Le travail: facteur d’intégration majeur pour les réfugiés

Les sociétés européennes modernes ont tendance au renfermement sur elles-mêmes et à concevoir l’arrivant comme un intrus; souvent le résultat d’une peur alimentée par les images et les discours de crise relayés par les médias. Dans un contexte politique et économique souvent tendu, un préjugé très présent est que celui qui arrive est de trop dans des pays déjà touchés par de forts taux de chômage. L’étranger « vole » alors le travail et l’activité du local. L’économie et le marché du travail n’ont cependant pas un nombre limité de places; ce qu’une personne prend contribue à créer de l’activité pour une autre. Il y a donc une nécessité de déconstruire certains mythes et revenir à une logique de solidarité et de prise en compte de l’humain, pour éviter de tomber dans des réactions extrêmes et dans la construction de sociétés intolérantes et rongées par la discrimination et la xénophobie.

Selon les chiffres d’Eurostat, en 2015, 1,3 millions de personnes ont demandé l’asile dans un pays de l’Union européenne, statistique la plus haute depuis 70 ans. Il existe un consensus sur le fait que la manière et le temps que mettent les réfugiés pour s’intégrer sur le marché du travail auront un impact déterminant à long terme sur l’économie européenne. Selon une définition recueillie dans un dossier du Parlement européen, un travailleur étranger est considéré comme intégré dans le marché du travail si sa rémunération est égale à celle d’un travailleur natif du pays, avec des caractéristiques similaires (âge, sexe, niveau d’éducation…)[1]. La présente étude se concentrera sur le cas des demandeurs d’asile mais surtout sur les personnes titulaires du statut de réfugiés, c’est-à-dire toute personne ayant obtenu la protection d’un pays de réception car « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques »[2] dans son pays d’origine. Au-delà de la simple intégration au marché du travail, cet article se penche sur l’importance du travail pour l’intégration sociale d’un individu et son assimilation à la société européenne.

 

Un intérêt mutuel

 

Recevoir de la main d’œuvre internationale sur le moyen ou long terme est une problématique clé pour l’avenir de l’Union européenne. À l’échelle continentale, plusieurs facteurs économiques rendent capital de mieux appréhender cet aspect d’intégration: les défis démographiques, le maintien d’une compétitivité européenne sur la scène mondiale, une croissance stable ainsi que la survie des systèmes de santé. D’après les prévisions disponibles, on peut déduire que l’immigration va jouer un rôle majeur pour combler les besoins du marché européen du travail. Dimitri Avramopoulos, commissaire européen pour la migration, les affaires intérieures et la citoyenneté, a déclaré, à propos de l’intégration, que celle-ci est « essentielle si nous voulons que l’immigration profite à notre économie et à la cohésion de notre société (…) nous devons mieux préparer nos systèmes à faire face aux pénuries de main d’œuvre et de compétences à l’avenir».

Quand le simple postulat d’acceptation de l’autre et de solidarité n’est plus suffisant, il faut rappeler que l’intégration des personnes réfugiées, légalement résidantes sur le territoire, est un intérêt mutuel. Évidemment, pour eux, c’est une question de survie, mais c’est également vital pour le territoire d’accueil. L’agenda 2030 du développement durable, adopté en 2015 par les Nations Unies, reconnaît d’ailleurs la contribution positive des migrants à une croissance inclusive et pour le développement durable. En effet, sur le long terme, la « non-intégration » représente un coût plus important que la mise en place de politiques d’intégration cohérentes et efficaces. Dans un rapport publié par l’ONG américaine Tent, « Refugees Work : A Humanitarian Investment that Yields Economic Dividends » montre qu’en investissant un euro dans l’accueil des réfugiés, dans les cinq années qui suivent, il sera multiplié par deux. Au sujet de l’intégration des réfugiés par le biais de l’emploi, Véronique Willems, secrétaire générale de l’UEAPME (Union Européenne de l’Artisanat et des Petites et Moyennes Entreprises) a notamment déclaré: «La migration en Europe est un fait. L’intégration est une nécessité pour la société et l’économie ».

