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Procédure Dublin, vraie solution ou vecteur de tension ?

« Je suis en procédure Dublin, qu’est-ce que cela signifie ? »[1] entend-on souvent dire parmi les demandeurs d’Asile en Europe. L’immigration est devenue une problématique importante au sein de l’Union européenne qui se targue de fournir de nombreux efforts pour rassurer ses citoyens. En effet, l’insécurité grandissante de la population européenne face aux flux migratoires ont poussé le monde politique à focaliser une grande part de son programme politique au traitement des dossiers des migrants. C’est pour ce faire que les procédures Dublin ont vu le jour. Si la procédure Dublin, que nous allons définir par la suite, n’est pas fortement appréciée par les migrants, elle constitue une plaie considérable pour nombre de pays européens, et plus particulièrement l’Italie, qui cherchent sa refonte pure et simple. Dans cet article nous allons nous atteler à brièvement identifier le contexte dans lequel le règlement Dublin a été adopté, ce qu’il implique, et pourquoi il est tant critiqué à l’heure actuelle.

Votée en 2013, entrée en application en 2014 en France, l’actuelle procédure Dublin nommée « Dublin III » fait suite à ses prédécesseurs Dublin I et II et fut votée par 32 pays, à savoir l’entièreté de l’Union européenne en plus de la Norvège, de l’Islande, de la Suisse et du Liechtenstein.[2] Son objectif, répartir entre la plupart des pays européens le poids financier et logistique qu’implique une immigration conséquente due à différentes crises humanitaires qui surviennent aux abords de l’Europe (guerre en Syrie et au Yemen, crises politiques en Lybie et alimentaires en Afrique subsaharienne). Depuis l’apparition de l’espace Schengen et de la libre circulation européenne, la question de la protection des frontières va réapparaitre : comment assurer une bonne sécurité étatique si les frontières sont désormais ouvertes ?

La procédure Dublin va impliquer qu’un demandeur d’asile verra sa demande traitée par un, et un seul, pays européen à la fois. Pour ce faire, tout individu appréhendé dans l’un des pays européens en séjour illégal se verra arrêté, interrogé et ses empreintes seront enregistrées et comparées aux données européennes communes dans un gestionnaire digital d’empreintes nommé Eurodac. Le but de cet entretien est d’identifier l’individu, ses origines et son « passif » européen. Ces informations sont accessibles aux forces de l’ordre européennes pour faciliter la coopération entre les différents pays.

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Source : Cabinet-Thomas.fr[3]

L’image ci-dessus montre vers quels pays, inscrits dans le Règlement Dublin, la France est habilitée à transférer ses « dublinés ».

Si les empreintes de l’individu en question n’ont jamais été encodées et si le pays est celui d’entrée, il sera ainsi compétent pour le traitement du dossier de l’individu.[4] Les autorités compétentes devront donc informer l’intéressé des mesures qui seront prises à son égard, et pourront par la suite le relâcher. Admettons à présent que notre demandeur d’asile poursuive son chemin en Europe et s’installe dans un autre pays européen. Ce pays-ci doit alors entamer exactement les mêmes procédures que le pays précédent (en admettant bien évidemment que le migrant se rende aux autorités ou que celles-ci l’appréhendent), sauf que lors du constat de la présence de l’intéressé dans le dossier digital, la procédure Dublin implique que l’intéressé doit être renvoyé vers le premier pays qui est compétent pour le traitement de son dossier. Notons toutefois une exception à cette règle : le regroupement familial, c’est-à-dire un cas où l’individu est présent sur le dernier territoire en vue de rejoindre des membres de sa famille.[5] Dans ce cas-ci, cette procédure prend le pas sur Dublin.

Le second pays est donc tenu d’informer le premier de la présence de l’individu sur son territoire et de son projet d’extradition endéans les 6 mois (12 mois si l’individu est emprisonné et 18 mois si l’intéressé est en fuite). Passé ce délai, le deuxième pays devient compétent dans la gestion du dossier de l’individu. Répétons qu’à la base, la décision d’adopter une telle règle n’avait pas été prise pour organiser une répartition équitable des migrants entre les pays européens mais pour équilibrer les libertés instituées par l’espace Schengen. Depuis la libre circulation des individus au sein de Schengen, les pays voulaient garder la compétence de l’accueil de leurs migrants et le contrôle des frontières, notamment extérieures.[6] Le fait que Dublin n’a pas été initialement pensé pour organiser une immigration conséquente et extra-européenne va influer sur les mésententes que nous allons voir ci-dessous.

C’est ainsi que le règlement Dublin, lui-même institué au sein de l’espace Schengen, peut être considéré comme un « système de systèmes »[7] nécessitant une confiance mutuelle entre les Etats membres, puisque chaque nation endosse une responsabilité qui est la sienne tel que le traitement du dossier de l’immigré, le transfert de l’immigré dans le pays responsable ou dans son pays natal si considéré comme pays sûr.[8] De plus, la présomption de sécurité qui règne entre les pays européens implique qu’un individu peut être transféré dans un pays « Dublin » sans que cela ne provoque un quelconque danger à son intégrité physique et morale.

