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L’impact du changement climatique sur les déplacements forcés : la COP24 face au défi des migrations climatiques

140 millions, c’est le nombre de migrants climatiques internes prévu par la Banque mondiale dans son rapport du 19 mars 2018 intitulé « Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes ». Ce rapport identifie trois zones particulièrement vulnérables : l’Afrique subsaharienne (86 millions de déplacés), l’Asie du Sud (40 millions de déplacés) et l’Amérique latine (17 millions de déplacés). Comme le rappelle la Banque mondiale, même si ces chiffres ne sont que des prévisions, le changement climatique et les déplacements forcés qu’il induit sont bel et bien des réalités. Il est donc nécessaire de se munir des bons outils pour y faire face. Même si le rapport en question ne fait état que des déplacements internes, ce n’est qu’une question de temps avant que cela ne concerne l’Europe, en l’atteste l’étude commanditée par la Commission européenne appelée « Asylum applications respond to temperature fluctuations », qui établit un lien direct entre le réchauffement climatique et l’afflux de migrants sur le territoire européen. Face au défi majeur que représente le changement climatique, et à l’aube de la COP24 (la 24e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques) qui se tient du 3 au 14 décembre à Katowice en Pologne, une coopération internationale et des réponses conjointes sont plus que jamais nécessaires pour enrayer les effets pervers du dérèglement climatique. 

  1. L’état des lieux sur les migrations climatiques   

Loin d’être un phénomène nouveau, cela fait depuis les années 1950 que le dérèglement climatique est avéré. Le lien entre déplacement forcé et changement climatique mettra quant à lui plus de temps à être établi. C’est à partir des années 1970 et surtout à partir du sommet de Rio de 1992, que la corrélation entre les deux phénomènes sera mise en avant. Comme le fait remarquer François Gemenne, spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement, ce processus est le fruit de « la généralisation progressive des connaissances sur les menaces liées au changement climatique qui va transformer la perception du concept par le grand public, les chercheurs et les politiques »[1].  Le début du 21éme siècle marque l’illustration flagrante du lien causal entre les deux. Le tsunami qui a frappé l’Asie du Sud-Est en 2004, et l’ouragan Katrina qui s’est abattu sur le Golfe du Mexique en 2005 vont forcer des millions de personnes à fuir leurs habitations pour chercher refuge ailleurs.

Au fil des années, les cas emblématiques qui attestent du changement climatique vont se multiplier, et les prévisions alarmistes auront un plus grand écho au niveau mondial. Cependant, le phénomène des « migrants environnementaux » ou des « réfugiés climatiques » est un phénomène complexe et soulève de nombreux problèmes. Le principal problème réside dans le fait qu’il n’existe pas de protection internationale pour cette catégorie d’individus, car les questions de climat et d’environnement ne figurent pas dans la définition du réfugié de la Convention de Genève. Pour cette dernière, le terme réfugié s’applique à toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » Cependant, si l’on est d’accord pour reconnaître la réalité du changement climatique, et de ses effets sur l’environnement et les hommes, on ne peut nier les implications évidentes en termes de droits de l’homme [2]

  1. Les prévisions de la Banque mondiale

À l’heure actuelle, plus de 24,2 millions de personnes ont dû fuir leurs habitations suite aux catastrophes naturelles (Internal Displacement Monitoring Center) mais, selon une nouvelle étude de la Banque mondiale, l’aggravation des effets du changement climatique dans trois régions du monde densément peuplées pourrait pousser plus de 140 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur propre pays d’ici 2050. Des habitants seront forcés de se déplacer en raison des sécheresses, des mauvaises récoltes, de l’élévation du niveau de la mer et de l’aggravation des ondes de tempêtes. Si les effets du changement climatique sont une réalité, comme nous le fait rappeler le rapport, cela ne doit pas être pris comme une fatalité. En effet, il serait possible de réduire de 80% le nombre de migrants climatiques en menant des politiques publiques axées sur trois domaines : la réduction des gaz à effet de serre, l’intégration de la migration climatique dans la planification du développement ainsi que l’investissementpour l’amélioration des connaissances sur les migrations climatiques locales. Ce rapport, qui met l’accent sur les effets climatiques graduels plutôt que sur les phénomènes à effet rapide, annonce trois scénarios possibles. Le premier, « pessimiste », combine émissions élevées de gaz à effet de serre et trajectoire de développement inégal. Il s’agit du scénario de référence du rapport. Le second, quant à lui, est plus optimiste. Il s’agit du « scénario de développement plus inclusif », pour un taux d’émissions toujours élevé. Le dernier est le « scénario plus favorable au climat », celui-ci conjugue émissions réduites de gaz à effet de serre et développement inégal.