En 2016, dans son rapport annuel sur l’évolution de l’emploi et de la situation sociale en Europe (ESDE), la Commission européenne (CE) s’était déjà penchée sur l’intérêt de l’intégration des réfugiés sur le marché du travail. Ce rapport tire les conclusions des dernières évolutions dans le domaine social et de l’emploi, et cherche à déterminer les défis majeurs pour l’avenir afin d’apporter des pistes de réponses, comme base pour le travail de la Commission. Selon ce dernier, la situation des réfugiés en matière d’insertion sur le marché du travail se serait améliorée depuis 2014. Les chiffres varient selon certains critères et indiquent que le taux d’emploi des réfugiés hautement qualifiés est beaucoup plus élevé (70%) que pour ceux avec un niveau d’instruction plus modeste (45%). Au moins un cinquième des réfugiés sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur et n’arrivent pas sur le territoire sans la moindre éducation. Ils peuvent même représenter une réelle valeur ajoutée pour les pays d’accueil. Dans les postes qu’ils occupent, ils sont cependant en moyenne plus éduqués qu’un natif comparable avec le même poste, leurs compétences ne sont donc pas pertinemment exploitées. Du coté des études menées pour le Parlement européen, les résultats de recherches démontrent que, pour la plupart des pays, les migrants ne s’intègrent que difficilement, reçoivent des salaires moins élevés et subissent plus de chômage que des personnes locales avec des profils similaires. Ces écarts s’atténuent néanmoins au fil des années passées dans le pays d’accueil.

Les migrants ayant obtenu le statut de réfugié ont, au même titre que les autres citoyens du pays d’accueil, le droit et le besoin de travailler. Certains d’entre eux possèdent des diplômes et des compétences qui pourraient bénéficier à la société, mais qu’ils ont du mal à faire valoir aux yeux des employeurs, ce qui a pour effet qu’un nombre important d’entre eux acceptent des postes déqualifiés. Ceci est une perte pour l’économie. Il peut être tentant de considérer ces personnes comme privilégiées d’avoir tout de même décroché un travail. Cependant, ces emplois n’incluent pas les réfugiés à la société, et les contraignent à stagner dans un environnement précaire, dans lequel ils n’apprendront pas la langue et resteront cloitrés au sein de leur communauté : l’opposé exact d’une logique d’intégration. Il faut rappeler que les réfugiés ont tendance à être fortement confrontés à l’exclusion; cela renforce leur marginalisation et finalement, participe à l’entretien des préjugés qui nourrissent le racisme et la xénophobie.

 

Approche sociologique

 

La reprise d’une activité salariale contribue à la reconstruction d’une identité à travers une occupation, un projet, une participation active à la vie de la société. Cet engagement sociétal est indispensable à la création d’un sentiment d’appartenance à la communauté du pays d’accueil et un enjeu clé pour des personnes déracinées et exilées en quête d’hospitalité, d’assistance et d’acceptation, qui font souvent face au rejet et à la discrimination. Le travail est un moyen de valorisation de l’individu, un moyen de légitimer sa présence sur un territoire et démontrer son intérêt pour la communauté qu’il intègre, mais réciproquement l’intérêt qu’il peut représenter pour celle-ci en participant au système économique. Alexandra Felder, sociologue spécialiste des questions de parcours migratoires, présente l’activité salariale comme « un moyen de lutter contre l’image   dévalorisante   du   ‘parasite’   ou   du   ‘hors norme’, par la participation active à la construction des richesses de la société ». Le travail offre l’opportunité de s’émanciper de leur seul statut de demandeur d’asile, de réfugié, de migrant ou de « parasite », et de se redéfinir une identité propre, se projeter dans le futur et s’insérer dans un nouveau cadre de citoyenneté européenne. Pour la plupart, ce n’est pas un statut qu’ils aspirent à garder sur le long terme, la majorité d’entre eux espèrent rejoindre leur pays d’origine dès qu’ils seront en moyen de le faire ou que la situation sur place le leur permettra. Il s’agit de redonner à ces hommes et ces femmes qui ont subi l’exil forcé, une dynamique d’action et de prise en main de leur existence.

