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Lutte contre les discours haineux : le nouveau code de conduite de la Commission

Qu’il s’agisse d’incitations à la haine, de propagande terroriste, de discours d’extrême droite, Internet est devenu, en peu de temps, l’outil privilégié pour la propagation de ce genre de propos, pourtant très souvent illicites. S’il peut être parfois difficile de lutter contre ces pratiques de plus en plus répandues, la Commission européenne avait déjà préparé le travail sur ce thème à la suite du colloque « Tolérance et respect : prévention et lutte contre la haine antisémite et islamophobe en Europe » en mars dernier. S’en était alors suivi le forum Internet de l’Union européenne en décembre 2015 où il était avant tout question de la protection du public contre la propagation des contenus à caractère terroriste et contre l’exploitation des moyens de communication pour faciliter et organiser les activités terroristes. C’est alors qu’après de nombreuses discussions avec des entreprises des technologies de l’informatique, la Commission a été en mesure de présenter, le 31 mai dernier, un nouveau code de conduite à destination de ces entreprises, en vue de lutter plus efficacement contre les discours haineux que l’on peut retrouver sur la Toile.

Ce nouveau document, comprenant un véritablement engagement pour lutter contre la diffusion en ligne de discours de haine illégaux en Europe a été accueilli favorablement par les géants du web. La Commission européenne a d’ailleurs rendu public ce nouveau code de conduite avec l’appui de Facebook, Twitter, Youtube et Microsoft.

Malheureusement, comme communiquer sur internet est devenu tellement facile, nous assistons rapidement à un effet boule de neige lorsqu’il s’agit de diffuser des propos haineux. Si de nombreux internautes se cachent derrière une pseudo liberté d’expression pour produire toutes sortes de propos haineux, il est important d’être en mesure de lutter plus efficacement contre ces phénomènes difficilement contrôlables. Il était donc très important que les entreprises des technologies de l’information soit en première ligne pour coopérer en vue de supprimer les moindres paroles incitant à la haine de leurs plateformes en ligne.

La prise de conscience de la prolifération de l’incitation à la haine sur internet n’a cessé d’accroître. Le problème est que, si des lois existent, il est très difficile de les faire respecter dans ce domaine où l’information circule virtuellement. Des mesures ont déjà été prises au niveau national, que cela soit fait par des particuliers ou par les autorités nationales. Nous pouvons par exemple citer la Belgique, où une application tenue par des bénévoles et des juristes nommée Kif Kif a pu permettre aux internautes de dénoncer des messages haineux ou racistes, même si elle a été controversée. Nous retrouvons un autre exemple en France où le gouvernement a mis en place un site internet où il est possible de signaler un contenu illicite comme de la pédophilie, l’incitation à la violence ou à la haine, etc.

Ce sont des outils utiles où toute la société peut contribuer à l’arrêt de la prolifération de ce phénomène, mais cela ne suffit pas. Il est nécessaire que les entreprises des technologies de l’information, et en particulière les réseaux sociaux, mettent en œuvre des moyen de contrôle et de suppression des discours haineux en ligne, c’est pour cela que la Commission a décidé d’établir un code de conduite à adopter par ces entreprises pour être en mesure de lutter efficacement contre la propagation virale de ce genre de diffusion en ligne.

S’il est important de promouvoir la liberté d’expression en ligne, il ne faut pas que cela se fasse à n’importe quel prix, au détriment des minorités, et sans respecter les lois protégeant la liberté, la tolérance, et la non-discrimination au sein d’un État de droit. La liberté ne signifie pas que tout est permis. La Cour européenne des droits de l’homme a elle même consacré ce principe depuis son arrêt de 1976, Handyside c. Royaume-Uni, par la formule suivante « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels [d’une] société [démocratique], l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10 [de la Convention européenne des droits de l’homme], elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique » ». De fait, à cela la Cour de Strasbourg a ajouté, dans son arrêt Erbakan c. Turquie, que des restrictions étaient possible, notamment car « la tolérance et le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains constituent le fondement d’une société démocratique et pluraliste. Il en résulte qu’en principe on peut juger nécessaire, dans les sociétés démocratiques, de sanctionner, voire de prévenir, toutes les formes d’expression qui propagent, incitent , promeuvent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance (…), si l’on veille à ce que les formalités, restrictions ou sanctions imposées soient proportionnées au but légitime poursuivi ».

Il convient également d’ajouter, comme a pu l’affirmer la Commission européenne elle-même, qu’un tel code de conduite est un moyen d’aider à la lutte contre les discours haineux, mais pour véritablement éviter une prolifération de tels propos, il est également nécessaire que tous les États prennent leurs responsabilités en transposant et en appliquant dans leurs ordres juridiques nationaux la décision-cadre du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal. Il est nécessaire que de tels actes soient incriminés pour les combattre au mieux et cela est impossible sans un système juridique solide mettant en œuvre de véritables sanctions pénales envers les auteurs de tels propos.

