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Le discours eurosceptique en 2016 !

Le programme de travail de Eulogos pour l’année qui vient est de présenter de façon plus juste, d’analyser de façon plus pertinente, les discours eurosceptiques, europhobes et populistes : entendre, comprendre et répondre ! C’est le mot d’ordre que lance Eulogos pour combattre ce type de discours. C’est parce qu’on ne dit rien que les autres se permettent tout. Il faut hausser le son ! démonter cette rhétorique.

Mais, avant toute chose, il faut présenter une vision de l’Europe mobilisatrice, comme vient de le faire de façon si talentueuse, pour son pays, Angela Merkel, le 14 décembre, devant le Congrès de son parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU). Il n’est pas nécessaire de la paraphraser, simplement rapporter ses propos : elle souhaite un pays « ouvert, curieux, tolérant, passionnant, possédant une forte identité (…) qui voie aussi le monde avec les yeux des autres, qui aide les personnes en situation de détresse qui, confiant en ses capacités, apporte sa contribution à la sécurité, à la paix et qui contribue à ce que la mondialisation puisse être gérée de façon juste ». Que l’Europe puisse montrer que, sous sa gouverne, elle est capable de relever ce défi comme elle a su le faire pour renaître des décombres de 1945.

La force des eurosceptiques et europhobes est d’adosser leurs propositions sur une conception du monde, fausse mais cohérente. La façon dont le débat sur l’Europe est mené contribue à donner l’impression que tous les Européens parlent comme les europhobes et les eurosceptiques : ces derniers ont d’abord imposé leur vocabulaire, leur thématique car les pro-européens ont cessé de se battre sur les mots et pour les mots.

À ce stade, nous n’avons pas d’autre ambition que d’engager le débat et d’y faire participer le plus grand nombre des personnes. L’analyse de la rhétorique antieuropéenne prend tout son sens et c’est à cela qu’appelle Eulogos. Les bons scores des eurosceptiques, europhobes et populistes marquent d’abord l’échec des stratégies de diabolisation et de dénigrement, qui restent sans effet : chômage, ras-le-bol fiscal, bouleversements géopolitiques aux portes de l’Europe et attentats islamistes n’expliquent pas tout. Plus grave, le doute s’est installé sur la capacité des forces politiques, sociales culturelles, religieuses… traditionnelles à entendre les citoyens. On inquiète sans réellement informer.

C’est à ce stade qu’intervient notre volonté de jouer sur cette rhétorique qui varie d’un pays à l’autre, d’un parti à un autre, d’un groupe à un autre. Il faut commencer par analyser ces rhétoriques pour pouvoir ensuite y faire face : « entendre, comprendre répondre », c’est le triptyque imaginé par une jeune universitaire, Amélie Ancelle, qui a étudié le phénomène pour la France et pour deux cas, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon. Son travail universitaire constitue le point de départ de notre réflexion et l’embryon d’une méthodologie à mettre en œuvre après son approfondissement .

« La rhétorique, nous dit-elle, est un élément majeur dans la vie politique d’aujourd’hui, malgré la connotation péjorative qu’elle revêt. C’est la parole qui crée le lien entre le politique et le citoyen, instaure la confiance et laisse parfois place à la manipulation. L’Union européenne n’échappe pas à la règle. Les résultats des élections de mai 2014 ont vu nombre de partis eurosceptiques tenir le haut du pavé, la France en tête. Les deux candidats français qui regroupent les qualificatifs d’eurosceptiques et de rhéteurs sont les deux extrêmes de l’échiquier politique : Marine Le Pen au Front National, Jean-Luc Mélenchon au Front de Gauche. Ils manient les mots avec précision, savent se mettre en scène et parviennent à retourner les valeurs européennes contre l’UE elle-même.