 

Maitrise de la langue indispensable

 

La maitrise de la langue du pays d’accueil joue un rôle majeur dans l’intégration, c’est un élément déterminant dans la recherche de travail. En ce sens, il est évident que tous les arrivants ne sont pas égaux, certains maitrisant déjà la langue du pays d’accueil, d’autres se voyant obligés d’apprendre une langue qui leur est complètement étrangère. L’apprentissage de celle-ci est cependant capital pour leur insertion professionnelle. En effet, toujours selon les informations recueillies pour le rapport ESDE, les réfugiés qui ont un niveau intermédiaire dans la langue du pays d’accueil ont un taux d’emploi de 59%, contre 27% pour ceux ayant un niveau plus bas, soit du simple au double. Il a également été prouvé que plus l’apprentissage de la langue est précoce, plus l’insertion sur le marché du travail se fait rapidement. Se pose alors la question de démarrer l’apprentissage de la langue du pays d’accueil dès la période de traitement de la demande d’asile pour ceux pratiquement sûrs d’obtenir le statut de réfugié.

 

Initiatives institutionnelles

 

Gérer les migrations mais surtout les migrants déjà présents sur place, représente un enjeu majeur pour l’UE, actuellement et pour l’avenir. Des efforts en matière d’accueil ou de sécurité aux frontières sont encore à faire, mais un accent a tout de même été mis ces dernières années sur l’intégration et l’assimilation, termes clés des discours des institutions européennes. Les politiques d’intégration relèvent principalement des compétences des États membres, cependant les similarités dans les défis qu’ils doivent relever impliquent une intervention financière et structurelle de l’UE.

 

L’outil européen de profilage des compétences et le Fonds pour l’intégration

 

Selon les recommandations faites par une étude de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement Européen publiée en 2015[3], l’intégration des migrants non-économiques doit être activement soutenue. L’une des manières pour ce faire est de mieux définir leurs compétences, qualifications et expériences, ainsi que de faciliter les changements de statut migratoire. La reconnaissance et l’équivalence des diplômes obtenus dans des pays tiers doit aussi être améliorée. Dans le cadre de la stratégie de l’Union européenne en matière de compétence pour l’Europe présentée en 2016, la Commission Européenne (CE) a proposé un plan d’action sur l’intégration à l’attention des États membres, pour « poursuivre le développement et le renforcement de leurs politiques nationales d’intégration à l’intention des ressortissants de pays tiers »[4]: l’outil européen de profilage des compétences. Cet outil web, comme une sorte de CV,  permettra aux ressortissants de pays tiers de présenter au mieux leurs qualités et expériences, pour avoir une meilleure visibilité aux yeux des prestataires d’enseignement et des organisations travaillant avec les migrants, en étant également plus attractif pour les employeurs. Il s’adresse à tous sans distinction de niveau d’éducation. L’outil européen de profilage des compétences est dans la continuité du plan d’action pour l’intégration des ressortissants de pays tiers, initié par la Commission en 2016 pour accompagner les États membres en vue de mieux appréhender l’intégration des quelque 20 millions de ressortissants de pays tiers présents légalement sur le territoire européen. La CE a également lancé en 2017 le programme «Employers together for integration», avec pour objectif d’encourager plus d’initiatives du côté des employeurs en faveur de l’intégration des migrants et des réfugiés.

Pour pallier la sous-assimilation des migrants non-économiques sur le marché du travail, une série de politiques européennes d’intégration axées sur l’intégration économique est déjà mise en œuvre. Elles ont pour objectif de diminuer les désavantages des migrants en augmentant leurs chances de trouver un emploi à travers des cours de langue, des formations spécifiques, des aides au placement, etc. Pour la majorité, elles sont gérées au niveau local par les autorités locales. Pour la programmation 2014-2020, le Fonds Asile, Migration et Intégration (FAMI) fournit un soutien financier aux États membres pour soutenir l’intégration et les États membres financent des interventions supplémentaires avec leurs propres budgets.

