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La Commission de Venise du Conseil de l’Europe fustige la Turquie

S’ouvre un nouveau front de confrontation avec l’ONU pour son action contre la communauté kurde. De son côté, la Commission européenne enfonce le clou, et lance un sévère rappel à l’ordre. Lors de sa 110ème session plénière, la Commission de Venise a rendu public le 13 mars dernier son avis sur les amendements constitutionnels soumis à un référendum national le 16 avril 2017. Cet avis a été demandé par la Commission de suivi de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Il intervient au plus mauvais moment, alors que la tension avec l’Allemagne est au plus haut (cf. « Pour en savoir plus ») : les sondages ne sont en effet pas totalement rassurant pour le pouvoir, et les difficultés pour faire campagne à l’étranger deviennent chaque jour plus nombreuses, les plus sévères concernant les Pays-Bas. Cet état des lieux pousse le régime d’Erdogan à multiplier les dérapages verbaux. La Commission de Venise fait ainsi part de ses craintes face aux conséquences qu’une telle réforme de la Constitution turque est susceptible d’emporter.

En tout premier lieu, l’avis met en garde contre un régime personnel qui supprime les contre-pouvoirs et qui se dirige de plus en plus sûrement vers un système « autoritaire », d’autant que l’état d’urgence ne crée pas les conditions nécessaires à un bon déroulement du scrutin.

La Commission de Venise tient d’ailleurs à faire savoir qu’en supprimant le système de contre-pouvoirs nécessaires, les amendements ne respecteraient pas le modèle d’un système présidentiel démocratique fondé sur la séparation des pouvoirs ; le système risquerait dès lors de se transformer en un système présidentiel autoritaire.

Les préoccupations exprimées dans la conclusion de l’avis ont notamment trait aux faits suivants :
• « laisser le nouveau Président exercer le pouvoir exécutif seul, lui permettant, en l’absence de toute supervision, de nommer et démettre les ministres et l’ensemble des hauts fonctionnaires d’après des critères que lui seul aura fixés ;
• laisser le Président être membre, voire chef de son parti politique, ce qui lui permettrait d’exercer des influences indues sur le corps législatif ;
• donner au Président le pouvoir de dissoudre le Parlement pour quelque motif que ce soit, ce qui est fondamentalement contraire aux systèmes présidentiels démocratiques ;
• affaiblir encore le système déjà insuffisant de contrôle judiciaire de l’exécutif ;
• affaiblir encore l’indépendance de la justice ».

L’avis soulève en outre de graves préoccupations d’ordre procédural. Par exemple, le Parlement turc a approuvé les amendements qui doivent être soumis à référendum alors que plusieurs députés du deuxième plus grand parti de l’opposition étaient en prison. Les amendements n’ont, de plus,  pas été approuvés par un vote au scrutin secret, ce qui jette le doute sur le caractère authentique du soutien exprimé en faveur de la réforme et sur le caractère personnel du vote des députés.

L’état d’urgence actuel n’offre, en parallèle, pas le cadre démocratique nécessaire à un scrutin aussi important qu’un référendum constitutionnel, ont conclu les experts.

Chaque Etat a le droit de choisir son propre système politique, qu’il soit présidentiel, parlementaire ou mixte, mais ce droit n’est pas sans condition.
Deux autres avis sur la Turquie, (Décrets-lois promulgués dans le cadre de l’état d’urgence, sous l’angle du respect de la liberté de presse et  La mission, les compétences et le fonctionnement des formations de juges de paix statuant en matière pénale), sont aussi mis en cause.
Sur le plan international les conflits se multiplient, le dernier en date concernant l’ONU qui vient de dénoncer l’offensive antikurde du pouvoir turc. Les forces de sécurité turques auraient en effet commis de graves violations lors des actions menées contre les rebelles kurdes depuis la fin du cessez-le-feu de l’été 2015. Ces faits ont été dénoncés le 10 mars dernier, avec une estimation du nombre des personnes déplacées oscillant entre 350 000 et 500 000. Dans son premier rapport sur le sujet, le Haut Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme détaille les allégations de destruction massive, de meurtres et de nombreuses autres violations graves des droits de l’homme (tortures, disparitions arbitraires, licenciements abusifs de 100 000 travailleurs du public comme du privé, renvoi de 10 000 enseignants…) commises entre juillet 2015 et décembre 2016 dans le sud-est de la Turquie, au cours des « opérations de sécurité gouvernementales ».

La Haut Commissaire aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, reconnait la complexité du problème que la Turquie a dû affronter du fait de la tentative du coup d’État de juillet 2016 d’une part, et la réponse à la vague d’attentats terroristes de ces derniers mois d’autre part. Il estime néanmoins que la profonde détérioration de la situation des droits de l’homme constitue une source d’inquiétude, ne peut qu’attiser les tensions et alimenter l’instabilité. En outre, face au refus du gouvernement turc d’accorder l’accès au HCDC aux documents et zones concernées, tout en contestant la véracité des faits empêche ce dernier de disposer d’informations fiables, et ce alors-même que « la gravité des accusations, l’ampleur des destructions et le déplacement de plus de 355 000 personnes montrent qu’une enquête indépendante est à la fois urgente et essentielle ».

