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L’intégration des Balkans occidentaux au sein de l’Union européenne

Le 5 mars 2021[1], dans une lettre adressée au chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, les ministres des Affaires étrangères de l’Autriche, la Croatie, la République tchèque, l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie ont appelé à amorcer une discussion stratégique avec les Balkans occidentaux au cours du Conseil des Affaires étrangères (CAE) prévu en avril (Alexandra BRZOZOWSKI et Vlagyiszlav MAKSZIMOV “Neuf États membres invitent l’UE à réinscrire les Balkans occidentaux à l’ordre du jour” 15.04.2021). Les neuf dirigeants invitent l’Union européenne à remettre à l’ordre du jour la problématique de l’intégration des Balkans occidentaux. En effet, les Etats membres s’accordent sur l’importance de l’intégration de ces pays au sein de l’UE d’un point de vue géostratégique afin de limiter l’influence grandissante de la Chine, de la Russie et de la Turquie. Il y a également un objectif de stabilisation de la région en particulier depuis la crise sanitaire qui renforce les inégalités structurelles au sein des pays.

Cependant, si certains dirigeants européens poussent dans le sens de l’intégration, d’autres comme la France avec Emmanuel Macron prévoient une intégration de ces pays dans un avenir lointain[2]. Les conditions d’intégration pour les nouveaux Etats membres se sont durcies au fil des nouvelles adhésions. Les pays qui composent cette région sont à des stades différents d’intégration notamment dans l’avancée des négociations, les efforts amorcés pour remplir les conditions et les défis qui restent à relever dans leur pays.

Les Balkans occidentaux représentent une région qui n’a pas de frontières naturelles mais dont le nom désigne une région montagneuse (“Balkans”  signifie “montagnes” en turc) de la péninsule du sud-est de l’Europe entourée par la mer Noire, la Méditerranée et l’Adriatique et limitée au nord par les fleuves Danube et Save[3]. Elle est composée d’une multitude d’Etats ayant connu de nombreuses influences au fil des époques sur lesquelles nous ferons un retour historique. Les Balkans occidentaux désignent généralement la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, l’Albanie, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie. Cette appellation correspond généralement aux pays de l’ex-Yougoslavie.

Les Balkans occidentaux ont la volonté d’intégrer l’Union européenne mais connaissent des difficultés à remplir les nombreuses conditions imposées par l’UE. La région connaît donc une hétérogénéité dans le processus d’intégration et d’adhésion. Cependant, l’adhésion de ces pays reste une problématique primordiale pour l’UE sur le plan géopolitique, en termes de stabilisation de la région.

Nous ferons un retour historique sur les Balkans occidentaux avant d’étudier le processus d’intégration et d’adhésion européen. Après un focus sur la question migratoire, l’un des défis majeurs auquel les Balkans doivent répondre, nous étudierons les influences extérieures qui inquiètent l’Union européenne.

  • Les Balkans occidentaux entre fractures historiques et influences extérieures

Les pays de l’ex-Yougoslavie ont cristallisé sur leur sol plusieurs fractures historiques[4] et influences :

La première fracture relève de la rivalité entre l’Empire austro-hongrois et l’Empire ottoman. Pendant plus de 200 ans, de la fin du XVIIe au début du XXe, leurs armées sont face à face et leur ligne de contact se situe à l’actuelle frontière nord-ouest entre la Bosnie et la Croatie.

La deuxième fracture se base sur les appartenances religieuses. Pendant la colonisation ottomane, la plupart des habitants de la Bosnie deviennent musulman. Ensuite, les Slovènes et les Croates sont en majorité catholiques. Puis les Serbes sont en majorité chrétiens orthodoxes. Du strict point de vue anthropologique, il n’y a pas la moindre différence entre un Serbe, un Slovène, un Bosniaque, un Croate : ils parlent presque tous la même langue et ce sont tous des Slaves du sud.