 

Accords avec les partenaires sociaux

 

En décembre 2017, la Commission européenne s’est associée aux partenaires sociaux et économiques européens en signant le « Partenariat européen pour l’intégration ». Ce texte formule les principes et engagements nécessaires pour soutenir et renforcer les opportunités d’intégration sur le marché du travail européen, au bénéfice des réfugiés et migrants qui habitent légalement sur le territoire de l’Union Européenne. Le partenariat européen pour l’intégration prévoit notamment de soutenir leur insertion le plus tôt possible, pour une entrée en activité le plus rapidement possible. Le commissaire Avramopoulos s’est exprimé en ces termes: «Une participation rapide au marché du travail est cruciale pour une intégration réussie des nouveaux arrivants et, en particulier, des réfugiés. Tous les acteurs publics et privés doivent jouer leur rôle dans l’intégration réussie des réfugiés, et c’est la raison pour laquelle nous voulons unir nos forces. ». C’est dans cette approche multipartite de bénéfice mutuel que ce texte a été édité. Il encourage le développement d’un sentiment de responsabilité commune des employeurs du privé et du public: ils ont ainsi plus de possibilités de s’engager pour recruter des réfugiés, et jouer un rôle en faveur de l’intégration économique mais aussi sociale de ces derniers. Marianne Thyssen, commissaire pour l’emploi, les affaires sociales, les compétences et la mobilité des travailleurs, s’est également exprimée sur le sujet : «La meilleure voie vers l’intégration sociale passe par le marché du travail. C’est la raison pour laquelle elle doit aussi être la plus sûre et la plus courte. Aujourd’hui, nous faisons un pas de plus dans cette direction en unissant nos forces avec les partenaires sociaux et économiques afin de relever les défis et de saisir les possibilités qu’offre l’intégration des réfugiés sur le marché du travail. Cela contribuera à créer des sociétés et des marchés du travail plus inclusifs et à obtenir des résultats meilleurs et plus durables pour tous, conformément aux principes inscrits dans le socle européen des droits sociaux.» Une intégration efficace passe par l’implication de tous les acteurs concernés, autant les autorités locales, nationales, les institutions européennes, que les partenaires économiques et sociaux et les organisations de la société civile. En pratique la Commission européenne s’engage à « favoriser les synergies avec les fonds de l’Union, garantir des synergies avec d’autres initiatives connexes au niveau européen et continuer de coopérer avec les organes, groupes, comités et réseaux concernés de l’UE ainsi qu’avec les partenaires sociaux et économiques afin de soutenir l’intégration des réfugiés sur le marché du travail ». Du coté des partenaires sociaux, l’effort sera mis sur « le partage des bonnes pratiques en matière d’intégration des réfugiés sur le marché du travail, par exemple en organisant des programmes d’accompagnement pour les intégrer sur leur lieu de travail ou en facilitant l’identification, l’évaluation et la documentation des compétences et des qualifications » et « renforcer la coopération avec les pouvoirs publics à tous les niveaux utiles »[5].

Ces initiatives, non sans importance par la large portée du discours, restent avant tout des lignes directrices et l’impulsion d’une philosophie de solidarité plus qu’une action directe. Il est difficile de mener une réelle politique d’intégration imposée aux États membres à l’échelle européenne; se pose alors la question de la plus grande pertinence d’une gestion à échelle locale.

 

Les associations en première ligne

Les initiatives émanant des citoyens sont parfois plus concrètes et plus efficaces que les politiques à grande échelle. Elles ont pour dénominateur commun un souci de solidarité et d’accompagnement, et une vision plus proche du terrain de l’intégration des migrants, comme une réelle opportunité culturelle et une chance pour la société de se décloisonner et se faire plus accueillante et sensibilisée. Au-delà de l’intégration, c’est encourager le vivre ensemble, la cohésion et le partage.  De nombreuses associations s’engagent chaque jour à l’accueil et à l’aide des réfugiés partout en Europe. La plupart accompagne les réfugiés et demandeurs d’asile dans leurs démarches administratives, dans l’apprentissage de la langue et dans l’insertion professionnelle, conscientes de l’aspect capital de la reprise d’une activité pour eux.

 

Se familiariser avec un marché du travail inconnu

 

Pour prendre un exemple concret, Kodiko, une association créée en 2016, a développé un programme d’accompagnement de personnes réfugiées vers l’emploi. Cela se fait par un système de parrainage et de co-training avec un salarié volontaire et bénévole. Le programme a pour but de transmettre les codes (kodiko en grec) socio-professionnels, directement de salariés à réfugiés, pour une meilleure capacité d’intégration au sein des entreprises et le développement d’un réseau professionnel. Ce programme se veut gagnant-gagnant et gagnant. La personne réfugiée est prise en considération et accompagnée dans son insertion professionnelle qui sera de fait plus solide; le salarié parrain a l’opportunité de s’engager dans une action solidaire, de s’enrichir culturellement et d’apprendre lui aussi de l’individu à ses côtés; enfin pour l’entreprise, c’est une manière de sensibiliser les collaborateurs à la thématique, d’apporter un projet commun et d’intérêt général ainsi que de valoriser son image éthique. Une fois insérées à leur poste, les personnes réfugiées arrivent avec leurs compétences et leurs connaissances de terrains potentiellement inconnus des entreprises européennes (pays d’Afrique, du Moyen Orient), et peuvent permettre leur développement ainsi que leur ouverture à de nouveaux marchés.

