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La lutte contre la criminalité organisée : les institutions européennes entre immobilisme et nécessité d’agir (1/3)

Le phénomène de la criminalité organisée devient, de jour en jour, un défi majeur pour l’Union européenne puisque il « représente une menace pour les citoyens européens, les entreprises, les institutions gouvernementales et l’économie dans son ensemble ». Si c’est seulement à partir des années 90 que l’Union européenne a commencé à légiférer et à agir en matière de lutte contre la criminalité organisée, on se rend vite compte que la compétence dans ce domaine reste pour l’essentiel de ressort national et que les tentatives européennes d’harmoniser les moyens de lutte se sont heurtées à des grandes difficultés. Mais la criminalité organisée est devenu au fil du temps un phénomène transnational et international : selon le rapport de Europol de 2013, 70% des groupes appartenant au crime organisé sont dans leurs composition multinationaux. Le phénomène touche à plusieurs secteurs du crime tel que la traite des êtres humains, le trafic de drogue, d’armes ou d’organes, la corruption, le blanchissement d’argent ou encore le crime environnemental. L’action de l’Union européenne est donc essentielle. Mais comment l’Union européenne peut-elle concilier son action limitée en matière de lutte contre la criminalité organisée avec la nécessité d’agir afin de rendre cette lutte plus efficace et complète ?

La lutte contre la criminalité organisée a commencé à devenir un élément important au sein du travail des institutions européennes et, en particulier au sein du Conseil JAI, à partir des années 90. Les deux plans d’action pour la lutte contre la criminalité organisée adoptés en 1997 et 2000 en sont la preuve.

Au cours du travail européen en la matière, on s’est aperçu de l’importance de deux éléments qui permettait la création d’une politique commune et efficace de lutte contre la criminalité organisée : la définition juridique des activités relevant du crime organisé et la criminalisation de la participation à ces activités qui sont donc vues par le législateur comme criminelles. Ces deux éléments permettent de définir correctement le mandat des organes de coopération policière et judiciaire de l’UE, c’est-à-dire Europol crée en 2009 et Eurojust crée en 2002. Mais la définition de ces deux éléments et donc de la criminalité organisée, base pour toute action législative européenne, a été un réel obstacle dans le travail de l’Union européenne.

La décision-cadre 2008/841/JAI relative à la lutte contre la criminalité organisée est le premier acte européen à ériger en infraction pénale le fait de participer à une organisation criminelle. Cette décision-cadre fait suite au traité de Lisbonne signé en 2007 qui a permis le renforcement de l’action européenne en matière de coopération judiciaire et policière, et vise à harmoniser les législations des États membre en fixant les sanctions pour ce type d’infraction : une peine d’emprisonnement d’au moins 2 ans.

Mais ce qui est important dans cet acte législatif est que pour la première fois l’Union européenne donne la définition de « organisation criminelle », c’est-à-dire « une association structurée, établie dans le temps, de plus de deux personnes agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions punissables d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’un maximum d’au moins 4 ans ou d’une peine plus grave, pour en tirer, directement ou indirectement un avantage financier ou un autre avantage matériel ».

Cette définition a été souvent critiquée comme étant trop générale et pas assez précise. Selon Sonia Alfano, députée européenne de ALDE, présidente de la « commission CRIM » du Parlement européen : « La définition d’organisation criminelle est extrêmement générique et n’importe quelle forme d’association de plus de deux personnes finalisée à la réalisation de crime (…) est vue comme phénomène criminel organisé. De cette façon on se concentre sur punir les criminels qui s’organisent plutôt que les organisations criminelles et les mafias. Aujourd’hui est totalement ignoré le fait que il existe une compénétration entre politiciens, administrateurs, entrepreneurs et mafieux qui se mélangent dans les systèmes criminels. »

De plus cet acte législatif européen montre les limites de l’action européenne puisque la décision-cadre prévoit que les « États membres prennent les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions » : les États doivent alors transposer les obligations qui découlent de la décision-cadre dans leur législation nationale. Une action européenne commune à tous les États membres est alors loin d’être d’actualité.