Évidemment, cette législation doit être complétée par les actions des entreprises visant à permettre un signalement des discours à caractère haineux, ainsi que des examens rapides afin de permettre la suppression d’un contenu inapproprié.

Il va sans dire que dans le contexte actuel où l’Europe connaît la plus important menace terroriste de son histoire, ces outils sont plus que jamais nécessaires car internet est le relais privilégié des organismes terroristes et lutter contre les discours haineux contribue également à la lutte contre la radicalisation. La commissaire Vera Jourova a elle même déclaré que « les récentes attaques terroristes nous rappellent à quel point il est urgent de lutter contre les discours de haine en ligne. Les médias sociaux font malheureusement partie des moyens utilisés par les groupes terroristes pour radicaliser les jeunes, et par les racistes pour répandre la violence et la haine. L’accord conclu constitue une avancée importante pour qu’Internet reste un lieu d’expression libre et démocratique, dans lequel les valeurs et les législations européennes sont respectées ».

Chaque entreprise signataire de ce nouveau code de conduite s’engage à prendre les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre les propos incitant à la haine et leur propagation. Le but est de former le personnel pour qu’ils soient en mesure de faire face à ce phénomène, notamment en étant capable de gérer les signalements en moins de 24 heures afin de supprimer le contenu s’il est jugé illicite. Le but est d’orienter les activités des entreprises pour qu’elles soient toutes à même de partager des bonnes pratiques et d’endiguer ce phénomène.

A travers le code de conduite, la Commission a défini des engagements précis qui devront être respectés et mis en œuvre par les entreprises signataires, les États membres et la Commission elle-même. Parmi ces engagements, nous pouvons retrouver les suivants :

  • La mise en place de procédures d’examen claires lors de signalement de discours d’incitation à la haine diffusés à travers leurs services afin d’agir rapidement en vue de retirer le contenu inapproprié ou d’en bloquer l’accès.
  • L’examen des signalements doit se faire en suivant leurs propres règles, tout en prenant en compte la décision-cadre de 2008 et, si nécessaire, en confiant ces examens à des équipes compétentes.
  • L’examen des signalements doit se faire au cours des 24 heures.
  • Les entreprises signataires doivent aussi participer à la sensibilisation de leurs internautes contre l’incitation à la haine et à la violence, tout en indiquant clairement les moyens de signalement disponibles.
  • Les entreprises s’engagent à développer des partenariats avec des OSC (Open Sound Control) permettant un échange d’information rapide afin que les signalements proviennent principalement d’experts, en vue de créer des sortes de « rapporteurs de confiance » indépendant et crédible. Les États membres et la Commission doivent soutenir les entreprises dans cette démarche.
  • Le personnel des entreprises doit régulièrement être formé aux évolutions actuelles de la société.
  • Les entreprises doivent coopérer entre elles pour propager ces bonnes pratiques au sein de tous les médias sociaux, en vue d’obtenir l’adhésion de nouvelles entreprises.
  • Les entreprises des technologies de l’information, la Commission et les États membres s’engagent à poursuivre les travaux dans le domaine de la lutte contre l’incitation à la haine et à la violence en ligne, notamment en faisant la promotion de contre-discours et en soutenant les programmes éducatifs qui encouragent l’esprit critique.

La Commission a précisé qu’il y aurait régulièrement des évaluations de la société pour constater des effets de tels engagements sur la durée. Le but est alors d’être en mesure de faire le point d’ici la fin de l’année 2016, et ce, en coopération avec des groupes d’experts dans la lutte contre les phénomènes racistes, homophobes, ou toute autre forme d’intolérance.

Malgré le but légitime de ce nouveau code de conduite et la participation active des géants du web, il est tout de même notable de prendre en compte les différentes critiques à son égard. En effet, les organisations European Digital Right (EDRi) et Access Now, qui font la promotion de la liberté online, ont fortement critiqué ce projet en signalant qu’il s’agissait d’un résultat lamentable sans possibilité d’y apporter une quelconque contribution, ce qui a obligé les associations à se retirer du forum de discussion européen sur Internet, en protestation d’un tel projet. Elles estiment que la Commission ne prend pas les mesures nécessaires pour combattre un tel fléau. Cela ne doit pas être suffisant de demander aux entreprises de bloquer le contenu illicite, il faut de véritable moyen pour poursuivre les auteurs de tels propos haineux. Et elles ajoutent qu’en plus de cela, un tel accord entre la Commission et seulement quelques entreprises est susceptible de violer la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne puisqu’une telle restriction à un droit fondamental doit être prévu par la loi, comme le prévoit également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme précédemment citée. S’il est nécessaire de lutter efficacement contre la prolifération des propos haineux sur Internet, il faut le faire en toute transparence et en respectant les droits fondamentaux des individus, ce que ce nouveau code de conduite ne respecte pas, selon ces organisations de protection des droits et libertés numériques des internautes.

Marie Brun

 

Pour en savoir plus :

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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