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Discrimination et inégalités femmes/hommes dans le monde du travail : quel bilan dans l’Union européenne ?

La date du 3 novembre marque pour toutes les femmes le moment où celles-ci commencent à travailler gratuitement jusqu’à la fin de cette année 2018. Cette date symbolique apporte une image concrète de l’écart entre la rémunération des femmes et celle des hommes, qui dans l’Union européenne (UE) atteint les 16,3%. C’est aussi l’occasion d’effectuer une piqûre de rappel et de remettre à l’ordre du jour la question centrale des inégalités femmes/hommes dans le monde du travail. Atteindre l’égalité est un objectif essentiel à l’établissement d’une société placée sous le signe de la justice sociale, mais c’est également un enjeu socio-économique important, dont les bénéfices s’étendent à tous-tes les citoyens-nes de l’Union et au delà.
À l’échelle européenne, ces nombreuses disparités persistent. Si l’on passe en revue l’état des inégalités de genre dans les États membres, il y subsiste un écart important entre les différents pays et concernant des problématiques essentielles, telles que les violences faites aux femmes, l’accès à la prise de décision, la représentation politique, ou encore l’écart de rémunération entre les genres. Parmi toutes ces questions, nous examinerons de plus près la situation des femmes dans le monde du travail au sein de l’UE, encore caractérisée par de multiples niveaux d’inégalités et de discriminations. Grâce à différents rapports tels que le «Rapport sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’UE 2018», publié par la Commission européenne et «L’index d’égalité de genre» produit par l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), nous disposons désormais de données précises pour quantifier et analyser cette question, afin de mettre en œuvre et d’améliorer les politiques publiques à l’échelle de l’UE et de ses États membres.

 

De quoi parle-t-on ?

 

Depuis que les femmes ont gagné le droit d’occuper un emploi dans des conditions décentes et d’être autonomes financièrement, elles n’ont eu de cesse de continuer à se battre pour obtenir l’égalité[1]. Ces acquis ont été obtenus en majeure partie par les mobilisations féministes partout à travers l’Europe, à partir des années 1920 notamment. Qu’il s’agisse des conditions de travail, de l’égalité de salariale ou encore de «l’accès aux professions de prestige réservées aux hommes»[2], les revendications des féministes convergeaient toutes vers la reconnaissance du droit des femmes à l’égalité professionnelle.

À l’heure actuelle, on voit bien que malgré le long chemin parcouru, les femmes ont encore de nombreux défis à surmonter dans le monde du travail. Le précédent Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, déclarait en 2017, qu’il est « évident que les femmes sont victimes d’une inégalité de traitement et d’une inégalité des chances dans leur vie professionnelle»[3]. Pour Nils Muižnieks, « la discrimination, directe ou indirecte, que subissent les femmes dans ce domaine résulte d’attitudes sociales profondément ancrées qui maintiennent les femmes dans un rôle subordonné»[4]. Ces attitudes sociales vont en effet avoir un impact considérable sur la vie professionnelle des femmes, qui vont être pour beaucoup largement confrontées à toute une série de discriminations parmi lesquelles on retrouve de façon non exhaustive:

  • L’inégalité salariale
  • Le harcèlement sexiste et sexuel
  • L’accès inégal aux postes de direction
  • La discrimination à l’embauche et la sous représentation des femmes dans de nombreux domaines professionnels
  • La discrimination sur le lieu de travail

 

Pour enrayer de tels phénomènes, il est important de les appréhender avec une «approche globale»[5] et intersectionnelle, qui vont permettre d’en observer les causes ainsi que leurs manifestations. Il est également essentiel de les dénoncer politiquement et de les mettre à l’agenda afin de pouvoir « aussi bien réviser la législation que de mettre en œuvre des mesures politiques, culturelles et économiques»[6].

 

Dans le cadre de cet article nous allons nous pencher plus en détail sur la question l’inégalité salariale et du rôle que joue l’UE. Nous allons avant toutes choses, traiter du rapport essentiel entre vie domestique et vie professionnelle, source de nombreuses inégalités et discriminations.