 

L’emploi mais aussi entrepreneuriat

 

Certains d’entre eux arrivent aussi avec des rêves, des idées et des projets d’entreprenariat. Singa est une association qui s’engage par exemple pour les réfugiés par le prisme de l’innovation et de l’entreprenariat. La philosophie de cette association est l’accompagnement des réfugiés au développement de projets entrepreneuriaux, associatifs ou artistiques, en replaçant l’individu au centre du débat public et toujours en sensibilisant les citoyens via la participation  à leur projet d’insertion. À Paris et Lyon, l’incubateur FINKELA a été mis en place et accompagne les porteurs de projets sur une période de 6 mois, leur offrant la possibilité d’avoir accès à des outils pour réussir, tels qu’un espace de co-working, des ateliers de formation à l’entreprenariat, l’introduction à des partenaires potentiels, des experts et des coachs, ainsi que des ateliers d’intelligence collective pour la résolution de problématiques entrepreneuriales. En parallèle, l’association a également lancé le programme The Human Safety Net for Refugee Startups (THSN) en s’associant à d’autres organisations (SPARK, General et PLACE), toujours dans l’idée d’aider les réfugiés à lancer leur activité. L’objectif est de valoriser leurs compétences, certains ayant déjà un bon niveau d’études, mais avant tout un projet et l’envie de s’engager pour le mettre en place.

Ces actions diverses et variées, initiées par différents acteurs de la société civile, tissent des liens entre les arrivants et les locaux et participent à réduire les préjugés, l’image négative de « l’autre » et in fine la discrimination au quotidien.

 

Le cas de la France

 

La France est l’un des premiers pays européens en terme de nombre de demandeurs d’asile. Selon les chiffres de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), les dépôts de demandes d’asile ont augmenté pour la troisième année consécutive, à hauteur de 17% par rapport aux chiffres de 2016. L’OFPRA a en effet enregistré plus de 100 000 demandes l’an dernier, ce qui reste néanmoins environ la moitié des chiffres de l’Allemagne. Le taux de délivrance du statut de réfugié a cependant diminué pour atteindre les 36%, 27% des dossiers acceptés par l’OFPRA et le reste en recours devant la cour nationale du droit d’asile (CNDA). Face au nombre croissant de réfugiés, il est capital que le secteur privé s’implique. En France, les réfugiés ont un accès libre au marché du travail et aux services de l’agence Pôle Emploi. Cependant, certaines professions ne leurs sont pas accessibles du fait de la nécessité d’avoir un diplôme français ou de détenir une autorisation de pratiquer certaines professions par une association de professionnels.

Plusieurs programmes sont mis en place pour les accompagner dans leur insertion:

  • Programme HOPE: L’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) a lancé en 2017 un programme ciblé sur l’intégration des réfugiés par la formation Construit autour d’un partenariat entre public et privé, le programme HOPE (Hébergement, Orientation Parcours vers l’Emploi) vise à l’intégration de 1000 réfugiés via l’apprentissage du français, la découverte d’un métier ainsi qu’un accompagnement administratif, social etc. Sur les premières expérimentations menées, 71% des participants ont décroché une certification et 62% avaient un emploi au terme de leur formation. L’agence est notamment soutenue financièrement par l’UE.
  • Contrat d’intégration républicaine (CIR) : Depuis 2016, l’étranger primo-arrivant qui arrive en France ou qui se rend régulièrement en France entre seize et dix-huit ans et qui désire s’y installer doit entreprendre un parcours personnalisé d’intégration républicaine. Il s’engage dans un contrat d’intégration républicaine avec l’État français, et accepte de suivre des formations déterminées de manière individuelle après un entretien avec un auditeur de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration). Ce programme est également soutenu par l’Union européenne via le Fonds Asile, Migration et Intégration (FAMI).