Suite à cette décision-cadre, l’Union européenne a fait un pas en avant dans la lutte contre la criminalité organisée en proposant son adhésion au GRECO (Groupe d’États contre la corruption) et la création du COSI (Comité permanent de coopération opérationnelle en matière de sécurité intérieure) en 2010.

Sonia Alfano lancera ensuite la création, en 2012, de la commission CRIM. La commission spéciale du Parlement européen sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux, ayant un mandat d’un an, avait pour but de créer une stratégie permettant de lutter de façon efficace contre la criminalité organisée tout en faisant une analyse complète sur l’ampleur du phénomène en Europe et faire le point sur l’état actuel de la législation européenne.

Cette commission a mis terme à son travail en octobre 2013, avec l’approbation de la part du Parlement européen du rapport Iacolino, résultat du travail de cette commission.

Le rapport Iacolino préconise plus de cohérence entre les droits nationaux et une coopération policière et judiciaire renforcée dans tous les domaines visés par la criminalité organisée, tout en mettant en avant la transparence pour lutter contre la corruption, surtout en politique, et la confiscation des biens provenant du crime organisé.

Le rapport veut la mise en œuvre de certaines politiques européennes, notamment celles qui permettent :

  • La définition de criminalité organisée, de corruption et du blanchissement d’argent ;
  • L’abolition du secret bancaire ;
  • L’élimination des paradis fiscaux sur le territoire de l’Union européenne et de l’évasion fiscale. L’élimination de la traite des êtres humains et du travail forcé ;
  • Le renforcement de la lutte des crimes environnementaux et du trafic de drogues ;
  • L’introduction du principe de responsabilité juridique des entités juridiques ;
  • La criminalisation du « vote d’échange » qui favorise le rapport entre mafia et politique et le contrôle des appels d’offre publiques ;
  • L’introduction de normes homogènes européennes sur la protection de témoins, informateurs et collaborateurs de justice ;
  • Le renforcement de la collaboration entre les États par le biais d’agences européennes telles que Europol et Eurojust ou de l’activation du Procureur européen.

Suite à ce rapport l’Union européenne a essayé de renforcer la lutte contre la criminalité organisée surtout en visant certains éléments qui rentrent dans les activités des groupes criminels.

Par exemple le 25 février 2014, le Parlement européen et le Conseil ont adopté la directive concernant le gel et la confiscation des produits du crime dans l’Union européenne et qui vise à la création de règles commune en la matière. En effet elle permet aux États membres de « prendre les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits ou des biens dont la valeur correspond à celle de ces instruments ou produits, sous réserve d’une condamnation définitive pour une infraction pénale » afin de limiter les ressources et les avantages économiques du crime organisé.

La confiscation des biens est possible dans des cas de corruption, active ou passive, dans le secteur public ou privé, de participation à une organisation criminelle, de pédopornographie ou pour préserver la cybersécurité et la protections des données.

La confiscation et la gestion responsable des biens criminels constituent une partie très importante dans l’ensemble de la lutte contre les organisations. En premier lieux, cela permet de priver les organisations de leurs ressources économiques qui leur permettent d’étendre leurs réseaux non seulement dans les marchés illégaux mais aussi dans les secteurs légaux de l’économie et du commerce.

En plus, “la chose la plus grave qui peut se passer c’est qu’ un bien confisqué retombe dans les mains de la criminalité organisée ; cela constitue le signal que l’État est faible et qu’il n’est pas valide face à la société civile”, a expliqué Franco Ianniello dans son rapport .

Un autre exemple est le premier rapport anti-corruption de l’Union européenne présenté par la Commission en 2014. Le rapport met en lumière que la corruption touche de près l’UE puisque elle coûte 120 milliards d’euro à son économie et fait le point sur les dispositions nationales en vigueur dans les différents Etats membres. Encore une fois, on peut voir clairement qu’une réponse commune dans ce contexte est loin d’être trouvée. Le rapport vise donc à faire une simple mise au point sur la situation de la lutte contre la corruption dans chaque État membre et invite ces derniers à créer des mécanismes de contrôle et de prévention et des dispositions de droit pénal pour assurer des sanctions contre les criminels mais aussi à engager une responsabilisation du personnel politique et des partis pour éviter la concussion entre politiques et criminels.