Ce rapport, premier en son genre, sensibilise les citoyens et alerte les décideurs politiques sur ce qui doit être fait. En effet, si les choses suivent leur cours sans que rien ne soit mis en place, le changement climatique peut avoir des conséquences multiples. Cela peut devenir une menace économique et sociale, et pourrait même aboutir à une crise humanitaire. Dans ce contexte, la migration induit par le changement climatique est difficile à appréhender et cela tient du fait qu’il est difficile de prouver que des déplacements de populations ne sont que le résultat d’un changement climatique. Comme le rappelle Gemenne, « les facteurs environnementaux sont rarement isolés de leur contexte socio-économique et se mêlent à d’autres facteurs, économiques, politiques ou culturels pour déclencher la migration »[3]. Ces mouvements de personnes prennent déjà principalement la forme de déplacements internes et ce sont les Etats et les régions du Sud qui sont les plus touchés, mais ce n’est qu’une question de temps pour que ces déplacements se propagent à l’échelle d’un continent voire au-delà[4]. Pour les chercheurs qui ont travaillé pour le rapport Groundswell de la Banque mondiale, ces déplacements de populations vont d’abord se faire vers les zones urbaines des Etats les plus touchés par le changement climatique. Mais celles-ci, incapable de gérer le flux, vont pousser ces individus à migrer en dehors. Par conséquent, ces migrants environnementaux vont venir s’ajouter à un flux de personnes déjà déplacées pour d’autres raisons.

  1. Qu’en est-il de l’Europe ?

L’Europe ne sera pas non plus épargnée. Selon les prévisions, elle sera touchée par un plus grand nombre d’inondations, tant à l’intérieur des terres que dans les zones côtières. Nous en avons déjà vu les manifestations dans quelques pays européens, mais ce ne seront pas les seules conséquences du changement climatique. Du Nord au Sud, le continent européen est en proie à un dérèglement climatique qui affecte de plus en plus nos habitudes. Il est probable que ces inondations mèneront à des déplacements de population relativement importants, que ce soit à long comme à court terme. De tels déplacements ont déjà été observés en Europe centrale et orientale, et touchent en particulier les populations les plus vulnérables socialement[5]. De plus, une étude commandée par la Commission européenne et parue dans la revue Science met en lumière les effets du changement climatique sur le phénomène migratoire. Selon cette étude intitulée « Asylum applications respond to temperature fluctuations », le nombre de demandeurs d’asile dans l’Union européenne pourrait atteindre 1,01 million par an d’ici 2100, ce qui représente environ le triple de ce que nous connaissons aujourd’hui. Étalée sur 14 ans, de 2000 à 2014, cette étude met en lumière la corrélation entre les deux phénomènes. À partir d’une analyse croisée et en se basant sur des sources diverses récoltées auprès de 103 pays, cette étude a révélé que plus les températures dévient de la température idéale située à 20° C pour l’agriculture, plus les demandes d’asiles en Europe croissent. Si l’on maintient ce rythme, nous pourrions voir les demandes s’accroître de près de 28% d’ici la fin du siècle. Les auteurs de l’étude, Anouch Missirian et Wolfram Schlenker, prévoient que les insuffisances agricoles et les conflits qui résultent du changement climatique seront un des facteurs les plus importants du déplacement des populations[6].

Cependant, il est nécessaire de garder un point de vue pragmatique lorsque nous sommes devant ces chiffres car « la température n’est qu’un argument parmi d’autres dans la décision d’émigrer. Une approche multifactorielle de la réalité migratoire s’impose donc, mais aussi une analyse dépassionnée des chiffres présentés »[7]. Pour Gemenne, ces prévisions pourraient servir à corriger la « myopie des gouvernements » qui continuent à vouloir faire la distinction entre « les bons réfugiés politiques d’un côté, les méchants migrants économiques de l’autre (…) ceux que l’on qualifie de “migrants économiques” sont aussi des migrants environnementaux ou climatiques »[8]. Ces chiffres, au lieu d’effrayer et de pousser l’Europe à se barricader, devraient plutôt amener les dirigeants européens à d’avantage coopérer pour la mise en place de stratégies d’adaptation pour les régions les plus vulnérable au dérèglement climatique.