Par ailleurs, c’est le nom que prend le pays après le démantèlement des deux Empires : la Yougoslavie (pays des Slaves du sud). Il sera d’abord une monarchie puis une république fédérale. En 1946, le maréchal Tito instaure une fédération de six républiques pour tenter de calmer les montées nationalistes de la Deuxième Guerre mondiale. Cette république fédérale va vivre jusqu’en 1991 avant d’éclater dans le contexte de la fin du communisme. Chacune s’empresse de devenir indépendante et de se faire reconnaître internationalement pour faire entériner ses frontières. Les hommes au pouvoir vont alors s’appuyer sur le nationalisme, car la guerre va se baser sur le fait que les enveloppes territoriales ne correspondent pas à la répartition de la population. En Bosnie en 1991, la répartition des populations est de 43% de Bosniaques, 31% de Serbes, 17% de Croates et d’autres populations. Le conflit de l’ex-Yougoslavie éclate sur fond de tensions ethnique et religieuse. La Bosnie-Herzégovine est une mosaïque ethnique qui compte 4,3 millions d’habitants, dont 43,7 % de Bosniaques de religion musulmane, 31,4 % de Serbes, 17,3 % de Croates et 2,1 % de nationalités diverses. Quant à la Yougoslavie, cette dernière compte environ 45 % d’orthodoxes, 30 % de catholiques et 17 % de musulmans.[5] Dans un objectif d’instaurer une continuité territoriale, le mouvement de purification ethnique s’enclenche.[6].

Au sein de l’UE, personne ne veut faire la guerre, ni les dirigeants ni les opinions publiques et surtout, il n’y a rien à défendre. L’Union européenne n’a ni les institutions, ni les moyens logistiques, ni le commandement pour conduire une intervention militaire d’où la dépendance aux Etats-Unis. Mais la France, le Royaume-Uni et l’Italie envoient des soldats sous l’égide des Nations Unies. Cependant, on les envoie pour de l’humanitaire avec un mandat flou, une chaîne de commandement trop longue et leur contre-emploi ne répond pas aux besoins politiques, militaires et encore moins humains. Les accords de Dayton en 1995[7] valident donc politiquement les frontières gagnées militairement.

  • Rappel du processus d’adhésion à l’Union européenne[8]

Lorsqu’un Etat veut adhérer à l’Union européenne, la procédure est régie par l’article 49 du Traité sur l’Union européenne. Tout Etat européen respectant les principes fondamentaux de l’UE énoncés à l’article 2 (dignité humaine, liberté, démocratie, Etat de droit, droits de l’Homme…) peut demander à devenir membre de l’Union. Afin d’obtenir le statut de candidat, il faut remplir une triple condition :

  • être un État
  • être “européen”
  • respecter les valeurs de l’Union européenne et s’engager à les promouvoir

Ensuite, il y a plusieurs étapes que les Etats doivent suivre afin d’adhérer à l’UE :

  • le dépôt de candidature
  • l’obtention du statut de pays candidat
  • le suivi d’une stratégie de pré-adhésion
  • l’ouverture des négociations d’adhésion : l’Etat doit satisfaire quatre conditions d’adhésion. Le Conseil européen de Copenhague en décembre 1993 a consacré les trois critères suivants: le critère politique, le critère économique, l’acquis communautaire. Le quatrième critère a été précisé en 2006, c’est la capacité d’intégration.

Les pays des Balkans occidentaux sont les prochains dans la stratégie d’élargissement de l’UE. Cependant, une évaluation des avancées des Balkans occidentaux est nécessaire. La Commission européenne a publié début octobre 2020 un communiqué sur la politique d’élargissement [COM (2020) 660 du 6.10.2021] dans laquelle elle évalue et définit les priorités de réformes pour les pays qui souhaitent adhérer à l’UE. Ce bilan est accompagné d’un plan économique et d’investissement pour soutenir les Balkans occidentaux.