Toutefois, un tel système implique une large pression sur les pays présentant une frontière extérieure à l’Union, et notamment maritime, comme c’est le cas de la Grèce et de l’Italie. Ces derniers se voient imputer la lourde responsabilité de l’encodage systématique de chaque nouvel arrivant en Europe. Faute de moyens, cette responsabilité n’a pu être pleinement assumée par ces pays, un défaut qui a vu la frontière européenne et sa sécurité fragilisées. En 2011 et avec le début des printemps arabes, l’Italie a vu débarquer sur ses côtes de nombreux migrants fuyant le désordre des pays arabes causé par les révoltes. L’Italie s’est donc vue chargée d’enregistrer ces migrants et, après un encodage de leur identité, les laissait circuler au sein de Schengen. Cette première vague de migrants a incité certains pays européens à revoir les codes frontières de Schengen en ré-instituant les contrôles aux frontières intérieures en 2013. De telles initiatives ont fortement déçu les autorités italiennes qui se sont vues abandonnées face à une telle pression, les arrivées de migrants ne baissant pas, voire augmentant drastiquement jusqu’en 2015 et 2016, ce qui a représenté un pic en termes d’immigration en Europe, avec 2,5 millions de demandes d’asile.[9]

Le cas de la Grèce y est très similaire: si le TAF (Tribunal Administratif Fédéral) suisse avait jugé en 2009 que l’Etat grec était sûr et que « rien au dossier ne laisse supposer que les autorités grecques failliraient à leurs obligations internationales », les rapports, eux ,démontraient que les conditions d’accueil et les procédures d’asile grecques n’étaient pas conformes aux normes européennes. Le TAF avait pourtant vraisemblablement connaissance de ces dysfonctionnements, en refusant toutefois de les constater de par l’absence « d’indices. »[10] Ainsi, et malgré le fait que l’administration grecque était elle aussi saturée, les autres pays européens continuèrent à transférer les « dublinés » grecs en Grèce.

Nous pouvons néanmoins relativiser et nuancer ce qui a été dit précédemment. Si une pression importante est effectivement mise sur les pays d’entrée, certains pays européens tel que la Suède, l’Autriche, la France et surtout l’Allemagne ont énormément apporté leur soutien en termes d’accueil de réfugiés, comme l’indique l’image ci-dessous.

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Source : France-Inter[11]

Néanmoins, les plaintes répétées de l’Italie et de la Grèce cristallisent le malaise ambiant et général régnant par rapport à cette procédure de Dublin : le 16 novembre 2017 une large majorité d’eurodéputés au Parlement européen ont voté pour une révision totale de cette procédure et, notamment, en rejetant le transfert systématique des migrants vers le premier pays de passage. Cette contestation est largement appuyée par le principe de solidarité, comme l’indique Cecilia Wikström (eurodéputée suédoise) qui souhaite une répartition équitable des migrants en Europe à l’aide de quotas. Toutefois, si une bonne frange des eurodéputés veut un système de quotas pour alléger le travail des pays frontaliers, les pays tels que la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie y sont farouchement opposés. Nous noterons également que ce groupe de Visegrad est particulièrement en faveur d’un durcissement des politiques migratoires en Europe. Le climat entre ces pays, mené par le symbolique anti-migrant, Viktor Orban, Premier Ministre hongrois et Bruxelles est d’ailleurs très fréquemment électrique, comme en témoigne l’absence totale de ce groupe au mini-sommet européen sur l’immigration organisé par la Commission européenne à Bruxelles en Juin 2018,[12] sommet qui n’aura d’ailleurs débouché sur aucun résultat concret.[13]

L’Europe est ainsi à un croisement important de son histoire et fait face à une multitude de crises, certainement les plus importantes de son histoire : la crise grecque, le Brexit ainsi que la crise des migrants sont générateurs de beaucoup de désaccords au sein de la population européenne. Si les mesures politiques et les résultats des élections auront une importance capitale au cours des mois à venir, l’Europe se doit d’être solidaire et de rester unie face à ces problématiques. Les élections qui se profilent fin mai 2019 devraient éclaircir les différents objectifs que les Européens se fixent, et la question de l’immigration pourrait bien être décisive dans les choix des électeurs.

[1] https://dofi.ibz.be/sites/dvzoe/FR/Documents/Leaflets/Dublin-B_FR.pdf

[2] https://www.franceinter.fr/societe/migrants-ce-que-dit-le-reglement-de-dublin

[3] https://www.cabinet-thomas.fr/avocat-droit-dasile-ofpra-cnda/avocat-annulation-procedure-transfert-dublin-iii/

[4] https://www.village-justice.com/articles/procedure-dublin-les-demandes-asile-union-europeenne,30598.html

[5] https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/06/07/comprendre-le-reglement-dublin-en-3-questions_5311223_3214.html

[6] https://www.vie-publique.fr/actualite/dossier/raec/schengen-reglements-dublin-pour-traitement-demandes-asile.html

[7] https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_96EC2D29AD75.P001/REF.pdf

[8] Pays dont les ressortissants sont a priori considérés comme n’ayant pas besoin de protection internationale s’ils demandent l’asile.

[9] https://www.liberation.fr/france/2018/02/20/reglement-dublin-la-reforme-divise-l-union-europeenne_1631121

[10] https://www.liberation.fr/france/2018/02/20/reglement-dublin-la-reforme-divise-l-union-europeenne_1631121

[11] https://www.franceinter.fr/societe/migrants-ce-que-dit-le-reglement-de-dublin

[12] https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/06/21/immigration-les-pays-de-visegrad-boycotteront-le-mini-sommet-europeen-de-dimanche_5319161_3214.html

[13] https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/06/25/migration-un-mini-sommet-pour-depassionner-un-debat-qui-frise-l-hysterie_5320638_3214.html

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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