 

Lois asile et immigration

 

En France, l’intégration et le traitement des demandeurs d’asiles et des réfugiés est un sujet particulièrement mis en lumière actuellement, avec la présentation le 21 février dernier en conseil des ministres, d’un projet de loi sur l’asile et l’immigration. Discuté en avril au parlement, le projet de loi « pour une immigration maitrisée et un droit d’asile effectif » fait beaucoup de bruit dans le pays des droits de l’Homme. Présenté par le ministre de l’intérieur français Gérard Collomb comme « totalement équilibré », le texte prévoit notamment la réduction des délais d’examen des demandes d’asile, des délais de recours, et l’allongement de la durée de rétention.

Dans le monde associatif des voix s’élèvent contre ce projet, et l’inquiétude est grande quant au respect des droits fondamentaux pour les demandeurs d’asile. Par exemple La Cimade, association de soutien aux migrants, juge ce texte « dangereux » et appelle à son retrait pur et simple. L’analyse faite par la Cimade conclut à un texte qui encouragera la « maltraitance institutionnelle » et viendra appuyer une politique migratoire qui est déjà à la limite du respect des droits fondamentaux. L’association dénonce aussi une implication inexistante des associations et la non-prise en compte de leur point de vue sur la question, elles qui sont au plus près des personnes concernées au quotidien. Le 23 février, dans une interview pour Le Monde, le défenseur des droits, Jacques Toubon, regrette l’accumulation des textes en matière d’asile, vingt depuis la fin des années 70. Ces textes sont remplacés par des nouveaux sans que le dernier ne soit même encore mis en œuvre.  Selon lui, la situation actuelle qui est illégitimement qualifiée de « crise » ne nécessite pas de nouvelle législation rédigée dans la précipitation, et ce dernier texte a été écrit pour de mauvaises raisons: « ce texte n’a pas été écrit par un besoin de la société mais pour répondre à l’opinion publique, qui veut sans cesse alimenter de carburant législatif ou réglementaire la chaudière de l’exaspération». Cet exemple montre un manque de dialogue majeur entre les différents acteurs décisionnels, une médiatisation très souvent négative des actions en matière d’asile et d’immigration qui pèse sur la société, et des politiques nationales qui entravent le travail des associations.

En somme, la fragmentation des mesures de soutien à l’intégration des réfugiés et des demandeurs d’asile démontre la nécessité d’avoir des mécanismes de gouvernance multi-niveaux pour s’atteler aux défis actuels de manière efficace. L’opportunité que représente l’intégration des réfugiés par l’emploi doit être soutenue par la mutualisation des compétences de chaque niveau de décision (européen, national et local) et par un travail collectif de coordination et d’échange d’informations entre les associations, les entreprises et les États.

C’est une bataille basée sur des politiques nationales, mais qui se mène principalement à l’échelle locale et régionale. Il est donc impératif d’écouter les retours des associations qui sont au contact des réfugiés et qui détiennent des informations. L’activité des associations permet de lutter au quotidien contre l’exclusion, le racisme et la xénophobie par la création de liens et via des initiatives de parrainage et d’échange. Ces projets visent à faire naître une population plus engagée, responsable et éclairée sur le thème de l’immigration et de l’asile. Au-delà de la nécessité de déconstruire les préjugés, il y a aussi un devoir de solidarité. Cependant, les discours européens ont leur importance par l’aspect d’engagement à l’échelle continentale et de responsabilité collective qu’ils relaient. L’UE est une échelle appropriée pour une mutualisation des informations dans le but d’améliorer les pratiques politiques dans les États membres et impulser un cap, en plus d’un soutien financier aux acteurs de terrain, capital pour les programmes mis en place à l’échelle locale. C’est avant tout un travail citoyen à faire au quotidien pour faire évoluer les manières de penser et inclure les réfugiés dans la normalité de la recherche d’emploi et de l’insertion professionnelle. Des structures, des programmes et des opportunités sont déjà en place pour s’engager et banaliser leur intégration, qui se prouve être une nécessité pour l’économie et la société.