Le problème majeur des Balkans occidentaux est l’évolution de la protection de l’Etat de droit. En effet, pour la Commission, il y a un réel manque de volonté politique et un attachement insuffisant au principe d’indépendance de la justice. Les résultats quant à la lutte anti-corruption, la liberté d’expression, ainsi que le pluralisme des médias demeurent faibles. La question migratoire est également un sujet sensible pour les Balkans occidentaux.[9] La Bosnie-Herzégovine a peu avancé dans l’application des priorités formulées lors de la demande d’adhésion.

https://fr.euronews.com/2018/02/15/la-strategie-de-l-ue-pour-les-balkans-occidentaux

De par leur proximité géographique et leur importance géopolitique, l’Union européenne mène une politique d’appui au rapprochement progressif des Balkans occidentaux avec l’Union. Cependant, les Balkans occidentaux sont caractérisés par l’hétérogénéité dans le processus d’adhésion à l’Union. La Croatie est le premier pays des Balkans occidentaux à intégrer l’Union le 1er juillet 2013. Le Monténégro, la Serbie, la République de Macédoine du Nord et l’Albanie sont officiellement candidats. La Bosnie-Herzégovine et le Kosovo sont des candidats potentiels.

L’Union européenne va chercher à intégrer le reste des Balkans occidentaux grâce à des processus afin de les accompagner dans les démarches. Elle lance en 1999 le Processus de stabilisation et d’association (PSA)[10], c’est un cadre stratégique d’appui au rapprochement progressif des pays des Balkans occidentaux avec l’Union. Il repose sur les relations contractuelles bilatérales, l’aide financière, le dialogue politique, les relations commerciales et la coopération régionale. Les relations contractuelles prennent la forme d’accords de stabilisation et d’association (ASA), qui instaurent une coopération politique et économique ainsi que des zones de libre-échange avec les pays concernés. Fondé sur une communauté de principes démocratiques, sur les droits de l’homme et sur l’État de droit, chaque ASA prévoit des structures permanentes de coopération. Le conseil de stabilisation et d’association, qui se réunit une fois par an au niveau ministériel, veille à l’application et à la mise en œuvre de l’accord. Il est assisté dans cette tâche par le comité de stabilisation et d’association. Enfin, une commission parlementaire de stabilisation et d’association (CPSA) permet une coopération entre les parlements des pays des Balkans occidentaux et le Parlement européen.

La Bosnie-Herzégovine illustre le parcours difficile de l’adhésion à l’Union européenne. Pour l’instant, ce pays est un candidat potentiel. Un ASA avait été négocié et signé en juin 2008, mais gelé car le pays n’avait pas transposé un arrêt fondamental de la Cour européenne des droits de l’homme. La révision de la stratégie de l’Union qui se base sur la gestion des affaires économiques a permis l’entrée en vigueur de l’ASA le 1er juin 2015.

Le 15 février 2016, le pays a présenté sa demande d’adhésion et en mai 2019, la Commission a rendu son avis. Il comprend 14 points clés[11] sur lesquels la Bosnie-Herzégovine doit travailler au travers de la commission parlementaire de stabilisation et d’association (CPSA), qui est la dimension parlementaire de l’ASA. En juillet 2020, près de cinq ans après la première, la CPSA s’est réunie en novembre 2015. Le parlement de la Bosnie-Herzégovine a procédé au vote sur le règlement intérieur de la CPSA, ouvrant ainsi la voie à son adoption officielle par cette dernière dans un avenir proche.

Lors du sommet de Zagreb le 6 mai 2020, l’Union européenne a réaffirmé son soutien au processus d’élargissement aux Balkans occidentaux, en débloquant également une aide de 3,3 milliards d’euros. La signature d’une déclaration en 20 points réaffirme le soutien pour une intégration à l’UE des Balkans occidentaux ainsi que l’engagement stratégique de celle-ci face à la montée des influences russe et chinoise dans la région.

Lors du sommet de Zagreb, différents sujets de coopération à approfondir[12] sont évoqués :

  • la vigilance face à la désinformation menée par certains Etats tiers et renforcement de la cybersécurité
  • les relations de bon voisinage en particulier entre Belgrade et Pristina, capitale du Kosovo
  • la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme
  • les mesures contre la criminalité organisée
  • les défis liés aux migrations
  • la sécurité énergétique et la diversification des sources et des voies d’approvisionnements

L’UE a également tenu à aider les Balkans occidentaux dans la lutte contre la pandémie de coronavirus en soutenant le secteur de la santé et la relance économique et sociale. La coopération implique la passation de marchés communs. Elle comprend la libre-circulation d’équipements de protection individuelle, une circulation rapide de biens essentiels aux différents points de passage frontaliers entre l’UE et ces pays, ainsi que la fourniture de matériels de contrôle pour favoriser l’utilisation des tests de dépistage au coronavirus.

