Un possible réengagement avec la Russie à l’ordre du jour du Parlement Européen

Les relations entre l’Union Européenne (UE) et la Russie ont été à l’ordre du jour des deux dernières réunions de la Commission Affaires Etrangères (AFET) du Parlement Européen, qui a discuté le 5 mai 2015 le projet de rapport présenté par Gabrielius Landsbergis (PPE, Lituanie) et adopté le rapport le 11 mai avec 53 voix en faveur, 10 contre et 3 abstentions.

 Les relations entre l’Union Européenne (UE) et son plus grand voisin ont été à l’ordre du jour des deux dernières réunions de la Commission Affaires Etrangères (AFET) du Parlement Européen. Nous rappelons que la base légale de la coopération UE-Russie est constituée par un Accord de Partenariat et Coopération qui date de 1994.
Suite au refus de la Russie de prendre partie à la Politique Européenne de Voisinage (lancée par l’Union Européenne en 2004), les deux partenaires ont décidé de lancer quatre « espaces communs » couvrant respectivement l’économie et l’environnement ; la liberté, sécurité et justice ; la sécurité extérieure ; la recherche, éducation et les aspects culturels. En parallèle, suite à l’expiration de l’Accord de Partenariat et Coopération, des négociations ont été lancées en 2008 lors du sommet de Khanty-Mansiysk pour un nouvel accord, censé fournir un cadre global pour les relations UE-Russie et reflétant une coopération accrue entre les deux par rapport au contexte de l’accord précédent. Néanmoins, les négociations n’ont abouti à aucun accord. Ensuite, en 2010, lors du sommet de Rostov, l’UE et la Russie ont établi un « Partenariat pour la Modernisation », couvrant les aspects économiques, techniques, d’Etat de droit et judiciaires.
A la suite des évènements en Ukraine et de l’annexion de la péninsule de Crimée par la Russie, la plupart des aspects de la coopération entre l’UE et la Russie ont été suspendus, et l’Union Européenne a adopté une série de mesures restrictives face à la Fédération. De plus, la Banque Européenne d’Investissement et la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement ont suspendu la signature de nouveaux programmes de financement en Russie.
De son côté, la Russie a adopté des contre-mesures, qui incluent une interdiction d’importer certains produits alimentaires de l’Union Européenne.

C’est donc dans ce contexte tendu que s’inscrit le projet de rapport présenté par Gabrielius Landsbergis (PPE, Lituanie), qui a été discuté par les députés lors de la réunion de la Commission AFET du 5 mai 2015. Lors de sa présentation, le projet de rapport a initialement reçu quelque 463 amendements. Suite aux négociations, le rapport a été adopté par la Commission lors de la réunion du 11 mai avec 53 voix en faveur, 10 contre et 3 abstentions.

 Le rapport Landsbergis

Le préambule du projet de rapport affirme la volonté de l’Union Européenne de « retrouver un cadre coopératif avec la Russie », en rappelant que, malgré l’attitude agressive montrée par la Russie à l’égard de la Géorgie, l’UE a, à cette occasion-là, évité des mesures restrictives en optant pour une coopération intensifiée. Pourtant, poursuit-il, avec ses actions en Ukraine (annexion de la Crimée et « guerre non déclarée » contre le pays) – où la Russie « est en train de redessiner les frontières de l’Europe » – la Russie a « profondément et durablement porté préjudice à ses relations avec l’Union ». A ce propos, le préambule fait également référence aux conflits gelés présents dans le voisinage commun à l’UE et à la Russie, dans lesquels cette dernière participe directement ou indirectement.
Pour ces raisons, on lit dans le rapport, la Russie ne peut plus être considérée comme un partenaire stratégique de l’Union, (son statut officiel)et cette dernière « ne peut envisager de reprendre le cours normal de ses relations comme si de rien n’était ».
En rappelant que les mesures restrictives adoptées par l’UE ne visent pas le peuple russe, mais ont pour but d’inciter la Russie à revoir sa politique envers son voisinage, le rapport affirme que le dialogue entre UE et Russie doit être « soumis à des préalables », et que les sanctions pourraient être levées, partiellement ou intégralement, « dès que la Russie se sera engagée à mettre en oeuvre, dans leur entièreté et en toute transparence, les dispositions des accords de Minsk et à restituer la Crimée à l’Ukraine ».