 

Emploi et travail domestique

 

Comme nous parlons des inégalités de genre dans le monde du travail, il est important d’en couvrir toutes les formes. Il faut garder en tête que l’on fait non seulement référence aux activités professionnelles, mais également au travail domestique. En effet, en n’utilisant que le terme de «travail» pour couvrir ce qui est défini comme un emploi rémunéré, le travail domestique, qui lui ne l’est pas, est passé à la trappe. Cette dimension est importante car la dévaluation du travail domestique est un facteur majeur d’inégalités. La femme au foyer n’est pas une femme qui ne travaille pas, bien au contraire. Cette sous-valorisation est particulièrement problématique puisqu’on ne considère pas ces femmes comme des acteurs économiques et sociaux à part entière[7]. Il semble alors important de rétablir le fait que ces «activités non marchandes au sein du ménage participent à produire des biens et des services qui sinon devraient être achetés[8]». De fait, «les biens et les services produits font donc pleinement partie de l’activité économique, et ce, même si le travail domestique n’est pas rémunéré»[9]. Ne pas reconnaître les activités domestiques comme étant productives économiquement, «sachant qu’elles sont en grande partie réalisées par des femmes, minimise la contribution de ces dernières à l’activité économique […]»[10]. La valorisation (notamment économique) du travail domestique est donc plus que nécessaire pour rendre compte de la contribution active que représente le choix opéré par de nombreuses femmes, de consacrer l’intégralité de leur temps à ce type d’activité.

 

Un autre élément qu’il est important de prendre en considération si l’on veut bien rendre compte de la réalité des femmes au travail, est ce que l’on appelle la charge mentale. On qualifie comme tel chaque élément lié à la gestion domestique et familiale qu’une femme ou un homme doit ajouter à ses préoccupations professionnelles. Elle est engendrée par une répartition inégale des charges domestiques. Mieux qu’un grand discours, voici quelques illustrations expliquant ce qu’est la charge mentale et ce qu’elle représente pour les femmes qui en portent bien généralement le fardeau.

[11]

La charge mentale représente bel et bien un poids supplémentaire qui affecte sensiblement les conditions de travail des femmes. En effet, tandis que les travailleurs masculins consacrent 9 heures par semaine aux travaux ménagers et familiaux, les femmes qui travaillent également, y consacrent quant à elles 22 heures, soit l’équivalent de 4 heures par jour[12]. Cette répartition inégale va avoir une répercussion sur le marché du travail puisque ce sont les femmes qui en très grande majorité vont faire le choix de passer d’un temps plein à temps partiel, afin de pouvoir consacrer davantage de temps aux tâches ménagères et familiales. Dans ces conditions, une journée de travail ne représente pas la même charge pour les femmes que pour les hommes, dont la journée s’arrête pour beaucoup à partir du moment où ils passent la porte de leur foyer. Il s’agit d’un important manque à gagner puisque cette diminution du temps de travail entraîne inévitablement une baisse de salaire préjudiciable. Une répartition égale des tâches ménagères et familiale est ici évidemment indispensable pour établir l’équilibre, partager le fardeau que représente cette charge mentale et ainsi faire en sorte qu’il affecte moins les femmes dans leurs activités professionnelles au quotidien.

 

À travail égal, un salaire égal ?

 

L’écart de salaire entre les hommes et les femmes n’est pas un mythe. Si beaucoup rechignent encore à le reconnaître, il n’en est pas moins une réalité préjudiciable pour l’ensemble de la société. Dans l’UE l’écart de salaire atteint, selon les derniers chiffres fournis par la Commission Européenne, les 16,3% et l’écart total de revenu s’élève jusqu’à 36,6%[13] . Les différences de salaire peuvent considérablement varier en fonction des pays. À la tête du classement on retrouve en première place l’Allemagne qui affiche une disparité salariale de 22%[14], suivie de l’Autriche et du Royaume-Uni, avec respectivement des écarts de 21,7% et 20,8%. C’est en Italie que l’on retrouve le chiffre le plus faible avec un écart de 5,5%, suivi par la Belgique (6,5%) et la Pologne (7,7%).

L’inégalité salariale est un phénomène complexe qui ne se résume pas seulement à la comparaison des fiches de paies, mais qui englobe un certain nombre de paramètres. La Commission européenne dénombre principalement cinq facteurs explicatifs[15] :

 

1- La plus faible proportion de femmes dans les postes de directions qui sont les mieux rémunérés (seulement 6% des postes de directeurs généraux d’entreprises sont occupés par des femmes par exemple[16]).