Le Parlement européen joue également un rôle clé[13] dans le processus de stabilisation et d’association. Son approbation est nécessaire pour la conclusion de tous les ASA[14]. Le Parlement doit également approuver toute nouvelle adhésion à l’Union européenne[15]. En outre, en vertu de ses compétences budgétaires, il influe directement sur les montants alloués à l’instrument d’aide de préadhésion (IAP). La commission des affaires étrangères du Parlement nomme des rapporteurs permanents pour tous les pays candidats et candidats potentiels. Le Parlement exprime ses positions sur l’élargissement sous la forme de résolutions annuelles adoptées à la suite des rapports annuels par pays élaborés par la Commission. En juin 2020, à la suite du sommet de Zagreb entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux (qui s’est tenu en ligne), le Parlement a également émis un ensemble de recommandations sur les Balkans occidentaux. Enfin, il entretient des relations bilatérales régulières avec les parlements des pays des Balkans occidentaux par l’intermédiaire de ses délégations, qui débattent, deux fois par an en moyenne, avec leurs homologues des questions ayant trait au PSA et au processus d’adhésion à l’Union.

  • Les nombreux défis qui attendent les Balkans occidentaux, focus sur la question migratoire

La Bosnie-Herzégovine est un exemple des défis qui restent à relever pour les Balkans occidentaux, notamment le camp de réfugiés de Lipa, ravagé par un incendie le 23 décembre 2020[16]. L’armée bosnienne a seulement eu pour réponse des tentes dépourvues de toute commodités. 1500 personnes ont trouvé un refuge de fortune dans les squats alentour avec des températures glaciales. Ce camp avait été mis en place à la hâte dans un contexte de crise sanitaire. Cependant, les conditions déplorables ont mené à la fermeture sans avoir de solution alternative. C’est un point de blocage avec l’Union européenne qui reproche à la Bosnie son absence de gestion dans cette crise.

«La seule option, c’est d’ouvrir les centres d’hébergement de Bira et de Ciljuge. Ces camps sont prêts à l’emploi, et permettraient aux 2 400 personnes qui sont dehors ou dans des squats d’être logés. Mais je suis pessimiste», explique Peter van der Auweraert[17], coordinateur de l’agence onusienne OIM (Organisation Internationale des Migrations) en Bosnie-Herzégovine.

En effet, si le gouvernement bosnien est d’accord sur cette solution, le gouverneur du canton d’Una Sana s’y est fermement opposé en prétextant que la population n’est pas favorable à l’arrivée de migrants près des écoles et des églises. Pour le porte-parole de la Commission européenne, Peter Stano, «depuis 2018, l’Union européenne a dépensé pas moins de 89 millions d’euros pour soutenir la Bosnie-Herzégovine dans sa gestion des flux de migrants, ce qui inclut 75,2 millions d’euros d’instrument de pré-adhésion, et 13,8 millions d’euros d’assistance humanitaire.»[18] De plus, 3,5 millions d’euros supplémentaires ont été débloqués pour apporter un soutien d’urgence, ainsi qu’un million d’euros via l’ambassade d’Autriche. Pour Peter van der Auweraert «on a suffisamment d’argent pour héberger les 2 500 personnes dans le pays, et ce depuis longtemps. Le problème n’a jamais été une question d’argent. L’Union européenne fournit, en plus, une assistance humanitaire, logistique et opérationnelle»[19].

En Bosnie-Herzégovine, il n’y a pas de libre circulation pour les migrants. La Croatie expulsant les migrants, ces derniers se trouvent bloqués en Bosnie. Plus de 5000 personnes sont actuellement bloquées dans le nord-ouest de la Bosnie. Pour les bénévoles sur place, la situation devient catastrophique. Lui-même ancien réfugié, Zlatan Kovacevic[20], fondateur de l’association SOS Bihac[21] tente d’aider les migrants. Pour lui, l’Union européenne est co-responsable de la détérioration de la situation, dans la mesure où elle aurait invité les réfugiés tout en les empêchant d’entrer. 