Avant d’étudier les discours comme constructions politiques, c’est leur étude en tant que constructions et performances rhétoriques qui permet de mettre en exergue les caractéristiques du discours eurosceptique. Le travail de l’image, de la personnalité et de la construction d’un système de valeurs en creux par rapport à l’UE sont autant de moyens de créer du lien avec la foule, un sentiment de proximité face à l’austérité institutionnelle. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon dépassent le cadre politique pour se diriger vers la sphère émotionnelle. Dès lors, la réflexion purement politique et rationnelle n’est plus – elle devient hybride. Ce n’est plus à la logique qu’il est fait appel, mais à des sentiments : la peur et le ressentiment pour le Front National, l’indignation pour le Front de Gauche. Si la volonté de montrer l’UE comme porteuse de valeurs incompatibles avec les idéaux universels se retrouve chez les deux candidats, leurs effets produits sur l’auditoire sont radicalement différents : l’une fait régner la prostration, l’autre l’incitation à l’action. Au vu des résultats des élections et de la crise politique que traverse depuis lors l’Union, déceler les ressorts de l’Euroscepticisme pour lui opposer plus efficacement une réponse s’avère crucial.

Autant qu’il peut être une menace, le langage peut tout autant être une source de réconfort, d’espoir et de bataille face à une tendance qui prend de l’ampleur, en France comme ailleurs. C’est pourquoi se donner les armes pour l’étudier, c’est se donner la capacité de mieux comprendre un phénomène et de mieux y répondre. Comment cela peut-il prendre forme du point de vue de la réponse politique ?

Bien sûr, la réponse qui vient immédiatement à l’esprit, c’est la réponse éducative. La République forme ses citoyens à la culture commune ; aujourd’hui, celle-ci dépasse les frontières françaises. C’est la première mesure politique qui puisse être prise rapidement et impacter directement la population et les futurs citoyens. Sensibiliser la jeunesse à l’Europe, c’est lui montrer que l’UE, c’est certes Erasmus, mais plus encore ; c’est regarder vers le futur. Les interventions dans les écoles devraient se multiplier : professionnels, intellectuels, même fonctionnaires européens doivent venir incarner cette réalité, et pas seulement dans les écoles d’élites. Organiser si possible des visites des institutions, ou au moins dédier une partie du programme à l’Union européenne en tant que réalité, en tant que construction politique inédite et pleine de possibilités – voilà comment éveiller les consciences. Simplement mentionner des dates, privées de toute incarnation dans un contexte global, c’est conforter les esprits dans l’idée que l’UE n’est qu’une construction abstraite qui se résume à des signatures de traités et à la possibilité de passer un an à l’étranger.

Les politiques doivent donc travailler à une réponse complexe face aux attaques eurosceptiques, et cela implique leur attitude même. Aussi étrange que cela puisse paraître c’est peut-être d’abord une réponse humaine qu’il leur faut apporter. Les sentiments créés par les Eurosceptiques ne peuvent être ignorés, et font parfois une impression bien plus forte qu’un discours raisonné. Cette réponse humaine ne doit cependant pas être teintée d’arguments politiques. L’honnêteté intellectuelle oblige à mélanger le moins possible les registres : l’émotion reste l’émotion, l’argumentaire politique reste l’argumentaire politique. Au ressentiment, il faut opposer les grands moments de communion de l’Union européenne, qui passe malheureusement bien plus souvent dans les moments de drames et de deuils. Il faut opposer la force de l’union à l’isolement du prostré. La première réponse aux maux inquiétants et inquiets des eurosceptiques, ce sont les mots rassurants et motivés des porteurs de l’Europe.