Ensuite, le projet de rapport se penche sur la nécessité de l’unité et de la solidarité entre les Etats membres de l’UE, « essentielles pour garantir l’efficacité des politiques de l’Union et sa capacité de faire face à des défis et pressions extérieures. A ce propos, il prône ainsi un renforcement des politiques internes de l’UE notamment en matière de commerce, services et transactions financières, migration, énergie, gestion des frontières extérieures, information et cybersécurité.
Toujours en matière d’unité, le rapport invite les EM à s’abstenir de décisions susceptibles de compromettre la vision commune de l’UE, notamment en matière de coopération avec la Russie dans le secteur de la défense.

Le rapport Landsbergis considère enfin la question de la propagande russe, en affirmant que la Russie a élaboré des politiques et des instruments de « guerre hybride », parmi lesquels figure l’utilisation d’« informations militarisées » (définies comme « informations délibérément modifiées et diffusées dans le but de porter atteinte aux structures sociétales, politiques et institutionnelles) ». Les médias russes contrôlés par l’Etat, déplore le projet de rapport, jouent un rôle également au sein de l’information dans l’Union Européenne.
Pour ces raisons, le rapport appelle au développement de capacités européennes d’analyse et de surveillance de ces informations militarisées, et invite la Commission à allouer des fonds à des projets visant à « contrecarrer la propagande russe au sein et en dehors de l’Union ». De plus, le rapport exprime son soutien au développement de médias russophones visant à offrir aux minorités russophones dans l’UE et dans les pays du Partenariat Oriental « un accès crédible à d’autres informations que les informations tendancieuses largement diffusées ».

Le débat au sein de la Commission AFET (5 mai 2015)

Le débat au sein de la Commission Affaires Etrangères du Parlement européen a été ouvert par le rapporteur Gabrielius Landsbergis, qui a souligné l’importance d’envoyer à Moscou un message claire et uni, ce qui implique que le rapport devrait être soutenu par une large majorité.
Il a insisté sur le fait qu’il faut fournir des encouragements à la Russie pour qu’elle « retrouve le chemin », mais que ces encouragements ne suffisent pas face à la volonté de la Russie de ne pas adhérer aux accords. Il a ensuite réitéré que si les accords de Minsk, l’intégrité territoriale de l’Ukraine et le droit international,il a réitéré l’opinion que si les engagements sont respectés, il y aura moyen de progresser dans les relations ; si au contraire la situation ne s’améliorera pas, l’Union Européenne pourra recourir à d’autres mesures pour envoyer un message plus musclé à Moscou.

Le rapporteur fictif Liisa Jaakonsaari (S&D, Finlande), tout en estimant que ce rapport a une importance politique essentielle, il constate une certaine incohérence entre les différentes prises de position du Parlement au sujet des relations UE-Russie. Pour cette raison, elle a appelé à ce que ce rapport permette de dégager une position appuyée par le plus grand nombre de députés, afin de mener une politique « commune et forte » vis-à-vis de la Russie.
Elle a ensuite exprimé la position de son groupe, selon laquelle le Parlement doit être ferme quant à la réalisation des conditions de Minsk, afin que l’OSCE puisse garder son prestige. Elle a également rappelé l’objectif à long terme que l’Ukraine puisse retrouver le droit de faire ses choix et qu’on puisse arriver à mener un dialogue fructueux avec la Russie, d’autant plus qu’existent de nombreux domaines dans lesquels l’UE et la Russie peuvent entretenir de bonnes relations. Enfin, elle a affirmé que, si un message ferme doit être envoyé aux dirigeants russes, il faut de l’autre côté maintenir un dialogue avec la population. Elle a ainsi proposé à cet égard un dialogue en matière de facilitation de visas avec la Russie, ce qui a suscité un certain débat parmi les différents groupes.
A son avis, si l’UE souhaite avancer vers l’objectif de paix sur le continent européen, il faut alors que la Russie y participe, même si ce sera un objectif à long terme, celui d’un espace de « paix et de prospérité économique de Lisbonne à Vladivostok ».

Pour Anna Elżbieta Fotyga (CRE, Pologne), qui a qualifié les politiques suivies par la Russie d’agressives et de « menaces pour notre sécurité collective », le message du Parlement Européen doit affirmer de façon précise et cohérenet que l’UE n’accepte pas les violations de l’intégrité territoriale d’un Etat souverain et l’imposition par la Russie de ses politiques et de ses méthodes dans son voisinage.
De son côté, Johannes Cornelis van BAALEN (ALDE, Pays-Bas) a constaté une certaine lassitude parmi les EM concernant l’Ukraine, et a affirmé que, si la Russie choisit de revenir dans les limites du droit international, l’UE pourra alors réengager le dialogue – contrairement à un scénario où la Russie serait isolée, ce qui permettrait de ne rien obtenir.