Sur le territoire bosniaque, deux positions s’affrontent : d’un côté les rares personnes qui aident les migrants sont souvent victimes de menaces; de l’autre, les habitants qui sont exaspérés par les migrants.

Malgré les promesses de l’UE, les aides tardent à arriver. A l’approche des élections locales, les autorités ont fermé un camp et ont restreint la liberté de circulation aux migrants. Mais dans la pratique, les réfugiés continuent d’affluer aux frontières et se cachent dans la forêt et les maisons abandonnées.

  • L’importance géopolitique des Balkans occidentaux pour l’Union européenne face aux influences russe, chinoise et turque

Le rapprochement des Balkans avec la Chine, la Russie mais également la Turquie, inquiète l’UE et met à mal le processus d’intégration européen[22]. L’intégration des Balkans occidentaux à l’Union européenne devient une problématique géopolitique pour l’UE. Devant la lenteur du processus d’adhésion des pays de cette région, certains se tournent vers des partenaires extérieurs. En effet, la confiance des citoyens des Balkans occidentaux dans le processus d’intégration européen a baissé. D’après le Baromètre des Balkans en 2018, 26% des citoyens des Balkans occidentaux[23] estiment que leur pays ne rejoindra jamais l’Union européenne.

Les gouvernements des Balkans occidentaux se sont alors ouverts à de nouveaux investisseurs dans la région, faisant fi de la conformité de leurs projets avec les politiques européennes. La Chine travaille plus particulièrement sur les relations économiques alors que la Turquie et la Russie sont axées sur les liens politiques et sociaux. Si aucun de ces acteurs ne sabote ouvertement l’adhésion des pays des Balkans à l’UE, les six Etats peuvent être vus comme des “chevaux de Troie” et déstabiliser l’unité de l’UE dans le futur.  Cependant, il faut noter que l’Union européenne reste le principal investisseur dans la région (part moyenne d’échange 75%[24]).

La Russie s’est concentrée sur le secteur de l’énergie et certaines de ses transactions sont masquées et transférées dans des pays tiers. Pour un certain nombre de raisons historique, ethnique, religieuse la Serbie est le pays le plus proche de la Russie, grand frère orthodoxe. Elle permet de bloquer l’accès du Kosovo à l’ONU, à l’UNESCO et à Interpol, et réclame la souveraineté de la Serbie sur le Kosovo. En effet, la Russie s’appuie sur la communauté chrétienne orthodoxe. Les interventions extérieures sont difficiles à prouver mais au cours des pourparlers pour résoudre la question du nom entre Skopje et Athènes, les Russes ont été accusés de tenter de saboter l’accord sur le nom du pays. En effet, le 17 juin 2018, un accord avait été signé entre Athènes et Skopje. La Macédoine acceptait de se nommer officiellement “Macédoine du Nord” afin de se distinguer de la région grecque de Macédoine. En échange, la Grèce arrêtait de s’opposer à l’entrée de la Macédoine à l’Otan et à l’Union européenne. La Russie voyant d’un mauvais œil l’adhésion de la Macédoine à l’OTAN, serait intervenue en faveur de l’opposition en soudoyant des fonctionnaires hellènes afin de faire échouer l’accord devant le Parlement grec. En octobre 2016, la Russie avait aussi saboté le projet d’adhésion du Monténégro à l’OTAN. 