2- Le poids des taches ménagères et familiales, principalement porté par les femmes, va pousser beaucoup d’entre elles à occuper des postes à mi-temps et de fait, obtenir une plus faible rémunération. On observe qu’en moyenne 1 femme sur 3 va réduire ses heures de travail pour consacrer plus de temps à ces activités, tandis que chez les hommes seulement 1 sur 10 opère le même choix[17].

3-La plus grande absence des femmes sur le marché du travail, notamment du fait des interruptions de carrière[18]. Fréquentes après la naissance d’un enfant, ces interruptions de travail temporaires ou définitives ont un impact sur la rémunération. Les femmes faisant le choix d’interrompre leur carrière vont voir leur salaire horaire affecté lorsqu’elles reprendront leur emploi car cette dernière n’aura pas connu d’évolution. Leur rémunération retraite se retrouve aussi inévitablement affectée. La question des retraites des femmes ayant interrompu leur carrière pour s’occuper de leur famille est un important vecteur de précarité pour de nombreuses femmes devant survivre avec un très faible revenu.

4-La ségrégation dans l’éducation et sur le marché du travail, implique que certains secteurs professionnels sont surreprésentés, soit par les femmes soit par les hommes. On retrouvera par exemple un nombre plus élevé de femmes dans les emplois liés au «care», soit les services d’aide à la personne (infirmières, auxiliaires de vie, assistantes sociales etc.) ou encore l’enseignement, qui sont à faible valeur ajoutée. Les hommes sont quant à eux surreprésentés dans des domaines à plus forte valeur ajoutée tels que l’informatique, la finance ou les métiers scientifiques (ingénieurs, chercheurs etc.). La socialisation joue un rôle majeur dans cette ségrégation puisque c’est dès l’enfance que se diffusent les stéréotypes de genre dans les professions. Plus tard à l’adolescence, cette catégorisation genrée des domaines professionnels va venir influencer les futurs choix de carrière et perpétuer cette ségrégation.

5- La discrimination salariale, bien qu’illégale est cependant plus répandue qu’on ne le pense. Dans les grandes entreprises notamment, le salaire de chaque employé peut varier et ce à poste égal. La culture d’entreprise en matière de salaire étant placée sous le signe de l’opacité, il est très fréquent qu’un employé ne connaisse pas le salaire de son collègue. Beaucoup de femmes ont ainsi découvert souvent au hasard, être moins payée que leur collègue masculin pour un même poste, un niveau d’éducation et productivité égaux. La discrimination salariale est donc évidente et se fonde très généralement sur des critères témoignant d’un sexisme latent. Elle est également liée à la plus faible propension des femmes à demander une augmentation à leur hiérarchie. C’est là encore le fuit de la socialisation opérée dès le plus jeune âge, qui entraîne les femmes à dévaluer leurs compétences et capacités et abaisse le sentiment de légitimité à demander une augmentation.

 

Au vu du graphique de synthèse publié dans le Gender Index de l’EIGE, on peut retenir que l’inégalité salariale dans les différents pays européens s’explique principalement par raisons : (1) le type d’industrie et (2) les facteurs inexpliqués. D’une part donc, la surreprésentation des hommes dans les secteurs où les salaires sont les plus élevés ; et de l’autre, les motifs inconnus. A priori, on est tenté de penser que c’est dans la catégorie «motifs inconnus» que l’on va retrouver la part de la discrimination salariale.

 

Trouver l’origine des écarts salariaux est déjà un premier pas pour pouvoir en combattre les effets. C’est notamment l’objectif de l’Union européenne qui s’est attelée à trouver certaines des causes de ces disparités et à développer des initiatives pour palier le problème.

 

Et le rôle de l’UE dans tout ça ?