Les chiffres et résultats des initiatives lancées au cours des dernières années sont encourageants et prouvent leur pertinence. Pour continuer, il est cependant nécessaire d’avoir une approche progressiste sur le sujet, de travailler sur le recueil de plus de données et d’informations aussi bien générales sur la nature des migrations, que sur les caractéristiques des réfugiés eux-mêmes et sur la diversité de leur profil.

Marie Peschier

 

Pour plus d’informations:

OECD (2016) « Making Integration Work: Refugees and others in need of protection». OECD Publishing, Paris. DOI: http://dx.doi.org/10.1787/9789264251236-en.

EPC.eu « Refugee integration into the labour market: The role of employers» http://www.epc.eu/prog_forum.php?forum_id=76&prog_id=6

lesechos.fr (08.2017) « En France, des initiatives pour l’accès à l’emploi des réfugiés » https://www.lesechos.fr/01/08/2017/lesechos.fr/030475990797_en-france–des-initiatives-pour-l-acces-a-l-emploi-des-refugies.htm#

Office français de protection des réfugiés et apatridesOFPRA https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/actualites/les-donnees-de-l-asile-2017-a-l

Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes – AFPA (12.2017) « HOPE – Un programme pour l’intégration de 1000 réfugiés » https://www.afpa.fr/espace-presse/programme-hope

Commission Européenne – DG Migration et Affaire intérieures. « Employers together for Integration» https://ec.europa.eu/home-affairs/what-we-do/policies/legal-migration/european-dialogue-skills-and-migration/integration-pact_en

Commission européenne (06.2016) « Mise en œuvre de l’agenda européen en matière de migration » Communiqué de presse http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-2041_fr.htm

Commission européenne (06.2017) « Intégration: un nouvel outil de profilage des compétences pour aider les ressortissants de pays tiers à entrer dans le marché du travail » Communiqué de presse http://europa.eu/rapid/press-release_IP-17-1603_fr.htm

Commission européenne (12.2016) « Rapport 2016 sur l’évolution de l’emploi et de la situation sociale en Europe: questions et réponses» Fiche d’information http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-16-4428_fr.htm

Commission européenne (12.2017) « Intégration des réfugiés: la Commission s’associe aux partenaires sociaux et économiques » Communiqué de presse http://europa.eu/rapid/press-release_IP-17-5352_fr.htm

Commission européenne (06.2016) « Dix actions pour contribuer à doter les personnes de meilleures compétences en Europe» Communiqué de presse

Commission européenne (01.2018) « Intégration des migrants: la Commission présente un manuel destiné à aider les États membres à utiliser les fonds de l’UE de manière optimale » Communiqué de presse

Migration Policy Centre (MPC) at the Robert Schuman Centre for Advanced Studies of the European University Institute in Florence (EUI) « From Refugees to Workers: Mapping Labour-Market Integration Support Measures for Asylum Seekers and Refugees in EU Member States» http://www.migrationpolicycentre.eu/

Parlement européen – Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) (2015) « Exploring new avenues for labour migration to the European Union »

Parlement européen (11.2017) « Growing impact of EU migration policy on development cooperation» Briefing

International Labour Organization (09.2016) « DECENT WORK for Migrants and Refugees»http://www.ilo.org/global/topics/labour-migration/publications/WCMS_524995/lang–en/index.htm

FRA – European Union Agency for Fundamental Rights (2017) « Together in the EU – Promoting the participation of migrants and their descendants» Report europa.eu

Felder Alexandra (2016) « L’activité des demandeurs d’asile: Se reconstruire en exil » Editions Eres

SINGA France – FINKELA https://www.singafrance.com/finkela

La Cimade (03.2018) « Décryptage du projet de loi asile et immigration » https://www.lacimade.org/wp-content/uploads/2018/02/PJL_Asile_Immigration_Cimade_05032018.pdf

Kodiko http://www.kodiko.fr

 

 

[1] Parlement européen – Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE)  (2015) « Exploring new avenues for labour migration to the European Union »

[2] Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, dite Convention de Genève

[3] Parlement européen – Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE)  (2015) « Exploring new avenues for labour migration to the European Union »

[4] Commission européenne (06.2016) « Mise en œuvre de l’agenda européen en matière de migration » Communiqué de presse

[5] Commission européenne (12.2017) « Intégration des réfugiés: la Commission s’associe aux partenaires sociaux et économiques » Communiqué de presse

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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