La Chine investit quant à elle beaucoup dans la région depuis la création de la plateforme 16+1[25] en 2012. Les pays des Balkans occidentaux font également partie de l’initiative chinoise Belt and Road (Les nouvelles routes de la soie). Les prêts chinois inquiètent particulièrement le commissaire à l’élargissement, Johannes Hahn. En effet, celui-ci n’est pas persuadé que les pays soient en mesure de les rembourser, ce qui engendrerait une domination chinoise. Récemment c’est le projet d’autoroute chinoise au Monténégro qui pose problème. Le pays a souscrit un prêt chinois d’un milliard de dollars en 2014. Si la première échéance n’est pas respectée, le remboursement se fera en terres, ce qui inquiète l’Union européenne. Cependant, les pays concernés par ces difficultés de remboursement font appel à l’Union européenne, ce qui est révélateur de sa capacité à faire face à la lutte d’influence dans son arrière-cour[26].

Pour les musulmans bosniaques, la Turquie joue un rôle au même titre que la Russie en Serbie. En effet, la Turquie utilise plusieurs instruments de soft power pour renforcer sa position. Par exemple, l’agence Anadolu exerce une présence médiatique. La Turquie vise quant à elle les communautés turques et musulmanes de la Serbie et de la Bosnie. Elle s’appuie sur le soft power en offrant notamment des bourses d’études, des échanges étudiants et exporte des feuilletons télévisés turcs (glorification du passé ottoman et promotion de la culture turque). De plus, la Turquie et le Monténégro coopèrent dans le secteur de la défense (tous les deux sont des membres de l’OTAN).

Selon l’ONG Prague Security Institute, “différentes sources locales et internationales ont accusé Erdogan d’utiliser les notions de fraternité, de culture et d’histoire commune comme moyen de faire avancer un programme islamiste.[27]

La Turquie s’est également rapprochée du Kosovo où elle exerce une forte influence. Son intervention au Kosovo en mars dernier est un exemple. En effet, la Turquie a ordonné l’extradition de six enseignants turcs pour cause de terrorisme. Accusés d’avoir des liens avec Fethullah Gülen par les services secrets turcs, ces enseignants se sont fait arrêtés sans que le Premier ministre du Kosovo en soit informé. Ce pays reste le troisième pays le plus pauvre d’Europe. Par ailleurs, il ne dispose d’aucune libéralisation des visas avec l’UE, ce qui en fait un territoire isolé. En raison de son statut, le Kosovo est également exclu de l’initiative chinoise 16+1 contrairement à d’autres pays des Balkans.

Conclusion

Les Balkans occidentaux ont la volonté d’entrer dans l’Union européenne mais il reste de nombreux défis. De plus, tous les pays ne sont pas au même niveau dans le processus d’intégration. La question migratoire en Bosnie-Herzégovine illustre bien l’un des défis qu’il reste à surmonter. Cependant, la lenteur des processus et les multiples conditions et critères à remplir entraînent une certaine lassitude des pays concernés. Ils se tournent de plus en plus vers des pays tiers comme la Chine, la Russie ou la Turquie. Devant ces influences grandissantes dans son « arrière-cour », l’Union européenne fait un “choix définitif stratégique”[28] en décidant d’intégrer les Balkans occidentaux en son sein. Cette coopération vise à la réalisation d’une « Europe pacifique, forte, stable et unie »[29].


[1] Alexandra BRZOZOWSKI et Vlagyiszlav MAKSZIMOV “Neuf États membres invitent l’UE à réinscrire les Balkans occidentaux à l’ordre du jour” 15.04.2021 https://www.euractiv.fr/section/avenir-de-l-ue/news/bring-western-balkans-back-on-the-agenda-urge-nine-eu-member-states/

[2] Stéphane LENEUF “Les Français opposés à l’adhésion des Balkans à l’Union européenne 14.02.2021 https://www.franceinter.fr/emissions/cafe-europe/cafe-europe-14-fevrier-2021

[3] Claude NIGOUL “Les Balkans occidentaux sous la tutelle de la communauté internationale” dans l’Europe en formation 2008/3-4 (n°349-350), pages 15 à 32 https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-formation-2008-3-page-15.htm

[4] Dessous des cartes ex Yougoslavie-Bosnie 25 novembre 2006 Arte

[5]  Pascal LE PAUTREMAT “La Bosnie-Herzégovine en guerre (1991-1995) : au coeur de l’Europe dans Guerres mondiales et conflits contemporains” 2009/1 n°223, pages 67 à 81

[6] Ibid.