Malgré le faible arsenal législatif au niveau européen en matière de lutte contre la criminalité, l’Union européenne a misé énormément sur l’action de coordination entre les États membres menée par les agences européennes : Europol, Eurojust mais aussi OLAF (l’Office anti-fraude). Si sur le papier l’action de chacune des agences est bien définie, souvent sur le terrain, la distinction institutionnelle se perd et la coopération entre-elles est souvent mise en lumière par les spécialistes. Mais un autre problème est posé : les relations entre les agences européennes et les services nationaux. Malgré une progression constante des dossiers confiés aux agences, il est visible qu’il y a souvent un manque d’échange entre niveau européen et niveau national.

Le manque de la présence active et législative de l’Union européenne est donc évidente : pas d’ action commune qui permettrait de combattre la criminalité transfrontalière et organisée de manière efficace.

Le vide laissé par les Institutions constitue un manque grave : “si c’est un homme qui marche courbé, il se tord le dos ; mais si c’est un peuple avec les Institutions communautaires [Conseil, Parlement et Commission] qui marchent courbés, alors c’est l’historie qui se plie” ont rappelé trois témoins de justice dans une intervention face aux euro-députés de la commission CRIM.

Non seulement les Institutions sont appelées à agir mais aussi la société civile dont le rôle semble être au cœur de la lutte contre la criminalité organisée. Cela a été démontré pendant la semaine européenne pour la lutte contre la criminalité organisée, mise en place entre le 16 et le 19 novembre dernier par l’association Culture Contre Camorra.

Lors de cette semaine trois propositions majeures sont d’ores et déjà ressorties:

  •  « Les institutions de l’Union européenne doivent sortir de leurs murs et être près des citoyens afin de montrer qu’elles soutiennent les gens honnêtes contre le crime organisé ; elles devraient ainsi tenir des réunions dans les lieux hautement symboliques où le crime organisé a été récemment défait ou bien au contraire résiste encore ;
  • Une priorité devrait être octroyée dans les financements de l’Union européenne aux structures (associations, coopératives, communes, etc.) qui gèrent des biens confisqués ou luttent contre le crime organisé afin de dédommager les citoyens qui ont subi ou subissent les effets du crime organisé ;
  • Afin de tenir sous contrôle le phénomène, d’échanger des bonnes pratiques et de pouvoir réagir immédiatement à toute menace, un réseau d’universités, centres de recherche et/ou de formation devrait être créé dans des lieux symboliques de la lutte contre le crime organisé comme Casal di Principe, Limbadi, Corleone, la Corse, Marseille, … ».

 

Emilie Gronelli

 

Pour en savoir plus

-. Article EU-Logos sur « La lutte contre la criminalité organisée : le rôle de la société civile européenne (2/3) » :
(à venir)

-. Article EU-Logos sur « La lutte contre la criminalité organisée : focus sur la traite d’êtres humains aux fins de l’exploitation sexuelle (3/3) » :
(à venir)

 -. Amandine Scherrer, Antoine Mégie et Valsamis Mitsilegas, « La stratégie de l’Union européenne contre la criminalité organisée : entre lacunes et inquiétudes », Cultures & Conflits [En ligne], 74 | été 2009, mis en ligne le 28 octobre 2010, consulté le 03 janvier 2013. URL : http://conflits.revues.org/17442

 -. Rapport de la commission CRIM
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A7-2013-0307+0+DOC+XML+V0//FR

-. Décision-cadre 2008/841/JAI du Conseil du 24 octobre 2008
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:jl0011

-. Rapport Europol SOCTA 2013
https://www.europol.europa.eu/sites/default/files/publications/socta2013.pdf,

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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