Le député allemand Helmut Scholz (GUE/NGL) a exprimé la difficulté de son groupe à s’associer au compromis, puisque, à son avis, des conditions préalables politiques ne permettront pas de trouver une nouvelle relation entre UE et Russie. Il faudrait donc se concentrer sur les problèmes actuels (Minsk II, le rôle de l’OSCE, le respect du droit par les russes et les ukrainiens, la modernisation technologique de la société russe, l’économie et le développement de la société russe) et voir quelle contribution le Parlement Européen pourrait y apporter.
Sandra Kalniete (PPE, Lettonie) a averti que dans le rapport il faudrait éviter d’employer des termes qui laisseront une marge d’interprétation, sachant « à quel point la Russie est forte en matière de propagande ». Il faudrait également, à son avis, éviter de rentrer dans les détails : s’agissant par exemple d’un accord de facilitation des visas, elle estime que dans la situation actuelle il serait très ambigu de parler d’un tel accord. En outre, d’après la députée, le Parlement devrait affirmer clairement que le contrôle par l’Ukraine de ses frontières est une des conditions préalables à la reprise du dialogue.

Si Knut Fleckenstein (S&D, Allemagne) s’est dit d’accord dans une large mesure avec la description de la situation des relations UE-Russie faite par le rapport, il a exprimé son désaccord quant à la teneur du message. En reconnaissant les difficultés du Conseil à trouver un accord sur la ligne à suivre en raison d’intérêts et d’approches divergents, il a affirmé qu’il ne peut pas exprimer son accord avec un rapport dont le message aille au-delà de l’accord intervenu au Conseil.
Le britannique Charles Tannock (CRE) a souligné que la Russie est actuellement « autre chose qu’un alliée stratégique : c’est de la propagande totalitaire et de l’expansion territoriale par la force ». Il a aussi averti que certains EM (comme par exemple la Grèce et la Hongrie) sont une cible de la Russie pour essayer de « briser le front européen ». Il a enfin appelé la Commission à continuer ses enquêtes sur Gazprom.

Ivo Vajgl (ALDE, Slovénie) a, lui, rappelé que l’UE a des intérêts de long terme en commun à développer avec la Russie. Il a ensuite salué la mention faite par le rapport Landsbergis des conflits gelés dans le voisinage auxquels la Russie est partie prenante, et a souligné que l’UE devrait agir plus activement dans l’effort de trouver une solution à ces conflits. Vajgl a également rappelé l’importance d’actions en faveur de la société civile et de tous les acteurs en Russie qui essayent de mettre en avant des alternatives politiques.
Néanmoins, il a exprimé une certaine perplexité quant à la place « trop large » qu’occuperaient dans le rapport les questions de propagande, traitées avec « un vocabulaire dépassé ». Il est à son avis absurde de faire référence à un besoin de programmes en langue russe afin d’informer un public qui se trouve dans des états démocratiques : d’après lui, ce serait le devoir des états démocratiques de toute façon de fournir des programmes dans des langues minoritaires, sans devoir en faire une stratégie.

Lors de son intervention, Michael Gahler (PPE, Allemagne) a été très critique vis-à-vis de « ceux qui dans cette assemblée continuent à être fascinés ou financés par la politique de M. Poutine » et il a affirmé que, même s’il serait souhaitable que le rapport soit approuvé par une large majorité, il n’est par contre pas désirable d’obtenir leur soutien.
Ensuite, après avoir réitéré que la mise en oeuvre des accords de Minsk c’est « un préalable absolu » à une amélioration des rapports avec la Russie, Gahler a mis en avant que jusqu’à présent la Russie n’a pas apporté une indication claire sur ce qui dans l’accord de libre-échange avec l’Ukraine compromettrait les intérêts russes.