  1. Vers une reconnaissance du statut de réfugiés climatiques ?

Il existe des initiatives qui tendent à la création d’un statut de « réfugiés climatiques », ou du moins, à la création d’une nouvelle catégorie de visa. En passant par la Belgique et l’Australie, la sonnette d’alarme tirée par les spécialistes de la question n’est pas passée inaperçue. Malgré le fait que toutes ces tentatives n’aient pas abouti, on peut y voir l’expression d’une prise de conscience sur la nécessité d’agir pour protéger les couches les plus vulnérables de la population mondiale. Toutefois, on n’est pas près de voir l’existence d’un statut international pour les réfugiés climatiques. Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a lui-même reconnu que la distinction actuelle entre réfugiés et déplacés est dépassée par les effets du changement climatique. Mais il se dit opposé à l’élargissement de la Convention de Genève pour intégrer les réfugiés climatiques. À la place, il plaide pour la mise en place d’une convention spécifique pour assurer une « meilleure protection mondiale »[9]. À l’heure actuelle, il existe des mécanismes juridiques régionaux de protection de l’environnement. Toutefois, ces mécanismes non contraignants souffrent d’un manque d’effectivité pour protéger les personnes qui sont directement touchées par le changement climatique. Ces mécanismes souffrent aussi d’un manque de modernisation. Les instruments juridiques actuels, qui ont été conçus il y a des années seraient inaptes à faire face aux défis modernes liés au climat. Le principal problème réside dans le fait qu’il manque une volonté politique pour prendre en charge la situation et proposer des actions concrètes[10]. Les forums internationaux sur le climat se multiplient sans qu’aucun d’entre eux ne soient véritablement contraignant.

Aucune région du monde ne sera doncépargnée par le changement climatique et, des défis de poids attendent lesdirigeants à la COP24. Au-delà des simples discours et des bonnes volontés, ilest temps de prendre des décisions constructives et sérieuses car il y a demultiples facteurs qui rendent le problème complexe. Au-delà des instrumentsjuridiques internationaux qui visent à protéger les mouvements de populationmondiale, la variable déterminante est l’adaptation[11], c’est-à-direla mise en place de politiques nationales qui anticipent et protègent lapopulation. Et pour cela, « les conférences climatiques peuvent êtrel’occasion de remettre l’ouvrage sur le métier »[12].

Dawit Tesfay


[1] Gemenne François, « Migrations climatiques : un état des lieux », Revues-plurielles, URL : http://www.revues-plurielles.org/_uploads/pdf/47/252/p029_032.pdf

[2] Fernández José Maria, « Réfugiés, changements climatiques et droit international », Revue Migrations Forcées, URL : https://www.fmreview.org/fr/changementsclimatiques-desastres/fernandez

[3] Gemenne François, « Migrations climatiques : un état des lieux », op. cit.

[4] Loubière Thomas, « Le statut de réfugié climatique n’a pas d’existence juridique », Libération, octobre 2013, URL : https://www.liberation.fr/planete/2013/10/18/le-statut-de-refugie-climatique-n-a-pas-d-existence-juridique_940620

[5]Gemenne François, « Migrations et climat. Quel enjeu pour l’Europe ? », Grande Europe n° 19, avril 2010 – La Documentation française, URL : https://www.ladocumentationfrancaise.fr/pages-europe/d000528-migrations-et-climat.-quel-enjeu-pour-l-europe-par-francois-gemenne#

[6] Missirian, A. et Schlenker, W., « Asylum applications respond to temperature fluctuations », Science, 358(6370), 1610–1614, URL : http://science.sciencemag.org/content/358/6370/1610

[7] Roger Simon, « Le réchauffement climatique va accentuer la pression migratoire aux portes de l’Europe », Le monde, décembre 2017, URL : https://www.lemonde.fr/planete/article/2017/12/22/le-rechauffement-climatique-va-accentuer-la-pression-migratoire-aux-portes-de-l-europe_5233149_3244.html

[8] Ibid.

[9] François Jean-Baptiste, « Antonio Guterres : « La migration est inévitable et ne s’arrêtera pas », La croix, novembre 2016, URL : https://www.la-croix.com/Monde/Antonio-Guterres-La-migration-inevitable-sarretera-2016-11-23-1200805240

[10] Fernández José Maria, op. cit.

[11] Gemenne François, « Migrations climatiques : un état des lieux », op. cit.

[12] d’Allard Marion, « Réfugiés climatiques, la crise du siècle », L’humanité, novembre 2016, URL : https://www.humanite.fr/refugies-climatiques-la-crise-du-siecle-626101

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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