitue le principal résultat du rapport. De plus le rapport souligne que le Règlement a contribué à la clarification des rôles du Bureau National et du International Coordination Centre et a permis d’avoir une approche optimale envers les personnes interceptées en mer.

Fabrice Leggeri envisage la possibilité d’améliorer l’action de Frontex dans les rapports de l’agence avec les pays tiers. En effet, aucun cas de migrants débarquant dans les pays tiers n’a été constaté dans le rapport malgré l’existence de cette possibilité dans les accords de travail et de plans opérationnels avec ceux-ci.

Lors de la réunion de la commission LIBE du 15 septembre et de la présentation du rapport de la part de Fabrice Leggeri, nombreux députés se sont intéressés au travail de Frontex, vue la crise actuelle des réfugiés. Beaucoup d’entre eux, dont la députée et membre du GUE/NGL Barbara Spinelli, se sont préoccupés du financement des opérations de Frontex de la part des Etats membres : à cela Monsieur Leggeri a répondu que les contributions financières de la part des Etats ont été conséquentes mais que cela variait de pays à pays. Les offres ont permis de rehausser les capacités opérationnelles de Frontex : pour l’opération Triton, par exemple, le nombre des navires a augmenté de 6 à 18 unités, celui des gardes frontières a triplé tandis que le nombre d’hélicoptères a doublé. Tout cela grâce aux financements mis en place par les Etats membres

D’autres députés dont Juan Fernando López Aguilar du Groupe de l’alliance progressiste des Socialiste et des Démocrates, ont fait remarquer l’absence de coopération de la part de certains Etats Membres dans le cadre de l’action de Frontex, ce qui est la traduction d’un manque effectif de volonté politique. Cela a été contredit par le directeur de l’agence : tous les pays de l’espace Schengen ont participé au travail coordonné par l’agence. Certains pays ont été plus sollicités que d’autres à cause de leur position géographique comme, par exemple, l’Italie, la Grèce ou Malte mais cela dans le simple souci du respect du Droit International et du droit de la mer, étant donné que Frontex ne peut pas agir directement en tant que sujet juridique si ce n’est par le biais des autorités nationales. Par contre dans le cas de la procédure Rabit, un pays membres peut demander le lancement d’une opération avec la collaboration d’Équipes d’intervention rapide aux frontières, qui, si acceptée par Frontex, devient obligatoire pour les tous pays.

Mais les questions les plus récurrentes des députés concernaient les rapports et la collaboration de Frontex avec les pays tiers : le président de l’agence a souligné que le travail de celle-ci est notamment fondée sur les accords de travail avec des pays hors-UE. A l’heure actuelle il existe 17 accords de travail avec des pays tiers et 7 sont en cours de négociation. Ces accords se basent sur des priorités géographiques spécifiques de l’agence : la coopération se fait surtout avec les pays des Balkans occidentaux, la Turquie et les pays de la Méditerranée dont la Tunisie ou le Maroc.

Mais parmi les députés on peut distinguer deux positions à l’égard de l’agence européenne Frontex.

D’une part la députée espagnole Marina Albiol Guzman du GUE/GNL, a fortement critiqué Frontex qui selon elle « est le pire de l’Union européenne » et le véritable « échec » de l’UE : l’agence symbolise le rejet des migrants, les frontières, la non-solidarité et l’inhumanité. Le renforcement de l’action de Frontex serait pour elle « la pire des choses ». La députée s’est ensuite préoccupée de la coopération de l’agence avec un pays ne respectant pas les droits fondamentaux comme la Turquie et de l’action de Frontex dans le cadre du EUNAVFOR MED qui se traduirait donc par une action militaire et non par la coopération au développement. Ce dernier point a été démenti par Monsieur Leggeri qui a rappelé que l’agence ne donne aucun aide militaire dans le cadre de EUNAVFOR MED.

A l’opposé, la députée du Groupe EFD, Kristina Winberg, a soutenu une position beaucoup plus ferme envers les migrants : elle s’est préoccupé de ce que l’action de Frontex soit capable de limiter le travail des passeurs et surtout l’arrivée des djihadistes et des combattants sur le territoire européen. Cette préoccupation est le reflet des préoccupations de nombreux européens face à l’afflux des migrants en Europe qui s’est traduit en Pologne, en République Tchèque et en Slovaquie par des manifestations rassemblant des milliers de citoyens contre le système européen des quotas dont les immigrés font l’objet. Ces manifestations se sont révélées être souvent d’ordre anti-islamiques. Le rapprochement entre terrorisme et immigration a été affirmé par la présidente de Eurojust, Michèle Coninsx au début de juillet : « Les trafics de migrants à travers la Méditerranée sont infiltrés par l’Etat Islamique ». Cela a été par contre réfuté, lors d’une interview pour Euractiv, par le coordinateur européen pour la lutte au terrorisme, Gilles de Kerchove, qui affirme qu’aucun lien n’existe entre les deux phénomènes si ce n’est dans l’organisation, de la part des organisations terroristes, des trafics d’êtres humains partant des côtes libyennes.

L’agence Frontex alors se trouve entre deux feux de critiques contradictoires : ceux qui la critique en tant que symbole de l’anti-immigration et ceux qui prônent plus de fermeté de sa part afin d’améliorer la sécurité européenne.

Emilie Gronelli

Pour en savoir plus

     -. Règlement n°656 de 2014 (FR) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32014R0656 (EN) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:32014R0656

     -.Rapport Frontex http://frontex.europa.eu/assets/About_Frontex/Governance_documents/Sea_Surveillance/Sea_Surveillance_report_2014.pdf

     -. Réunion LIBE du 15 septembre 2015 http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20150915-1500-COMMITTEE-LIBE

     -. Article sur les déclarations de Michèle Coninsx http://www.express.be/joker/fr/platdujour/michele-coninsx-eurojust-les-trafics-dimmigrants-a-travers-la-mediterranee-sont-infiltrs-par-letat-islamique/214448.htm

     -. Interview à Gilles de Kerchovehttp://www.euractiv.fr/sections/justice-affaires-interieures/daesh-ou-al-qaida-nont-pas-besoin-de-faire-passer-des

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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