Est-ce une politique judicieuse que de tenter de profiter de l’interdiction de meetings pour prendre une position victimaire auprès des électeurs de la diaspora, même s’ils détiennent les clés du résultat du référendum ? La Turquie ne gagne rien à diviser l’Europe entre les Etats membres radicalement contre et ceux qui ne sont pas encore lassés de guetter une évolution de la position turque.L’Union multiplie les avertissements depuis des années, bien avant la tentative de putsch et la vague d’attentats qui servent actuellement d’alibi au gouvernement turc. Déjà, en 2010, la Commission de Venise avait rendu public un rapport et émis un avis relatif à la situation des journalistes et de la liberté des médias en Turquie.

L’Union se doit d’être attentive à toute évolution et d’y répondre de façon réaliste, soit non pas en promettant une adhésion mais en privilégiant un rapprochement et des perspectives de coopération. Les menaces proférées à l’encontre d’Erdogan sont aussi peu crédibles qu’utiles, d’autant qu’il contrôle maintenant la presse qui relaie et manipule l’information selon les souhaits du gouvernement. Le rôle de l’Union devrait être de soutenir les mouvements « progressistes », de dénoncer sans cesse la dérive autoritaire du régime et de répondre aux inflexions éventuelles d’un gouvernement plus lucides concernant les véritables intérêts de la Turquie. Toute autre attitude est condamnée à rester stérile.

Devant l’accumulation de comportements turcs inadmissibles, l’Union européenne ne pouvait donc pas restée inerte et a demandé à Ankara d’éviter les déclarations excessives dans ses passes d’armes avec plusieurs Etats membres : elle appelle « la Turquie à se retenir de déclarations excessives et d’actions qui risquent encore d’exacerber la situation » ont souligné Federica Mogherini et Johannes Hahn. Pour eux, « les questions préoccupantes ne peuvent être résolus que par des canaux de communication ouverts et directs (…) il est essentiel d’éviter une escalade supplémentaire et de de trouver des moyens d’apaiser la situation ». Ils ont rappelé que les décisions concernant la tenue de réunions dans les Etats membres dépendent de ces Etats « conformément aux dispositions applicables des droits nationaux et du droit international ». Federica Mogherini, Frans Timmermans et Jean-claude Juncker se sont entretenus avec les autorités turques au cours de ces derniers jours. Dans leur communiqué, la Haute Représentante et le Commissaire à l’Élargissement ont précisé avoir « pris bonne note » de l’avis de la Commission de Venise : « les commentaires de la Commission de Venise sur les amendements constitutionnels proposés soulèvent de sérieuses inquiétudes quant à la concentration excessive des pouvoirs avec des conséquences graves sur les contrôles nécessaires et sur l’indépendance du pouvoir judiciaire ». Il était également préoccupant que ce changement constitutionnel ait lieu sous l’état d’urgence : « Nous encourageons la Turquie à poursuivre et à approfondir sa coopération étroite avec le Conseil de l’Europe et ses organes et à répondre à leurs préoccupations et recommandations ». Les amendements, s’ils étaient approuvés lors du référendum du 16 avril « et notamment leur mise en œuvre pratique », seraient évalués à la lumière des obligations de la Turquie en tant que pays candidat à l’Union et membre du Conseil de l’Europe.

Qu’il s’agisse de Poutine, Trump ou Erdogan, l’Union européenne ne peut continuer à être insultée ou malmenée sans réagir. Il lui faut continuer à mener inlassablement son combat historique pour « civiliser » la mondialisation.

Pour en savoir plus : principales sources d’information

– . 100 ème session plénière de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe :

http://www.venice.coe.int/webforms/events/default.aspx?lang=fr

-. Avis de la Commission de Venise (EN) :

http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2017)005-e

– . Le président de la Commission de Venise préoccupé par les attaques contre la Cour constitutionnelle turque :

http://www.venice.coe.int/webforms/events/default.aspx?id=1858&lang=fr

-. Conseil de l’Europe : l’Etat de droit :

http://www.coe.int/fr/web/portal/rule-of-law

-. Euractiv : Erdogan vs Germany :

https://www.euractiv.com/section/all/news/trans-europe-express-the-charge-of-fascism-erdogan-vs-germany/

-. Rapport du haut commissariat des droits de l’hommes dans le sud-est de la Turquie depuis juillet 2015 :

http://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=21342&LangID=F

-. Résolution du Parlement européen du 27 octobre 2016 concernant les journalistes en Turquie :

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+TA+P8-TA-2016-0423+0+DOC+PDF+V0//FR

-. Commission de Venise 2010 Rapport annuel d’activités :

http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-RA(2010)001-f

-. Communiqué conjoint Federica Mogherini et Johannes Hahn sur l’avis de la Commission de Venise :

https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/22571/joint-statement-high-representativevice-president-federica-mogherini-and-commissioner-johannes_en

-. Communiqué conjoint Federica Mogherini et Johannes Hahn sur les amendements constitutionnels et les récents évènements :

http://europa.eu/rapid/press-release_STATEMENT-17-588_en.htm?locale=en

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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