 

L’UE a son rôle à jouer dans la lutte contre les inégalités dans le monde du travail. Toutes ces problématiques ont été mises à l’agenda aussi bien du Parlement européen, de la Commission que des différents organes rattachés à l’Union. Tout d’abord, l’UE récolte un nombre important de données chez les pays membres et peut ainsi établir des classifications, des relations causales entre des phénomènes mais aussi prescrire toute une série de mesures à prendre pour remédier au problème. Pour la Commissaire européenne à la Justice, aux Consommateurs et à l’Égalité de genres Věra Jourová, l’égalité de genres « encourage non seulement le développement économique, mais aussi le bien-être général et conduit à une Europe plus inclusive et plus juste pour les femmes et les hommes»[19]. C’est sous sa supervision notamment qu’est lancé en 2016 l’Engagement Stratégique pour l’égalité de genres 2016-2019[20]. Cet engagement posant les bases de travaux de la Commission en la matière s’articule autour de cinq thématiques : l’augmentation de l’indépendance économique des femmes, la réduction des inégalités de genres dans les salaires et les retraites, s’attaquer à la pauvreté parmi les femmes, promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes dans les processus décisionnels. Plus spécifiquement sur la question des inégalités salariales, la Commission européenne a mis sur pieds en 2017 le Plan d’Action pour lutter contre l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes. Toujours en 2017, la Commission a adopté, dans le contexte du Pilier européen des Droits sociaux, une initiative visant à améliorer la balance vie privée/vie professionnelle pour les parents actifs professionnellement[21].

Parallèlement aux initiatives de la Commission, l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) a publié en 2017 son Index sur l’égalité de genre : mesurer l’égalité de genre dans l’EU 2005-2015. Dans cet index, l’EIGE fait état des inégalités de genre dans l’UE qui, pour certaines, se sont accentuées depuis une décennie[22]. L’Institut dévoile ainsi que le taux moyen d’égalité femmes/hommes atteint en 2015 les 66.2%, signifiant que la route vers l’égalité promet d’être longue, le score n’ayant augmenté d’à peine plus d’un point en 10 ans. L’EIGE pointe notamment le fait que les inégalités de genre affectent les femmes au travail indépendamment de leur niveau d’étude, celles-ci étant en moyenne plus diplômées que leurs homologues masculins[23]. Il pointe également le fait que ces inégalités de genre ont tendance à varier en fonction de certains critères tels que l’âge ou encore le pays d’origine, d’où la nécessité d’adopter une approche intersectionnelle pour prendre en considération tous ces différents biais et ainsi prendre des mesures plus efficaces.

 

 

            Cécile Wlodarczak

[1] Rochefort, Florence. 2018. «Histoire mondiale des féminismes». Que sais-je. pp 54

[2] Idem

[3] Conseil de l’Europe. 2017. «L’égalité de genre dans le monde du travail n’est encore qu’une promesse lointaine». Strasbourg 20/12/17

[4] Idem

[5] Idem

[6] Idem

[7] d’Albis, H., Bonnet, C., Navaux, J., Pelletan, J. & Solaz, A. 2016. Travail rémunéré et travail domestique: Une évaluation monétaire de la contribution des femmes et des hommes à l’activité économique depuis 30 ans. Revue de l’OFCE, 149,(5), 101-130.

[8] Idem

[9] Idem

[10] Idem

[11] Pour retrouver l’illustration dans son intégralité : Démotivateur https://www.demotivateur.fr/article/la-charge-mentale-ou-pourquoi-les-femmes-et-les-hommes-sont-loin-d-etre-egaux-dans-la-repartition-des-taches-menageres-9929

 

[12] Commission Européenne 2017. L’écart de salaire entre les hommes et les femmes dans l’Union européenne

[13] Commission Européenne 2017. L’écart de salaire entre les hommes et les femmes dans l’Union européenne

[14] Eurostat – Données 2015 – © Observatoire des inégalités

[15] Commission Européenne 2017. L’écart de salaire entre les hommes et les femmes dans l’Union européenne

[16] Commission Européenne 2017. L’écart de salaire entre les hommes et les femmes dans l’Union européenne

[17] Commission Européenne 2017. L’écart de salaire entre les hommes et les femmes dans l’Union européenne

[18] Commission Européenne 2017. L’écart de salaire entre les hommes et les femmes dans l’Union européenne

[19] European Commission, 2018. Report on Equality between women and men in the EU»

[20] Idem

[21] Idem

[22] EIGE, 2017. Index sur l’égalité de genre : mesurer l’égalité de genre dans l’EU 2005-2015.

[23] Le Monde. 2017 Emploi en Europe : plus diplômées, les femmes restent moins bien payées.

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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