Le député slovaque Boris Zala (S&D) a observé que le souhait des pays voisins de la Russie de choisir la voie européenne a changé la situation géopolitique dans la région, et que l’Union Européenne doit être prête à faire face à ces changements. A son avis, le fait que l’UE se soit présentée comme un « soft power » a signifié qu’elle n’a pas été capable d’entreprendre des étapes géopolitiques fortes vis-à-vis de la Russie. Il estime ainsi que l’UE devrait changer de l’intérieur pour devenir enfin un «hard power».
Enfin, il a souligné que l’UE ne devrait pas « fermer les portes ». Au contraire, elle devrait laisser suffisamment de marge de manoeuvre pour la négociation et pour que les ukrainiens puissent discuter avec les russes.
Marek Jurek (CRE, Pologne) a souligné une dimension supplémentaire qui, estime-t-il, devrait être intégré dans le rapport, concernant notamment une compréhension de la nature du régime de Poutine. Il a en effet qualifié la Russie d’un régime postsoviétique dont le caractère profond est par contre soviétique. Jurek a donc appelé le Parlement Européen à envoyer un message à long terme condamnant le communisme. A ce propos, le président Elmar Brok (PPE, Allemagne) a répliqué que ça serait plus simple s’il s’agissait vraiment de communisme, mais que ce n’est pas le cas.

L’allemande Rebecca Harms (Verts/ALE) a rappelé que le dernier sommet qui s’est penché sur cette question a affirmé que les modifications dans les relations avec la Russie devraient être liées au respect de l’accord de Minsk II. Or, d’après la députée, cette résolution devrait contribuer à établir ce lien de façon contraignante et obligatoire. Il serait à son avis très regrettable de parler avec enthousiasme d’un accord sur les visas avec la Russie, d’autant plus que l’UE n’a envoyé aucun message positif à l’Ukraine en la matière.
Jean-Luc Schaffhauser (non-inscrits, France) a exprimé une vue très critique sur le rapport, affirmant qu’il ne serait pas équilibré et qu’il ne contiendrait par la vérité. Il a reproché à l’Occident de faire un usage exclusif et partisan du droit et a mis en avant les responsabilités de Kiev dans la violation des accords de Kiev, accusant le Parlement d’oublier les assassinats de l’Ukraine.

Le député letton Andrejs Mamikins (S&D) a exprimé son accord avec la position du rapporteur fictif Liisa Jaakonsaari et a ajouté que l’approche du Parlement ne doit pas viser à donner des leçons à la Russie. Il a ensuite rappelé que le régime de Poutine et la population russe sont deux choses différentes, et que souvent en condamnant le régime on punit aussi les russes.
Urmas Paet (ALDE, Estonie) a, de son côté, appelé à introduire dans le rapport une dimension humaine, en référence notamment aux cas de Nadiya Savchenko et d’un policier estonien, prisonniers en Russie.

Suite au débat, le rapporteur Gabrielius Landsbergis a souligné que, s’agissant de la Russie, l’UE se retrouve souvent dans la situation où elle donne plus en échange de moins, contrairement aux principes « more for more » et « less for less » qui sont au coeur de l’approche de l’UE vis-à-vis de ses voisins. Face à une situation où le respect des accords de Minsk n’est pas assuré, le Parlement peut à son avis réfléchir à des incitations, mais il doit faire preuve d’une très grande prudence, afin d’éviter d’envoyer à la Russie un message « indésirable ».
En matière de cohérence, il a indiqué l’adoption du paquet des mesures restrictives vis-à-vis de la Russie comme un exemple d’unité au sein de l’Union.
Enfin, aux députés qui s’opposaient à l’idée de donner des leçons à la Russie, Landsbergis a répliqué que, plutôt que de leçons, il s’agit de réaffirmer des principes et des règles qui sont communes à tous les partenaires avec lesquels l’UE s’engage dans un dialogue.

Giulia Bonacquisti

 

Pour en savoir plus:

– Texte du Projet de rapport Landbergis et amendements déposés en Commission
FR : http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2014_2019/documents/afet/pr/1054/1054054/1054054fr.pdf
http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2014_2019/documents/afet/am/1059/1059122/1059122fr.pdf
http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2014_2019/documents/afet/am/1056/1056328/1056328fr.pdf
EN : http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2014_2019/documents/afet/pr/1054/1054054/1054054en.pdf
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fNONSGML%2bCOMPARL%2bPE-551.966%2b03%2bDOC%2bPDF%2bV0%2f%2fEN
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fNONSGML%2bCOMPARL%2bPE-554.689%2b01%2bDOC%2bPDF%2bV0%2f%2fEN

– Page web du SEAE sur la Russie (EN) : http://eeas.europa.eu/russia/about/index_en.htm

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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