Maintenant, les mots ne suffisent pas pour convaincre en politique ; des actions totalement incarnées dans la sphère de la chose publique peuvent tout à fait créer, implicitement, des sentiments positifs chez les citoyens. La première découle directement du besoin de réponse humaine : mêler sentiments et politique européenne ne fait pas bon ménage. Il faut, certes, rassurer les citoyens en s’octroyant des temps de communion sur un socle de valeurs et d’idéaux européens communs. Mais il faut surtout se dégager de la tendance à faire de l’Union européenne le parfait bouc émissaire ; les Eurosceptiques ne sont pas les seuls à blâmer dans ce cas. En effet, accuser l’Europe dès qu’un élément de la politique nationale ne fonctionne pas permet peut-être de se dédouaner et de retrouver un certain crédit auprès des électeurs, mais c’est surtout faire le jeu des détracteurs de l’Europe. En effet, comment comprendre que l’on souhaite s’investir de plus en plus dans une Europe qui semble pourtant être la cause des problèmes économiques, financiers, politiques et migratoires de l’État ? Les dirigeants politiques doivent commencer à penser ensemble, globalement, et pas uniquement à l’intérieur de leurs frontières. Il faut écarter l’image de menace que représente l’UE dans beaucoup trop d’esprits, y compris parfois même dans ceux des dirigeants. Sans quoi ces derniers fourniront sans cesse du grain à moudre aux Eurosceptiques, et continueront à se saborder.

À l’attitude des dirigeants s’ajoute le besoin de dépasser une certaine pudeur dans la représentation officielle de l’Europe au sein du gouvernement. Pour lors, le Secrétaire d’État aux Affaires européennes, Monsieur Harlem Désir, n’a qu’une moindre visibilité, autant auprès de ses collègues qu’auprès des citoyens. Dans l’ombre du ministre des Affaires étrangères, il est relégué au second rang. Comme si l’Union ne faisait certes pas partie de l’étranger, mais surtout comme si les relations qui unissaient le gouvernement à l’Europe étaient moindres, comparées à ce qu’offre le reste du monde. Pour preuve, le Secrétaire d’État n’est presque jamais cité dans les discours de Madame Le Pen ou de Monsieur Mélenchon, excepté pour souligner son absence et le manque de visibilité de résultats et d’activité. Encore une fois, c’est donner là des arguments aux Eurosceptiques qui n’ont même pas besoin de les fabriquer : « regardez, même au sein du gouvernement, l’Europe occupe une place mineure, effacée. Pourquoi nous embarrasser à y rester, l’État pourrait faire là des économies ». Or, c’est précisément en donnant un rôle plus important à la personne en charge des affaires européennes que non seulement le sens et l’intérêt du projet européen vont se faire plus grand, mais c’est aussi la crédibilité de cette implication et de ces investissements qui vont en ressortir. Et la crédibilité permet, entre autres, de combattre le doute et le ressentiment.

Le discours eurosceptique français n’a rien inventé. Les procédés rhétoriques sont vieux de plus de deux mille ans, leurs arguments sont presque tous des détournements d’attitudes de personnalités politiques impliquées dans l’Europe. Là où réside la difficulté, c’est dans la manière de combattre ce discours : le combat rhétorique nécessite une éternelle réinvention, appelle une dynamique créatrice. Sortir de sa zone de confort, c’est prendre par surprise les Eurosceptiques, et fragiliser leur argumentaire qui repose sur des idées et valeurs ancrées dans les esprits. Cela doit nécessairement passer par le changement de paradigme et la prise de décisions originales. Prendre à la légère les discours eurosceptiques et ne leur opposer que moquerie et dénigrement, ce n’est pas s’attaquer au fond du problème. C’est un combat permanent, qui nécessite prise de conscience et courage. Sans quoi la vague anti-Europe risque de faire chavirer plus d’un navire qui se croit insubmersible. ».

 

Voilà les premiers éléments que nous fournit Amélie Ancelle pour notre réflexion. Ils doivent être approfondis, complétés, diversifiés. Les exemples concrets doivent être multipliés. C’est ce à quoi nous vous invitons. Mais ce travail de recensement et d’analyse ne se suffit pas à lui-même ; il doit être suivi d’un travail de réplique, de contestation, de réfutation, et cela au jour le jour. C’est un travail de grande ampleur, permanent, exigeant. Personne n’a le monopole de l’entreprise et encore moins sa propriété, mais il faut bien que quelqu’un commence et donne le coup d’envoi.

Réagissez, proposez. Coalisons nos efforts, mutualisons nos moyens. La patrie européenne est en danger !

N’hésitez pas à demander le travail de recherche de Amélie Ancelle (Amelie.Ancelle@gmail.com)

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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