[7] Réunie du 1er au 21 novembre 1995, la conférence de paix de Dayton débouche le 14 décembre sur les accords de Dayton. Ils  permettent de maintenir l’entité de l’État bosniaque dans ses frontières internationalement reconnues avec pour capitale Sarajevo réunifiée et comportant deux entités, l’une croato-musulmane (51 % du territoire), l’autre serbe (49 % du territoire)

[8] Agnès FAURE “La procédure d’adhésion à l’Union européenne” 20.01.2021 https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/la-procedure-d-adhesion-a-l-union-europeenne/

[9] La Rédaction “Elargissement de l’UE : évaluation des avancées dans les Balkans occidentaux” 26.10.2020 https://www.vie-publique.fr/en-bref/276787-elargissement-de-lue-quelles-avancees-pour-les-balkans-occidentaux

[10] Parlement européen “Fiches thématiques sur l’Union européenne : les Balkans occidentaux”  https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/168/the-western-balkans

[11] Nations Unies “Conseil de sécurité : Vingt-cinq ans après l’Accord de Dayton, la Bosnie-Herzégovine invitée à s’inspirer de la réconciliation franco-allemande” 06.05.2020 https://www.un.org/press/fr/2020/sc14180.doc.htm

[12] Ibid.

[13] Parlement européen “Fiches thématiques sur l’Union européenne : les Balkans occidentaux”  https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/168/the-western-balkans

[14] article 218, paragraphe 6, du traité FUE

[15] article 49 du traité UE

[16] Juliette GHEERBRANT “Migrants : que fait l’UE sur les violences aux frontières dans les Balkans ?”, RFI, 18.12.2020

[17] Margot DAVIER “En Bosnie-Herzégovine, l’enfer des migrants après l’incendie de leur camp” Libération, 06.01.2021 https://www.liberation.fr/planete/2021/01/06/en-bosnie-herzegovine-l-enfer-des-migrants-apres-l-incendie-de-leur-camp_1810462/

[18] Ibid.

[19] Ibid.

[20] ArteTV “Bosnie-Herzégovine : l’impact du camp de Lipa sur les habitants” https://www.arte.tv/fr/videos/101907-000-A/bosnie-herzegovine-l-impact-du-camp-de-lipa-sur-les-habitants/

[21] Annelise BORGES et Maxime BIOSSE DUPLAN “Sur la route de l’Europe, combien de migrants la Bosnie peut-elle encore accueillir ?”, EURONEWS, 11.02.2020 https://fr.euronews.com/2020/02/11/sur-la-route-de-l-europe-combien-de-migrants-la-bosnie-peut-elle-encore-accueillir

[22] Agata PALICKOVA “La Turquie, la Chine et la Russie convoitent des Balkans occidentaux délaissés par l’UE”, EURACTIV.com, 25.06.2019 https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/turkey-russia-and-china-covet-western-balkans-as-eu-puts-enlargement-on-hold/

[23] Ibid.

[24] Ibid.

[25] Le mécanisme de coopération 16+1, une plate-forme conjointement lancée par la Chine et 16 pays d’Europe centrale et orientale (PECO) en 2012 à Varsovie, a produit des résultats positifs dans différents domaines, fournissant des opportunités prometteuses pour la Chine et l’Europe. http://french.xinhuanet.com/2018-07/06/c_137306293.htm

[26]Pierre HASKI “Une autoroute chinoise et une montagne de dettes : le Monténégro appelle l’UE à l’aide”, France inter, 12.04.2021 https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-12-avril-2021

[27] Agata PALICKOVA “La Turquie, la Chine et la Russie convoitent des Balkans occidentaux délaissés par l’UE”, EURACTIV.com, 25.06.2019 https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/turkey-russia-and-china-covet-western-balkans-as-eu-puts-enlargement-on-hold/

[28] Vie publique, “Soutien de l’Union européenne à l’intégration des Balkans occidentaux”, 14.05.2021 https://www.vie-publique.fr/en-bref/274317-lunion-europeenne-soutient-lintegration-des-balkans-occidentaux

[29] Ibid.

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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